J'ai attendu patiemment d'être prête pour toi. On m'avait prévenue. Pas facile Proust dis donc ! Tu verras ce qu'elles sont longues ses phrases ! J'ai jamais réussi à en finir un ! C'est beau hein, mais bon, c'est lent, il ne se passe rien. Ca sert à rien d'écrire autant pour ne rien dire ! Je l'ai lu trop tôt, ça m'a dégoûté ! Non, je n'aime pas. Beaucoup de Non injustifiés.
Et les silences énigmatiques des conquis, silences ou un simple Merveilleux ! les yeux pétillants.
J'ai écouté. Autant de commentaires qui me donnaient envie de te découvrir. Mais, pour une fois, je me suis montrée patiente, très patiente. J'ai attendu la fin du lycée, je me suis fait tout un monde autour de toi et de tes livres. Je ne savais pas ce qu'ils pouvaient contenir mais je constatai : chaque mangeur de livres avait quelque chose à en dire. Et ce mystère, il me fallait le lever. Pas tout de suite ; l'heure viendrait.
L'esprit déjà un peu magique, j'attendis.
Et vint le jour où je t'ouvris : je n'eus pas besoin de m'habituer, je n'eus pas à observer ce temps de latence que tout lecteur doit traverser avant d'être dans le livre d'un grand auteur, d'un vrai artiste. Tu me parlais à moi ; nous étions du même bord, nous étions de la même famille. Je me sentais moins seule, j'avais l'impression que nous pensions au même rythme, avec autant de détours, que nous pouvions ne pas nous perdre de vue tant nous nous ressemblions. Je n'étais pas bien sûre de mon enthousiasme : est-ce que je ne m'emportais pas un peu ? Je me réfrénai, prudente. C'était tout ce que j'avais imaginé qui pouvait enfin se déverser, c'était cela. Et puis, chaque fois que je te rouvrais, que je me plongeais dans ton univers, je replongeais, accroc. J'en vins à ne plus freiner mes ardeurs : Cela demeurait, j'avais trouvé quelque chose. Je ne me souciais que peu de ce que j'avais trouvé, de ce que c'était. Je me fichais de le définir ou de le comprendre, je n'étais plus envahie de cet irrésistible besoin de comprendre chaque parcelle du phénomène. Je l'acceptai : je possédai quelque chose que j'avais longtemps, longtemps cherché. J'arrivai à m'en satisfaire. M'en satisfaire. M'endormir réunie avec moi-même, entière et pleine.
Désormais, tu es là en moi et je ne te lis pas souvent Marcel. Je n'en ai pas vraiment besoin, tu es imprimé en moi. Ton monde m'habite ou j'habite le tien, je n'en sais rien. Encore une fois, peu m'importe. Je t'ouvre de temps en temps et nous nous rejoignons, je suis chez moi, nous sommes chez nous. Je sais que tu es là, que je peux compter sur toi. Oui, mort mais sûr, absolument sûr. J'ai une absolue confiance en toi. Absolu, c'est tout ce que je peux en dire. Je ne compare pas, je ne glose pas ; je bois, je mange ce que tu me donnes, ce que tu nous as laissé à nous tes descendants qui avons cette chance de pouvoir t'aimer.
Il ne me reste plus aucun recours ? Si, il y a toujours quelques pages des Jeunes Filles, le bourdon de Sodome, le salon et les éblouissantes robes d'Oriane, l'aquarium humain de Balbec, Charlus, Swann et toi. Vous êtes là, je peux faire appel à vous, vous me sauvez. Je vous garde tout près de mon lit, à mon chevet au cas où. Marcel, tu as sauvé un espoir en moi. Tu l'as retenu, tu lui as donné raison. Je ne te connais pas, ne te connaîtrai jamais. Tu ne m'as jamais connue. Mais tout me fait sentir le contraire.
Est-ce qu'il y a d'autres familles ? Est-ce qu'il y a des familles que l'on se trouve ? en plus ? Marcel tu as été le premier membre de cette famille d'adulte que chacun se forge pour être lui et lui seul. Tu es le socle de ma famille choisie, son terreau. Un peu secret, tout le monde n'apprécie pas et je ne veux pas qu'on te salisse. Je ne parle pas beaucoup de toi mais tu es mon socle. S'il y a vraiment lieu, je te montre et je suis entièrement moi aux yeux de celui qui me regarde avec toi. Sans toi, je ne serai pas ce que je suis. Je ne délire pas, je n'affabule pas, je n'exagère pas : j'ai là aussi attendu de savoir si j'avais raison, si je pouvais te faire confiance. Malgré tout. J'avais été trop échaudée. Mais j'avais trouvé un moteur, une force de vie. Je le maintiens : tu m'aides à vivre. Tu es mort et tu m'aides à vivre. Un absolu que je ne ne comprends pas et que j'aime à ne pas comprendre.
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