jeudi 16 août 2012

Le mur

          Elle se réveille, un peu groggy, elle ne sait pas très bien où elle est. C'est qu'elle n'est pas chez elle, non. Elle a beau chercher des objets familiers, aucun ne vient à son secours. Elle tourne son regard de tout côté, pour l'instant calmement, mais elle sent que la fébrilité la rattrape et qu'elle va sentir monter en elle la terrible vague qui asphyxie et son acolyte à l'extérieur, le mur qui interdit et empêche. Elle se connaît, elle veut absolument éviter la noyade. Elle se lève. Elle n'en avait pas encore fait cas mais il y a bien quelqu'un qui dort dans le même lit, un homme, une femme, peu importe, elle doit sortir d'ici. Elle trouve ses affaires entassées dans un coin juste à côté du lit. Heureusement qu'elle n'a pas la fâcheuse habitude de lancer voluptueusement dans les airs son soutien gorge et sa culotte avant l'amour. Et elle sort aussi discrètement et doucement que possible. Elle s'habille en hâte. Elle ne veut qu'une chose, rentrer chez elle immédiatement ! Retrouver son univers, des choses qui lui parlent, une clef qui cliquète comme elle aime, un chat mécontent de son absence inopinée, un café dans sa vieille et laide cafetière prête à crever d'un jour à l'autre mais qu'elle n'euthanasierait pour rien au monde.
Elle est sortie, elle a réussi. Elle a bien entendu un petit bruit et quelques paroles venant de la chambre, elle en a été pétrifiée. Et puis plus rien. Elle a attendu, prudente, puis s'est faufilé jusqu'à la porte et s'est envolée le pus vite possible. Une fois dehors, c'est une autre histoire : elle ne reconnaît rien, elle ne sait pas où elle est, elle n'a pas de voiture, en somme elle est perdue. Elle court à tout hasard. Elle ne cache pas le bus qui pourrait la ramener près de chez elle, elle n'est sûrement pas si loin que cela. Elle court parce qu'elle ne peut pas faire ces choses inconnues que les gens font tous les jours. Courir elle sait, un bus au trajet inconnu, un chauffeur de mauvais poil, des passagers méfiants voire agressifs, elle ne sait pas faire. Un mur se dresse devant elle, elle n'a de choix que courir jusqu'à ce que ses forces l'abandonnent. Mais elle sait que l'angoisse qui sort, pour le moment, qui la menace de se répandre en elle, la ferait courir des heures durant. Elle court, elle ne sait pas combien de temps. Elle reconnaît peu à peu quelques rues, ça y est, elle peut se repérer. Peut-être qu'elle pourra sauter dans un bus habituel si elle en croise un et si le mur ne se dresse pas devant elle encore une fois pour l'empêcher d'agir. Ce mur contre lequel elle se bat depuis toujours et qu'elle fait tant d'efforts pour contourner pour avancer quand même. À force de stratagèmes ridicules parfois et honteux qu'elle se garde bien d'expliquer à un que ce soit.
       Elle arrive en bas de chez elle, un peu incrédule. Déjà ! Elle a couru très vite aujourd'hui. Elle monte et s'effondre dans son canapé. Qu'a-t-elle encore fait hier soir ? Elle se pose à elle-même cette question absurde dont elle connaît parfaitement la réponse : elle était à bout de lutter, le mur était plus fort que jamais, même dans ce qu'elle sait faire et à l'habitude de faire, il s'opposait à elle et elle se trouvait bloquée dans ses actions à chaque instant. Passer la journée au travail à faire semblant qu'on accomplit tranquillement le travail quotidien, on a l'expérience maintenant ! Mais non, une de ces journées où elle a dû louvoyer, contourner, sauter, courir, grimper pour exécuter les plus simples des tâches. Et ses collègues de s'émerveiller de sa régularité dans le travail... Elle les regarde en souriant ; triste ? dégoûtée ? méprisante ? agacée ? Un peu de tout cela oui.  Elle a puisé au fond du ballon d'énergie, elle a dû racler les bords jusqu'à se nourrir des miettes qui restaient pour l'aider à finir la journée sans imploser.  Et le soir, elle a passé les portes coulissantes du bureau et ça s'est mis à papillonner et virevolter dans sa tête et elle est partie pour son bar de consolation. Elle a bu, un peu. Elle était plus calme et le mur commençait à s'effriter. Mais ça n'était pas suffisant. Elle voulait la vraie sérénité, la mer d'huile. Alors elle a continué à boire jusqu'à sentir le monde s'étendre à perte de vue devant elle, accessible et accueillant. Puis, elle ne sait plus, elle a probablement perdu pied diront certains. C'est à dire que pour une fois elle a parlé sans peur à ceux qui lui semblaient sympathiques, elle s'est avancée vers eux naturellement, a échangé quelques phrases simples mais directes. Et puis, elle a oublié la suite. Elle a sans doute suivi l'un d'eux ou l'une d'elles sans s'imaginer que le plaisir et la douceur.


Elle s'est réveillée ce matin. Et voilà. Une énième fois la même histoire de mur, d'épuisement, de papillons dans la tête, d'alcool, de sexe et d'oubli.

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