jeudi 12 avril 2012

Attention ! elle attend.

Elle sort, non pas en courant comme la plupart. Elle ne se presse pas. Elle adopte la démarche craintive qui lui fait courber le dos et rentrer les pieds. Elle sourit à ceux et celles qu'elle connaît. Quelle belle maman elle a ! Elle a peur de la regarder d'un air idiot tellement elle l'admire et les envie elle et sa fille. La femme à les dents d'une blancheur presque brillante, ses cheveux sont soyeux et surtout blonds. Elle aimerait se pelotonner dans ses bras. Mais non ! C'est absurde. Elle a tout de suite honte de toute cette affection qu'elle rêve, de cette femme qui ne lui est liée par rien. Une étrangère, une parfaite étrangère. Elle la garde quand même au fond de ses pensées, au cas où.
Elle se hisse sur la rambarde. cela lui scie les fesses. Mais elle ne veut pas s'asseoir. Elle ne peut pas, son corps ne peut pas. Elle doit rester en suspension, ne pas reposer sur quoi que ce soit.pas avant son arrivée. Elle balance les jambes, doucement. Il y a encore du monde. Elle pourra s'agiter quand elle sera seule et que personne ne la regardera plus. Des femmes et des enfants passent devant elle, lui sourient ou continuent pris dans leur conversation. Elle n'est pas encore seule. D'ailleurs, elle ne le sera pas, non ! Elle observe les enfants, les parents qui restent : les grands discutent, ils prennent l'air sérieux ; les petits se poursuivent sur le bord de la route. Ils vont même sur la route. Il y a des voitures pourtant ici. Elle se dit qu'elle, elle n'aurait pas le droit de faire ça, que c'est dangereux. Elle s'étonne que ces parents ne disent rien. Elle reste vigilante aux véhicules qui débouleraient du virage, au cas où.
Puis, ils se séparent finalement. Ils se dépêchent de rentrer manger. Sinon, ils seront en retard pour le retour tout à l'heure. C'est malin, ils n'ont pas pensé à cela. Parfois, elle ne comprend rien aux parents.

Elle est la dernière. Elle est seule en fin de compte. Une vieille dame lit son journal sur un banc, sur la place. Elle l'observe quelques minutes. Elle a peur d'être vieille.
Et alors, elle se met à attendre ou à sentir combien elle attend. Elle tente de penser à ce qu'elle vient de voir, à sa matinée. Mais il est trop tard. La machine est lancée : son cœur s'emballe, son ventre se contracte indéfiniment,ses jambes qu'elle fixe consciencieusement se balancent de plus en plus vite. Elle ne sent plus ses fesses. Ça y est. Les questions la prennent, la tiennent et commencent leur grande fête autour du feu de joie de son attente. Elles étaient là depuis le début mais déguisées, c'est tout. Va-t-elle attendre 2h ici, jusqu'à ce que les portes rouvrent ? Que vont penser les gens en la voyant là ? Ils la trouveront stupide à attendre comme cela.
Elle se lève, s'avance sur le chemin de la maison et prie très fort que la rencontre survienne. Mais la rue est vide et bizarrement silencieuse. Peut-être que quelqu'un va venir lui poser des questions ? Elle ne veut parler à personne, elle veut disparaître. Elle revient à la barrière et se réinstalle Précisément à la même place. La vieille dame à lève les yeux sur elle et elle sent qu'elle est prête à venir lui demander qui elle attend et pourquoi. Elle baisse la tête d'un coup, sans appel et colle ses pupilles à ses rotules en action. Elle se berce de ce mouvement circulaire, si étrange, si fluide. Elle s'apaise un instant. Elle sent à nouveau la douleur dans ses fesses. Elle descend lestement, sautille sur place et se remet en position.
Au bout d'un long moment entrecoupé de regards jetés en arrière, elle se met debout et repart vers la maison. Comme la première fois, elle rebrousse chemin lorsque sa barrière disparaît.

Elle se rassied.
Elle attend.

Cela pourrait durer l'éternité. Elle ne voit pas le bout de son imaginations. Elle se perd dans le trou noir. Elle sombre. Elle transpire. Elle est sale. Elle a honte.

Elle scrute une fois encore : il arrive. Le trou se referme. Elle s'effondre à l'intérieur d'elle-même, épuisée. Le soulagement coule dans ses veines et elle revit. Ce qu'elle a mal ! Pourquoi être restée comme cela sur cette barrière ?
Et là, surgit la question : 'Il m'avait oubliée ?' elle a à peine le temps de la penser. Elle la jette loin, le plus loin possible, dans le coin des idées-ordures. Il arrive, gêné, prononce la phrase fatale. 'Je suis désolé ma chérie, je t'avais oubliée.' Elle ne peut pas s'effondrer davantage et ce n'est plus ce qui peut arriver, elle le sait désormais. Elle ne peut pas le regarder. Elle sent un sourire narquois se dessiner sur son visage. Ce qu'il est idiot ! Elle a honte pour lui de ne pas même avoir la décence de cacher sa petite omission. Je suis devenue son trou de mémoire, un petit trou de mémoire. Je le méprise de tout mon être. Même moi je sais qu'il ne faut pas dire ces choses-là. Et il est mon parent ? Laissez-moi rire. Officiellement, c'est vrai. Mais pas pour moi. Je sens monter en moi cette force sombre qui le tuerait. Je la laissé l'envahir quelques minutes tout en faisant semblant de m'intéresser à ce que je lui raconte. Puis, je la relègue elle aussi au deuxième plan. Elle est trop puissante pour lui, je ne peux pas la laisser voir. Il s'écroulerait comme un château de cartes. Elle le connaît. Elle ne doit pas laisser la force de colère la contrôler. Elle doit rester de marbre. Elle ne peut tout de même pas le regarder. Elle croit qu'elle ne pourra jamais plus d'ailleurs. La haine se mêle au mépris, elle met toute son énergie à l'amadouer et à l'endiguer. Du moins, à la faire taire. En réalité, elle ne fait que la nourrir encore plus.
Il l'a oubliée. Elle a honte de lui, elle a honte d'être ce qu'elle est elle voudrait se métamorphoser, transformer son univers comme par magie, ou tomber dans le coma et que tout le monde s'inquiète pour elle. Quelque part, au fond d'elle-même, elle sent qu'elle vaut la peine, qu'elle est plutôt gentille mais elle ne doit pas penser cela où elle ne pourra plus faire marche arrière et elle haïra, en face. Elle n'est qu'une enfant. Elle est faible. Elle ne peut rien faire, rien dire qui fasse le poids. Elle est face au mur. Elle déteste être une enfant. Elle se promet qu'elle se vengera quand on la verra comme une vraie personne qui en vaut la peine. Pour l'instant, elle l'aime parce qu'elle n'a pas le choix et elle n'y pense pas. Son cœur ne doit pas mourir maintenant. Elle tomberait définitivement dans le gouffre noir. Elle les aime de tout son cœur pour vivre, par instinct, on verra plus tard.
Heureusement pour lui que pour l'instant elle est trop faible. S'il savait ce qu'elle pourrait cracher, vomir, les horreurs qu'elle a au creux de la bouche, les coups bas qui animent ses poings qu'elle serre de toutes ses forces pour ne pas l'ecraser, le demanteler. Heureusement qu'il ne sait pas combien ce sourire est faux combien ces yeux pourraient lui hurler le massacre rêvé et le dégoût inhumain. Elle garde cela pour plus tard. Et là, il verra. Ils verront tous, les autres, les mêmes. On ne l'oubliera plus. Elle brûlera beaucoup trop haut.

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