Ca y est, ça recommence, j'enfle, je gonfle. Je sens que dans quelques minutes, je serai la monstrueuse boule de graisse, visqueuse, flasque et tremblottante que je deviens quand Ca arrive. A l'intérieur, tout bouge, les clandestins qui habitent mon corps prépare leur fête. Ils aiment s'amuser, ils recommencent encore et encore. Je savais en me réveillant que cela arriverait, je le pressentais, c'est peut-être ça le pire : tenir, tenir jusqu'au moment où Ca va avoir le dessus et va s'étendre aussi facilement et rapidement que la peste et le choléra. Je suis malade de graisse, de chair dégoulinante.Une épidémie se répand à la vitesse de la douleur en moi. Je ne suis plus là. Je suis cette maladie, cette infection. Je ne suis plus qu'une chose, je ne ressemble plus à rien de respectable. Je suis une honte, un déchet qui se prend encore pour un humain, plutôt qui fait semblant de l'être encore. Je commence à paniquer. Aujourd'hui, je panique. Parfois, je peux laisser faire par habitude et j'arrive à me raisonner et à sourire des images complètement délirantes qui me viennent à l'esprit. J'y arrive, à quel prix... Après cela, la journée est quand même pourrie dans les moindres recoins. De toute façon, cette journée est perdue, elle est placée sous le signe de la perfide Faucheuse. C'est bien Elle qui préside à cette fête, à ce sacrifice. J'ai tenté de Lui parler, de La retenir, de comprendre ce qu'Elle me voulait. Mais Elle s'envole, se faufile malgré toute ma bonne volonté. Elle fuit comme une lâche, Elle ricane. Mais Elle ne me regarde jamais. La Mort me regarde m'évanouir de moi-même, me diviser, me démanteler comme une poupée en kit, retenant les larmes qui me soulageraient. Je ne peux pas pleurer, les autres sont là, ils me regardent. Je ne peux pas tout perdre, s'il reste une once de dignité à préserver, je continue de me battre pour elle, il m'est impossible de renoncer à cela. parfois, je déteste ce dernier mouvement de survie qui me pousse à ne jamais cesser de lutter. Dans ces heures noires, je voudrais pouvoir abandonner. mais c'est comme on ne peut mourir en s'empêchant de respirer. La vie ou ce qu'il en reste reprend le dessus sur ce que nous pensons être notre volonté et nous pousse malgré nous sur le chemin haï qui se dessine à l'infini. Je suis dans l'infini de la vie, de la honte de mon corps. Je suis maintenant parfaitement obèse. Parfaitement. Il y a quelque chose de parfait dans cette désespérance du corps et de l'âme. Je suis comme complète, je n'ai plus besoin de rien ni de personne, je me suffis à moi-même. Une énorme boule, parfaite tant on ne pouvait l'imaginer surgir ainsi, tant elle est puissante, tant elle nargue le monde des humains qui essaye de m'en débarrasser.
J'attends que les autres se tournent vers moi et reculent de dégoût, se récrient de cette puanteur et de cette obscénité. Elle a osé nous imposer cette vision ! Elle n'a peur de rien ! C'est cela que je prévois et qui ne vient jamais. Je me demande comment les gens osent m'approcher voire me toucher, je le leur interdis d'ailleurs alors, je ne veux pas qu'ils sentent Ca. Ils le voient, ou pourraient le voir. Je me dois de les éloigner de moi, de les tenir à distance, loin de ma maladie qui les ferait pourrir à leur tour et les feraient automatiquement entrer dans ce fracas mortel que je ne peux souhaiter à quiconque. Même à ceux que jamais je ne pardonnerai des blessures que j'ai reçues d'eux et qui ne se referment jamais définitivement. Ils ne doivent pas savoir. S'ils ne voient pas, c'est qu'ils peuvent ne pas comprendre ni savoir. C'est cela que je veux, fermer leurs yeux et leurs oreilles, les envelopper dans du coton pour qu'ils ne risquent pas l'invasion. Ils ne se rendent pas compte de ce qui les guettent. Qu'ils me prennent pour froide, distante, fermée ! Peu m'importe ! Ils ne doivent pas me connaître comme ça et découvrir que cela pourrait être eux. mais non seulement, on continue de me prendre en compte, de me laisser ma place, mais en plus, on m'aime. Les gens qui m'aimaient jusqu'alors ne changent pas d'attitude. Leur coeur ne fait pas volte-face comme je le guette. La pourriture et la forteresse que j'ai construite ne les fait pas fuir, eux. Et même ils me regardent dans les yeux. Ceux qui savent le faire. Ils voient. Et ils me sourient. Je les regarde très fort. Aussi fort que possible, je ne peux pas laisser s'échapper cette chance d'être regardée, d'être sauvée. La fête de mort s'arrête brutalement, je dégonfle instantanément. Et je peux enfin pleurer.
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