jeudi 3 décembre 2015

Amour et trou noir

      Alors, il faut, ce « il faut » judéo-chrétien qui menace de l’Enfer et des cornes, mais ici « il faut » salvateur, je dois bien l’avouer même si cela m’écorche les lèvres. Il faut déplacer tout cet amour. C’est fini, lâche l’affaire mon pote, tu n’as plus ta place vers celui ou celle-là, tu es indésirable. Trouve-toi un autre port !
- Mais je ne veux pas chercher un autre port, comme tu dis, j’aime celui-ci, j’aime même ses défauts. J’aime ses vieilleries et conneries. Je m’y suis amarré, dit l’amour, l’ancre est bien trop lourde pour moi à déplacer.
- Tu t’y feras. Tu y laisseras ton ancre, peut-être ta jambe avec. Où tu seras plus malin et tu demanderas qu’on t’aide. Certes sont prêts à longer pour aider. Encore faut-il demander, n’est-ce pas ? Ça ne sert à rien de faire le malin. Tout le monde change de port un jour ou l’autre.
- Je ne pourrai pas.
Il chiale.
On chiale tous.
Adèle chiale aussi.
En privé.
La douleur lui coupe le
Souffle
Même les
Tifs,
Comme si elle était
Devenue
Brutalement
Une guerrière
Désespérée
Sans cheveux
Et sans âme.
Elle sent le
Désespoir.
Le poison.
Celui qui vide
Toutes les veines,
Jusqu’à celles
Qui se cachent
Le mieux.
Le désespoir
D’amour,
Manque intégral.
Trou noir
Dans un espace
Humain.
Elle sent qu’elle a
Souffle, tifs,
Bras et jambes
Rasés .
Elle est
Tronc
Juste ratiboisé.
Arbre d’hiver
Qui ferait chialer
Le plus gai des
Fanfarons.
Au creux du corps,
L’éventration se
Poursuit.
Sans pitié.
Elle approfondit
Son travail de
Sape.
Qu’arrivera-t-il
Quand le coeur,
Le vrai,
Sera mangé à son tour ?
Le cerveau continuera-t-il
Comme si de rien
N’était ?
Adèle,
La belle Adèle,
Sent qu’elle mourra
Bientôt.
Mais, mourir
D’amour ne se fait
Plus,
Dit-on.
Peut-être pas chez les
Autres.
Alors,
Elle a envie de faire
N’importe quoi.
Tout ce qui est
Interdit.
Tout ce qui est
Dangereux.
Parce que le désespoir
Efface
Pour une fois
Les peurs.
Elle trouve plus raisonnable :
Elle se recroqueville la grande et fière rousse aux longues boucles. Elle se love dans son lit, sous sa plus grosse couette. Elle serre si fort dans ses bras la peluche la plus douce. Pourvu qu’il y a du pelage, que cela ait l’air vivant, qu’elle fasse semblant d’y croire, qu’elle retrouve un doudou. Elle sait très bien ce qu’elle fait. Ça fait tellement chaud dans le dos et les pieds, là d’où son corps tient. Même les mains toujours bleuies se réchauffent. Il y aura la sortie mais n’y pensons pas pour le moment. Parfois même, elle se balance, elle se berce, ne lésinons pas sur le mot ! Elle se berce comme un tout petit. Seule ou pas tout à fait, parce qu’elle pense à des choses et des gens et elle est moins seule. Le téléphone reste loin sur le canapé. C’est un moment d’intimité avec elle-même. Elle ne crie jamais. Elle a entendu des amies lui raconter qu’elles criaient dans leur oreiller, de rage et de douleur sans doute. Elle, ça ne lui vient pas comme ça. Quand c’est vraiment trop dur, elle appelle sa mère, doucement, entre les larmes. Ce que ça soulage ! Sa mère n’en saura jamais rien. Mais elle sait qu’elle pourrait et ça suffit. Ça ne suffit pas à sortir guillerette du lit et hop la boum on part en boîte. Mais ça lui suffit à ne pas croire qu’elle est une victime du méchant monde. Elle ne veut pas de cette pensée absurde et destructrice. Elle veut vivre et rester grande et rousse, fière avec ses boucles rousses.
On ne pleure pas dans ces cas-là. Je dis bien qu’on chiale. On chiale, on chie, on conspue la vie et ceux qui nous ont fait naître. On trouve qu’aucun port, aucune ville ne vaut ce qu’on a connu ou alors qu’on n’ira jamais plus dans ces emmerdes-là.

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