Pas un bras
pas une jambe
pas la bouche
pas un œil
qu’on laisse derrière soi.
Je suis entière,
palpation totale,
rien ne manque
à l’appel.
Le bon petit soldat est
au complet.
Pourtant
un gros morceau
s’arrache
peu à peu
sans que je sache
d’où il part
où il va
et comment le remplacer,
si même il est
à remplacer,
s’il faut laisser le trou
apparent
béant
pendant
s’engouffrant dans le vide
environnant
et bientôt disparu.
Comme une énorme bouche
à la lèvre inférieure
qui se déroule
jusqu’à la base de langue
et finit
par se replier
comme un haricot rabougri
par en dessous,
l’enfant qui pleure
et inverse sa lèvre.
Pour finalement se manger elle-même
et laisser
langue et supérieure
sans acolyte
sans leur repère.
Elles ne se laisseront pas
aller
pour autant,
elles savent que
leur maillon fort
est aussi leur faiblesse
et qu’il leur faut
s’attacher à d’autres.
Elles ne resteront pas seules
si longtemps
qu’elles en pourriraient.
Sinon, la lèpre
les attraperait.
Tout le monde sait
qu’ainsi va la vie.
Comme tous,
elles trouveront
une nouvelle
compagne
fidèle.
Mais pour l’instant,
on n’en est pas encore à
ce stade-là.
Je sens la bouche amputée,
l’âme boiteuse.
C’est toute une parole
tout un corps
qui s’arrêtent
en plein milieu
et qui doivent reprendre
autrement
dans un autre univers. Pas de regret,
pas de remords,
pas de désespoir
pas de cris.
Mais oui la douleur
de se séparer
et ne plus jamais
revenir
en arrière.
plus jamais
retrouver
l’exacte même chose.
Même si j’ai renoncé
sciemment
à cette exacte même chose,
je rampe en cul de jatte
quand le souvenir
me reprend,
ou me déplace
sur la tête.
Parce que d’un coup,
le monde tourbillonne
et je me trompe,
je dévale
ou je lambine à 2cm l’heure,
une jambe plus courte
que l’autre,
une lèvre déconfite et
la bouche immangeable.
La vie continue
et la douleur s’endort,
elle est douce
comme jamais.
Non qu’elle soit agréable,
Masoch n’aura pas tout
gagner.
Mais elle me laisse poursuivre
et inventer
déjà
les nouveaux mots
les nouveaux cieux.
Je ne l’aurais pas cru,
quelques années en
arrière,
si conciliante.
Je lui donne aujourd’hui
moins de pouvoir
sans doute.
Elle a cessé aussi
de s’arroger
tous les royaumes.
Parfois, elle ouvre un œil.
Parfois elle dit un mot.
Parfois elle mord brutale.
Parfois elle crame la face.
Piques imprévisibles.
J’ai l’impression
qu’elle joue seulement
son rôle,
sans zèle,
comme un vieux cadre
fatigué.
Pour la forme.
Là encore,
ce sentiment bouffon
roi de l’absurde
qui vient me dire que quelque chose
s’est
bel et bien
fini
il n’y a pas si longtemps.
Je sais que les immondes canyons
ne s’effaceront pas,
qu’un jour ou l’autre,
l’un d’eux
peut m’engouffrer.
Je n’y serai jamais
à l’abri,
comme chacun de nous.
Je le sais,
je ne l’oublie jamais.
C’est un bien,
c’est un mal,
je n’en sais rien.
C’est un fait.
Chaque jour,
je jouis
de ce non-désespoir
et de pouvoir
sourire.
L’époque des grands canyons,
et les autres repères,
qui chacun ont une fin.
Mutilations inévitables
que ces fins
enchaînées,
de relations
en
histoires
arrêtées.
Je jouis de mon
non-désespoir
et pourtant,
le cœur pince
à l’idée de cette fin
que je loue
si gaiement.
Les cycles infernaux
et sublimes
des ruptures
et renaissances
implacables.
Ou choisies ?
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