samedi 24 août 2019

Victoria Mas, Le bal des folles – Editions Albin Michel


Le bal des folles ou le monde à l'envers




A travers un univers asilaire régi par les exigences de bienséance des hommes, Le bal des folles nous propose un palais de femmes héroïnes, survivantes et conquérantes. Et la folie esthète.



Qui sont les rois de cette histoire ? Ce sont des reines, toutes des reines. Mais qui choisir ? Geneviève ? Eugénie ? Le gynécée tout entier ? La Salpêtrière ? Pas de facilité en tout cas dans l'écriture des habitantes du Bal des folles. Elles se détournent du commun des mortels sans ambages. Elles donnent à voir de l'incongru, de l'hermétique, du bizarre, du pitoyable. Et puis peu à peu l'on est pris d'affection pour cette cour des miracles et ses bigarrures. D'autant plus bien sûr quand la cruauté du dehors surgit. Mais les folles ne sont pas de simples victimes à défendre comme la veuve et l'orphelin. Le lecteur découvre les arcanes d'autres lois au-delà du palpable.

Quelques autres qui gravitent autour de ce peuple d'amazones tête à l'envers, sont conquis par leur fausse démence, s'ouvrent à l'irrationnel et de fait à une bienveillance qui leur faisait clairement défaut. La rigueur cède devant la vulnérabilité et son pouvoir.



Le bal des folles s'annonce sans ambiguïté : la folie des femmes. Sans complexe aussi l'on y parle de cette folie. Et « les folles » ne sont pas de faux êtres ou demi-humaines. Elles sont plus denses et réelles que leurs pairs. Un hommage à la folie ou l'énigme désignée telle, car en effet le concept laisse dubitatif dans ce contexte du XIXe siècle. L'on y constate la relativité de la définition de la folie et l'on prend tout en douceur mais en pleine face cette interrogation latente normal-anormal. L'on se complaît tous, soyons un peu honnêtes, dans notre confiance en notre normalité. Pour ce faire, désigner l'autre reste la solution la plus aisée. Mais ici, les repères se meuvent et l'on s'insurge. Avant de se retourner sur sa réalité contemporaine et la folie d'aujourd'hui. L'arbitraire s'y rapproche de sa pureté. Alors on opte pour la folie douce car on ne sit lus qui est quoi.

La folie est une poésie. Un art. « Une manière d'être et de se placer dans le monde » (p.229). Un don pour ceux qui la portent. Les limites se brouillent. Le regard des hommes en fait une tare. De l'intérieur, dans le secret des dortoirs de l'hôpital, la folie s'épanouit en esthète. L'asile est un univers de beauté avec ses personnages, sa danse, ses drames, ses couleurs, ses chants.



Pas de doute, Victoria Mas écrit un livre-femme. Le parti pris est clair. Tenons-le pour acquis. Les femmes tiennent le haut du pavé, les hommes demeurent de l'arrière-plan. Il ne s'agit pas de féminisme à proprement parler. L'écriture est plus tendre que militante. Pour autant la narratrice (prenons nous aussi ce parti-là) ne se pose-t-elle pas en témoin à rebours de ce gynécée asilaire ? La question reste ouverte. A chacun sa lecture.

Les grands hommes essaimés au long du récit sont davantage des poupées de décor que de réels personnages. Ils incarnent paternalisme et étroitesse d'esprit, assez impitoyable il faut bien l'avouer. Une exception confirme la règle et évite un manichéisme contestable. C'est comme si les puissants de ce monde, ironie littéraire, n'était que des pantins de la narration, des images figées. En tout cas certainement pas les héros. L'ordre du monde fait la culbute.



Victoria Mas, Le bal des folles – Editions Albin Michel – 9782226442109 – 18,90

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