Le
bal des folles ou le monde à l'envers
A
travers un univers asilaire régi par les exigences de bienséance
des hommes, Le bal des folles nous propose un palais de femmes
héroïnes, survivantes et conquérantes. Et la folie esthète.
Qui
sont les rois de cette histoire ? Ce sont des reines, toutes des
reines. Mais qui choisir ? Geneviève ? Eugénie ? Le
gynécée tout entier ? La Salpêtrière ? Pas de facilité
en tout cas dans l'écriture des habitantes du Bal des folles.
Elles se détournent du commun des mortels sans ambages. Elles
donnent à voir de l'incongru, de l'hermétique, du bizarre, du
pitoyable. Et puis peu à peu l'on est pris d'affection pour cette
cour des miracles et ses bigarrures. D'autant plus bien sûr quand la
cruauté du dehors surgit. Mais les folles ne sont pas de simples
victimes à défendre comme la veuve et l'orphelin. Le lecteur
découvre les arcanes d'autres lois au-delà du palpable.
Quelques autres qui gravitent
autour de ce peuple d'amazones tête à l'envers, sont conquis par
leur fausse démence, s'ouvrent à l'irrationnel et de fait à une
bienveillance qui leur faisait clairement défaut. La rigueur cède
devant la vulnérabilité et son pouvoir.
Le
bal des folles s'annonce sans ambiguïté : la folie des
femmes. Sans complexe aussi l'on y parle de cette folie. Et « les
folles » ne sont pas de faux êtres ou demi-humaines. Elles
sont plus denses et réelles que leurs pairs. Un hommage à la folie
ou l'énigme désignée telle, car en effet le concept laisse
dubitatif dans ce contexte du XIXe siècle. L'on y constate la
relativité de la définition de la folie et l'on prend tout en
douceur mais en pleine face cette interrogation latente
normal-anormal. L'on se complaît tous, soyons un peu honnêtes, dans
notre confiance en notre normalité. Pour ce faire, désigner l'autre
reste la solution la plus aisée. Mais ici, les repères se meuvent
et l'on s'insurge. Avant de se retourner sur sa réalité
contemporaine et la folie d'aujourd'hui. L'arbitraire s'y rapproche
de sa pureté. Alors on opte pour la folie douce car on ne sit lus
qui est quoi.
La
folie est une poésie. Un art. « Une manière d'être et de se
placer dans le monde » (p.229). Un don pour ceux qui la
portent. Les limites se brouillent. Le regard des hommes en fait une
tare. De l'intérieur, dans le secret des dortoirs de l'hôpital, la
folie s'épanouit en esthète. L'asile est un univers de beauté avec
ses personnages, sa danse, ses drames, ses couleurs, ses chants.
Pas
de doute, Victoria Mas écrit un livre-femme. Le parti pris est
clair. Tenons-le pour acquis. Les femmes tiennent le haut du pavé,
les hommes demeurent de l'arrière-plan. Il ne s'agit pas de
féminisme à proprement parler. L'écriture est plus tendre que
militante. Pour autant la narratrice (prenons nous aussi ce parti-là)
ne se pose-t-elle pas en témoin à rebours de ce gynécée
asilaire ? La question reste ouverte. A chacun sa lecture.
Les
grands hommes essaimés au long du récit sont davantage des poupées
de décor que de réels personnages. Ils incarnent paternalisme et
étroitesse d'esprit, assez impitoyable il faut bien l'avouer. Une
exception confirme la règle et évite un manichéisme contestable.
C'est comme si les puissants de ce monde, ironie littéraire, n'était
que des pantins de la narration, des images figées. En tout cas
certainement pas les héros. L'ordre du monde fait la culbute.
Victoria
Mas, Le bal des folles – Editions Albin Michel –
9782226442109 – 18,90 €
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