La place est bondée, elle est grouillante de gens, de gens comme moi. C'est ce qu'il faut que je pense. Ils sont comme moi, ils sont comme moi, ILS SONT COMME MOI. Oui, je commence à m'agacer intérieurement. Je maintiens ce faux sourire absurde mais nécessaire puisque je ne peux pas faire confiance. Ils plaisantent à côté de moi, ils sont à l'aise. Ils sont inconscients. Cette foule va peut être se mettre à hurler, à ruer, à cavaler comme un troupeau de gnous et à écraser tout ce qui sera sur son chemin. Je sais que je ne ferai pas partie de ceux qui courent. J'aurais été congelée en une seconde à la vue de la catastrophe imminente. Et mon corps ne m'appartiendrait plus. Nous n'en sommes pas encore là et ces gens se comportent comme un groupe d'individus plutôt calmes, paissant tranquillement autour du buffet et partageant des signes d'affection ou de tolérance teintée d'une agressivité contrôlée. Pas de combat de chefs ici et maintenant ; il faut se plier aux règles, et tous les compromis sont de circonstance. Ce rassemblement me pétrifie. De quoi sont-ils capables, en aucun cas je ne ferai confiance ! Je n'oublie pas le troupeau de gnous qui dort en eux. Je ne me sens pas un de ces gens, je ne me sens pas un gnou en puissance ni un dominant soumis aux lois de la jungle. Je suis une dominée, une de ces bêtes que les autres agressent en premier, d'abord parce que je me laisse faire, et qui ont même du mal à trouver où se tenir et comment, debout, assise, allongée, à côté de qui, dans quel coin de la pièce... Je me sens illégitime, mon corps le leur dit, ils me pensent illégitimes et le clan s'unit dans cette pensée. S'il faut faire un sacrifice, je sais qui sera la victime et je sais que je ne lutterai pas. Les antilopes ont bien plus de courage que moi. Elles se battent jusqu'au bout, alors qu'elles sont cuites et recuites depuis déjà cinq minutes les belles. J'essaye de me frayer un chemin, et je ne suis pas même seule, nous sommes quatre, la route devrait s'ouvrir naturellement devant nous. Devant eux oui mais elle pourrait se refermer contre moi. On ne sait jamais de quoi les gens sont capables. Finalement, nous atteignons le buffet et parvenons à nous faire un trou. Moi y compris, pas moins que les autres, c'est surprenant. Mais après, il faudra trouver un siège ou une place dans un groupe, s'intégrer. Ou rester seule. Outre le mur à contempler le groupe. Je ne sais pas encore. Je me rassure déjà d'être arrivée à la nourriture et de ne pas avoir subi une seule agression. Pas un coup de dent, pas une griffure, même pas une bousculade, ou alors un petit coup d'épaule accompagné d'un aimable "excusez-moi". Je n'ai pas ouvert la bouche depuis que je suis entrée dans cette énorme salle, je pense et j'assure mes arrières, je ne peux pas tout faire en même temps. D'ailleurs, je ne pense pas que les gnous ou les antilopes dans la savane se prennent à parler pour le plaisir de la conversation alors qu'ils doivent échapper au lion. Ce serait aussi absurde que si je me mettais à être spontanée. Le faux sourire rassure tout le monde et le tour est joué. Je n'ai pas ma place non, mais je ne suis pas honnie. J'ai même pu me sustenter ! Je sais que je me répète mais c'est un peu miraculeux. Mes acolytes m'ont bien aidée sans doute. Je n'y ai pas vraiment prête attention. Ils font tout autant partie du troupeau imprévisible. Eux, ils sont spontanés et ils pourraient d'un coup partir au galop, tête baissée, sans états d'âme. Je me dirige vers une chaise libre à côté d'un gens connu. Il est sympathique et calme. Tout ce qu'il me faut. Ce n'est pas le chef, il ne me protégera pas mais tant mieux. Je n'y crois pas de toute façon. Et puis je ne veux pas avoir à faire de révérence. Je m'assieds. Il parle avec son autre voisin et n'a pas fini sa conversation. Je m'en doutais, il ne me sera d'aucun secours non plus lui. Je veux m'en aller, sortir d'ici. Mais je ne peux pas. Je dois attendre encore au moins 1h, c'est le temps réglementaire. Je me vois déjà compter les minutes, tremblotante et ridicule. Je les garde, ils se meuvent, rient, réfléchissent ensemble. Mon Dieu, je ne suis pas eux.
"Alors, comment vas-tu ? Excuse-moi, je n'arrivais pas a me défaire de ce gentil monsieur extrêmement bavard. Je t'avoue que je t'attendais. J'ai pris ces places pour toi et pour moi comme observatoire. On va voir ce qui se passe ce soir, hein ma jolie ? Dis donc ! Je n'avais pas fait attention, tu es magnifique ce soir !"
Je suis magnifique ce soir... Ca alors !
"Alors, comment vas-tu ? Excuse-moi, je n'arrivais pas a me défaire de ce gentil monsieur extrêmement bavard. Je t'avoue que je t'attendais. J'ai pris ces places pour toi et pour moi comme observatoire. On va voir ce qui se passe ce soir, hein ma jolie ? Dis donc ! Je n'avais pas fait attention, tu es magnifique ce soir !"
Je suis magnifique ce soir... Ca alors !
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