vendredi 28 octobre 2011

Rêver

A Martin 

  Tu as été celui devant lequel je m'émerveillais durant toute mon enfance. Nous n'avions pas vraiment de lien, nous vivions sous le même toit et tu étais celui qui faisait battre mon coeur de toute petite fille. Déjà, je m'en voulais de m'émerveiller, déjà, eh oui ! je ne voulais te trouver si beau, si drôle, si délicat et pourtant c'est tout cela qui me captivait chez toi. Cela n'a pas duré que le temps de l'enfance tendre, cela a continué encore et encore, pendant des années. Tu étais mon prince secret, je voulais que le monde te ressemble. Je ne le disais à personne, j'avais trop honte mais tu étais la perfection à mes côtés, la perfection que je n'atteindrais jamais. Nous nous parlions très peu et cela me semblait plus que normal : je ne faisais pas partie de ton univers, j'étais trop petite, trop insignifiante et bizarrement,, trop brune. Ta blondeur me fascinait et je ne rêvais que de ne pas être cette petite fille aux cheveux si foncés et aux yeux noirs. Je rêvais d'accéder au cercle fermé des princes et des princesses blonds. J'étais parfaitement consciente de l'impossibilité de mon rêve, je n'avais que 5 ans mais je savais que jamais je ne serai une blonde fascinante qui habiterait la même planète que toi. Je n'étais pas assez et toi tu étais parfait. Je t'admirais de loin, honteuse de cette admiration et de moi, strict opposé de toi. Souvent je te regardais en catimini, tu n'aimais pas ça. Je croyais que c'était parce que je n'étais pas de ton monde et que je ne devais pas trop m'approcher de ce qui était trop beau pour moi. Lorsque tu me parlais, j'étais comme hébétée, je me sentais idiote, faible, incapable et la plupart du temps je bafouillais quelque chose que j'essayais d'être le plus intéressant possible. Peine perdue. Je te faisais rire mais je ne trouvais pas ça drôle du tout. Je me sentais humiliée et encore plus brune qu'auparavant. J'ignore encore aujourd'hui d'où me venait cette idée de la supériorité de la blondeur. C'était néanmoins une évidence pour moi à ce moment-là. Et pendant de longues longues années par la suite. Suis-je guérie ? Je n'en sais rien, je n'en suis pas bien sûre. Mais tu es moins blond, alors je ne cherche plus de réponse ! Et je n'ai plus 5 ans, cela m'aide je crois...
    Et puis un jour, j'ai appris que tu t'inquiétais pour moi. J'avais grandi, toujours habitée de cette immense admiration face à toi, toujours interdite quand tu m'adressais la parole, toujours aussi brune. Ce jour-là, mon monde a été bouleversé. Je n'y croyais pas ; tu t'inquiétais de moi. Je n'ai pas compris tout de suite, je n'ai pas cru tout de suite. Il m'a fallu l'entendre plusieurs fois. 
Je n'étais désormais plus la même à mes propres yeux. J'avais une valeur. Ton regard m'importait plus que celui de n'importe qui. Et puis, un lien s'est tissé entre nous, un vrai et beau lien. Un lien qui ne cassera jamais. Absolument jamais.C'est le lien qui m'a sauvée de la bouge où je pataugeais .Je suis toujours aussi brune, toi un peu moins blond, je l'ai dit, mais nos deux univers n'en étaient en fait qu'un seul et même.  En tout cas désormais. Et j'ai dû vivre plusieurs grandes années d'échanges et de preuves d'amour pour y croire vraiment.

     Aujourd'hui nos mondes se sont rejoints et sont même si proches ! Et cette admiration, cette fascination de petite fille n'a pas complètement disparue, je l'avoue, non sans quelque gêne. Gêne oui mais aussi plaisir. J'ai voulu effacer, éradiquer cette enfant qui t'aimait trop à mon goût. J'ai voulu la laisser derrière moi. Je suis aujourd'hui heureuse qu'elle ait résisté à mes attaques et que mon rêve d'enfant soit intact. Je n'étais pas une enfant ni une adolescente qui rêvent, je ne le suis toujours pas en tant qu'adulte. Mais ce rêve-là, il est en moi.  J'en ai au moins un et je le garde précieusement malgré les bourrasques de la vie. A moi, d'apprendre à rêver encore davantage, encore plus loin dorénavant, à moi d'accepter les incongruités du rêve : blond, brun...



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire