Elle est toujours à côté de moi, toujours elle me regarde et me suit. Je crois que personne n'a jamais fait autant pour moi. Elle est là tout contre moi, elle me protège même parfois. je ne lui demande pas mais elle le fait tout de même. Elle est fidèle, elle ne me quitte pas des yeux, elle est là, infailliblement là. Je me perds, je tombe, elle est là, je me tourne vers sa place, là où je sais qu'elle m'attendra toujours et elle me sourit, rassurante. Cela me soulage, ma veilleuse. Lorsque je m'effondre, lorsque le monde s'écroule, que je ne sais ni ne sens plus rien, elle me recueille, elle me berce, elle m'aime de tout son coeur. Et je redeviens quelqu'un, je rouvre les yeux, je vois à nouveau. Son oeuvre est parfaite, elle agit comme si nous ne faisions qu'une, elle comprend tout, tout ce que j'attends, tout ce qu'il faut faire pour me réchauffer. Je ne sais pas si je peux dire que, moi, je l'aime. Je ne crois pas. Elle me sauve, elle me maintient à flots mais elle est mon socle, je ne peux pas l'aimer avec mon âme. Elle fait trop partie de moi. Je l'aime de mes entrailles, je l'aime avec mes poumons pour respirer, mon ventre pour vivre, mes jambes pour tenir debout. Pas avec mon âme ni mon visage pour sourire ; elle n'est pas dans mon âme, elle est dans mon corps. Je la perds, je nous perds quand je la cherche dans mon âme. Alors je la cherche là où elle me donne sa force de repère.
Parfois, elle est en colère. Parfois, nous ne comprenons plus, il n'y a plus de nous. Elle est face à moi, elle n'est plus à mes côtés, il n'y a plus de tout contre moi possible. Elle plonge son regard vengeur au fond du mien et ne me lâche plus. Elle s'accroche à moi comme une enragée. Elle n'est plus celle qui m'attend toujours à la même place, tranquille et sereine, sûre. Elle est mon ennemie, elle dont j'ai tant besoin. Elle me fait face. Elle me sourit mais ce sont des crocs qu'elle révèle, c'est un vampire. Elle se tient là et elle attend, elle m'attend. Que fera-t-elle cette fois ? Et je l'affronte. Moi, la craintive je n'ai pas peur. Elle ne me fait pas peur. Elle ne me fait jamais peur. Elle est mon ennemie, elle n'est plus rien d'autre, aucune ambiguïté, aucune tromperie. Et je me sens puissante, incroyablement puissante, elle me révèle à moi-même, elle me fait grandir, elle me force à montrer les crocs, moi aussi, à me changer en loup sans merci, sans une once de pitié. Elle me fait voir que je peux. Je la regarde droit dans les yeux cette amie de toujours qui se retourne contre moi et que je devrais craindre. Comme tout le monde. Mais là, je ne suis plus tout le monde et notre duel m'impose à moi-même. Elle ne m'aime plus ? Si, plus que jamais, elle devient mon adversaire, L'adversaire de tout un chacun, celui que personne ne veut avoir à regarder dans les yeux et moi, impavide et provocante, je la méprise de toute la hauteur enfin trouvée.
Au fond, elle sait qu'elle me relève lorsqu'elle se dresse contre moi. C'est là que je lui dois de survivre et non plus seulement de vivre. Elle ne me sauve plus seulement de la souffrance ; elle me sauve de moi-même. Je lui dois de rester, de ne pas disparaître en poussière, elle rassemble les grains, les moutons qui pourraient se désagréger. Nous les rassemblons en nous narguant l'une l'autre plantées face à face. Elle, elle n'en a pas besoin, elle est d'une seule pièce, souple, malléable et ferme en même temps. Elle le fait uniquement pour moi, pour que je continue.
Parfois, je la déteste d'être toujours là et d'avoir tant besoin d'elle. Je la déteste parce que je me la sais nécessaire, comme organique, qu'elle me souffle son air quand je n'en ai plus et qu'autour de moi, les autres vivent sans elle, avec leur propre air, il leur suffit, il les innerve et les fait avancer. Le mien a besoin du sien, le mien est pauvre, mal fini, il ne fonctionne pas, il y a toujours un moment où il ne s'envole plus, où il retombe comme une goutte agonisante, J'ai bien essayé de lui donner toute mon énergie mais non, j'ai besoin d'elle et de son souffle. Elle me sauve mais je la hais de me sauver, de me faire vivre, de ne pas pouvoir marcher et regarder devant moi sans elle. Elle n'y peut rien, elle est ce qu'elle est mais qui dois-je implorer pour respirer et rester entière sans elle, comme une grande ? Dieu, tu ne m'entends pas mais mécaniquement, par instinct, je continue de te supplier. Pour l'instant, elle est là. Que ferai-je quand je me résignerai à la quitter ?
La mort, mon autre mère.
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