mercredi 17 juin 2015

Le coeur désaccordé

            Quelques années, des mois et des mois, à la queue leu leu, le cœur s’est arrêté. Il a battu encore, bien sûr, mais juste un métronome, seul dans son coin de cage. Il est réglé. Il suit la règle. C’est un réglo. Il cognera quoi qu’il arrive.

Pourtant, il s’est arrêté.

Parce que tout un chacun sait que le cœur gongue jour et nuit sans restriction, sans RTT, sans assurance.
Pourtant, mais oui !, il s’est arrêté. Il a cessé d’être le premier. Il a laissé sa place. Il a lâché ses veines et artères. Il les a libérées. Il les a déléguées aux autres belligérants. Il a laissé le monde rouler sans lui. Non pas parce que le moment était venu. Mais parce qu’il n’en voulait plus. Plus être la force. Plus être Le cœur. Plus n’être qu’un organe parmi les autres. Sans plus de vie qu’un foie ou estomac.

Il s’est arrêté au beau milieu de l’immense route. Les conditions qu’il avait jusqu’alors acceptées sans broncher, toujours courageux volontaire, toujours fidèle, il les a fait valdinguer. Dans l’espoir du pour toujours.
Il s’est arrêté. Il s’est laissé emporter par le mouvement enregistré de tous les autres. Ils ont suivi la longue habitude Ils ont fait comme les seize années passées. Ni plus ni moins. Lui, il les a laissés barrer et se porter et se supporter par leurs propres moyens.
Le cœur n’a pas dit ce qu’il cachait derrière la tête. L’idée que bientôt, tout cela pourrait être différent. Que le climat s’adoucirait, que les prédateurs s’éloigneraient, que quelque chose l’accueillerait chez lui. Comme dans son corps à lui.

Il n’est pas tombé dans le bon corps.
Il aurait dû d’emblée être affilié à son corps. Voilà comment font les cœurs. Et Dieu. Et les géniteurs. Quoi que ces derniers soient bien moins capables qu’ils ne le croient. Ils ne créent rien du tout. Et parfois, la machine est dès le départ une poubelle. Une grande poubelle où on a fourré tout ce qu’on a dit qu’il fallait. La bonne conscience. Sauf que tout s’entasse en insensé. Rien n’y rythme à la même mesure. Autant s’abstenir alors. N’est-il pas ?
Parole de cœur désaccordé.

Il a espéré comme les enfants s’endormir sans mourir. Et se réveiller un autre jour à une autre place. Dans le corps adéquat. Il a espéré quelque chose d’un peu magique. Bien qu’il soit lui parfaitement mécanique. Bien que…
Il a cessé d’être sage pour changer de vie. Il ne voulait plus de ce qu’il connaissait. Il s’est gelé. Bien sûr, nous l’avons déjà souligné, il a continué la besogne. A minima. Sans plus tout l’entrain qu’il avait voulu y mettre auparavant. Sans plus aucun amour. Juste l’énorme colère qui fait lâcher le guidon et traverser l’autoroute, les yeux droit plantés au fond de ceux qui nous aiment. La tête et la folie ont pris les rênes. La folie mènerait au-delà de l’enfer. Elle peut tout. La place du cœur est bien sa préférée. Elle trépigne d’empoigner le pouvoir.

            En effet, le cœur avait raison. Un autre corps et l’esprit fou sont apparus. Un corps de glace et de métal. Sa colère l’aveuglait et il s’est soumis avec délice à l’ordre déjanté. Il aurait tranché la gorge au monde entier.

            Et puis, peu à peu, il s’est vu ralentir.
La colère même. S’est rétrécie.
Il a eu peur.
Plus d’une fois.
De suffoquer.
De ne plus avoir les forces.
Plus d’une fois, encore et encore.

Jusqu’à tout doucement accepter une nouvelle chance. Une nouvelle vie sans nouveau corps. Lui-même à l’identique. Bien que…
Jusqu’à tout doucement se reconstruire. Ila préféré la colère à la mort.
Il a été prudent.
Puis il a réchauffé.

Parfois, même, aujourd’hui, il brûle.

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