lundi 15 juin 2015

La question du courage

J’écris, je gratte la plume, je frotte le papier dans l’espoir de bellement l’enflammer.
Il sort des étincelles. C’est mieux que rien oui. La grande flamme se fait attendre. Elle paresse dans l’encrier. Elle ne quittera pas le corps chaud de la plume.
J’écris, j’avance. Doucement. Sans jamais bondir ni virevolter. Les pirouettes se font rares. Elles me font sentir vive et voix. Je ne sens qu’une histoire qui n’a pas trouvé sa magie. Je n’ai pas besoin de plus de baguette, de plus de trucs. Mais je piétine autour du cœur. Je tournicote. Je fais des ronds dans le sable. Je dessine, bien je dessine, mais autour du cœur. Je ne parviens pas à l’atteindre.
Je relis quelques pages et je sens pourtant un beau fond. Une ligne pas si bête. Mais le chemin est lourd et crevard. Les talons pèsent.
Je cherche le cœur, j’avance, je recule, je tâtonne. A la force du poignet. Je suis courageuse. Je ne baisse pas les bras. Presque pas. Je me rapproche mais jamais ne le touche.
Je suis près. Je n’y suis pas.
Et puis, je me dis que je dois y être pour quelque chose. Ce cœur, puis-je vraiment l’atteindre ? Le désiré-je vraiment ? c’est cette ultime question. Toujours. As-tu ta part dans tes obstacles Clémence ? Ne les aimerais-tu donc pas ? Ne les chérirais-tu pas ? Ne pas arriver jusqu’au cœur pour continuer d’imaginer, de croire. Continuer de rêver et cauchemarder. Continuer avec les monstres apprivoisés. Ne pas perdre ses repères même vicieux. Continuer d’imaginer un énorme monde là où l’on n’y voit pas. Derrière le rideau. Ne pas se retrouver avec un tout petit cœur dans les mains. Pas plus grand les mains. Pas plus gros. Un modeste cœur. Et tomber de la falaise où on s’était hissé pour surplomber l’énorme monde. Tomber de haut et de rien. Tomber de sa hauteur. Tomber de son propre vertige.
Rien de plus juste que le vertige. Absolument imaginaire. Absolument limpide de son néant. Le vertige, plein de rien. Le vertige sans forme sans couleur. Le vide absolu. Angoisse qui tourne sur elle-même. Le chien qui court après sa queue, qui l’attrape, s’y accroche et continue tout de même de tourner. Angoisse qui s’angoisse. Spirale psychédélique.
Et après le vertige, on doit bien en sortir. On doit bien reculer du bord et revenir à l’environ, l’autour plutôt lointain surtout si, on est soucieux de sécurité.
Et alors reprend la danse en circonvolutions lâches autour du cœur-totem. On ne touche pas au totem. On le respecte et le vénère. Et on n’apprendra donc jamais le réel ? On se nourrit d’histoires. C’est idiot et nécessaire. Les faits ne suffisent pas. Et bien entendu qu’on se nourrit d’histoires chacun à son niveau d’imaginaire. Mais je ne dispose même pas des faits. Les médiévaux s’en délectaient d’histoires avec habileté et intelligence. Je ne sais pas faire sans l’Histoire d’aujourd’hui et ses calculs. Je ne suis pas si sage qu’eux. J’ai besoin de savoir pour croire. J’ai besoin de comprendre une lutte pour l’abandonner. Ils sont tous morts et enterrés. Ils ne parleront plus.
Il reste, oui, leurs enfants. Je ne pose pas de questions. Je ne pose plus ou n’ai jamais posé. Je ne sais même pas. Je sais que quelque chose me répugne dans cette conversation. M’écœure. Comme les mariages et les beaux sentiments. Comme les meringues mauves et vichy rose. Comme les déclarations dégoulinantes et les extravertis trop tendres. Je suis arrêtée par mon esprit de propreté et de correction dans cette affaire. J’ai peur de mon mépris, des larmes de ceux qui doivent tenir le coup pour moi leur fille quoi qu’il en coûte. Je ne veux pas les consoler. Je ne veux pas encore absorber leur souffrance. Mais ce sont bel et bien les riches détenteurs de cette science généalogique. Le courage n’est pas toujours là où l’on croit. C’est peut-être davantage mes nausées que mes peurs que je dois affronter. Les nausées viennent et reviennent, avec la lune. Je peux donc aisément les laisser aller et venir. Rester tranquillement en transat. Penser, penser, penser encore et dire que je réfléchis dur. Faire taire ceux qui disent que je ne bouge pas. C’est le cerveau qui bouge les mecs, c’est un truc invisible. Mais c’est la course sous la caboche, faut pas croire ! Tout en n’avançant pas d’un iota. Ils ont raison. Cette passivité assise ou allongée. Jamais debout. Ou alors en vitesse. Et puis, avec regrets. Regretter de prendre sa place en humaine érigée. Plutôt creuser mon trou dans le fond du transat increvable. Il tient des décennies. Jusqu’à la mort s’il doit. On peut tout demander au transat sans bouger. Il ne bougera pas plus. Aucune patte ne poussera. Aucun cerveau non plus. On est sûr de son inefficience. Alors, voilà ! on ne craint rien. Plus idiot il sera, moins j’en aurai à craindre. Je penserai seule et seule. C’est mieux que le courage. Je ne trouverai rien de plus. Je suis handicapée. Et la guerre est finie. Et je fais mon yoga sur le champ de bataille sanguinolent. Sans plus penser à ça. Je suis handicapée, c’est acquis, c’est ainsi. Amen. Et cours la vie. En transat loin du bord.
Aujourd’hui, je suis face à un immense mur. Le mur de Chine tout autour de mon cœur et du leur, ceux qui m’ont engendré. Sans percée, sans pierre branlante, sans aucune imperfection salvatrice. Alors, oui, ceux que j’ai haïs de me dire d’avoir plus de courage, aujourd’hui je les entends. Résonnent leurs paroles accusatrices. Elles ne l’étaient sans doute pas. Elles disaient « Sacrée bonne femme, mets-toi debout et ouvre ta gueule ! » Si je ne veux pas reculer et traverser le transat cul par terre, j’entends que je n’ai plus le choix. A moins de ne jamais grandir.

Alors j’écris cela, en attendant le courage, j’écris que je me demande et que peut-être en l’écrivant, le cœur sera à ma portée. En l’écrivant, je cesserai de me détourner du vrai cœur. J’espère. Certains parlent de la magie des mots. Je parle de la magie de l’encre. Les mots parlent parce qu’ils caressent, parce qu’ils existent plus que dans l’air. Les mots seulement vibrés ne m’animent pas. Je dois les coucher et les voir se courber et se rythmer sous ma main. Les mots s’impriment et se laissent boire par le papier. Ils s’accouplent, ils partousent. Ils n’ont peur de rien. Ils sont fous. Il y a des lois mais qui oblige ? Les mots sont libertins toujours prêts à partie fine. J’exploite à l’envi leur insatiable libido.

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