Je ressors, éreintée, mes reins ne me tiennent plus. Je suis sale, rabougrie mais bouillante en même temps. Intolérable contradiction qui me contraint à marcher de long en large en retenant mon souffle. Ne pas m'arrêter, pas une seconde, pas une once de seconde, au risque d'exploser. Je vais exploser, je le sais, je me connais. Je me suis salie, jusqu'au bout des ongles. je suis répugnante. Je suis engluée jusqu'au cou, jusqu'au bord des yeux , jusqu'à la moitié de mes prunelles. Finalement, jusque bien au-dessus de ma tête. J'ai fini de me débattre pour me dégluer, j'ai fini de gigoter comme si j'allais me désarticuler, je suis enfouie dans la glue du dégoût. Mes membres sont glus. C'est cette colle excrémentielle qui me retire le droit d'appartenir à l'humanité, au groupe des normaux, ceux qui sont toujours propres, qui ne sentent jamais cette poisse prendre possession d'eux et les tenir prisonniers le temps qu'elle a choisi, aussi longtemps qu'elle le voudra, selon le désir de Madame la Poisse. Madame la Poisse est puissante ; et elle sourit. Madame Poisse me transforme en bête humaine, en une espèce d'ignoble hybride qui ne sait plus être humaine. Quand je parle alors, mes mots sont vides, je ne suis plus quelqu'un qui parle ; je ne suis qu'une bête. Plus le droit de parler, juste me soumettre et attendre comme une ridicule esclave. Dans la glue de la Poisse. Je parle et me voilà dévorée, brûlée vive de honte et de dégoût. je me sens me consumer mais je poursuis ma phrase, parfois même, je me lance dans la suivante et encore une troisième et je sens que quand je m'arrêterai, mon corps entier, la peau de tout mon corps sera salie et gluée. Mes mots ne servent à rien mais ils retardent le fatal engluement que madame Poisse fait sentir dans mon dos.
Lorsqu'il est trop tard, que je suis prise au-delà du haut du crâne, lorsque je suis entièrement recouverte, j'ai un moment de suffocation et puis, tout d'un coup, je me souviens que je sais où aller. Je me rapetisse et je descends dans le sol, je m'enfonce avec volupté vers les profondeurs. Là, tout est déjà sale et gluée. Mais les pouvoirs de Poisse sont abolis : ce qu'elle impose en-haut est ici-bas la loi. Elle ne descend jamais, elle me laisse tranquille. je me promène dans les égoûts, je me pavane, je suis une reine dans ce palace. Je n'ai pas besoin de me battre ni de me détester. Je suis bien, je suis calme, j'éprouve la sérénité pure. Je marche, j'évite tout ce qui traîne à mes pieds, tout ce dont ceux du haut se sont débarrassés, qui les répugne, qui sent mauvais, qui ne sert à rien, et je me prélasse au milieu de ce luxe. Je peux faire ce que je veux, je suis ici chez moi. Ceux que je croise affiche la même béatitude et nous nous sourions, complices dans notre soulagement. Tout est différent, c'est comme l'envers du monde, davantage l'endroit pour moi. La plupart du temps, je m'assois un instant, je me repose et j'admire mon monde, celui où je suis bien, celui où la glue n'existe pas, où Poisse est la dernière des gueuses.
Je suis la princesse des égoûts.
Ha ha ! Gardienne du Musée des poubelles ! Bonne manière de retourner la situation !
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