Sans
pitié seulement quand elle était seule et invisible. Bien vivante,
plus vivante que jamais mais indéchiffrable. Elle n'osait pas penser
quand elle était en présence de tous les autres. N 'importe
lesquels. Elle n'osait pas penser ce qu'elle avait envie de penser.
Ca, elle ne se rendait pas compte, mais c'était ça qui la tuait à
petits feux et qui lui faisait croire qu'elle exploserait un jour en
milliers de morceaux de verre tranchants pour se reformer ou plutôt
se former enfin vraiment. Être une vraie, pas une hybride sans.
Dans
sa tête, elle retenait ses pensées.
Dans
sa tête, elle était un horrible maton.
Dans
sa tête, c'était elle la sadique.
Dans
sa tête, elle ne supportait aucun
pas
le moindre
petit
écart.
Dans
sa tête, Patate était un tyran.
Elle
croyait qu'on l'entendrait penser.
Elle
croyait que cela sauterait forcément aux yeux.
Que
même son odeur la trahirait.
Surtout
son odeur.
Elle
croyait dur comme fer à tout cela.
Tellement
dur qu'elle ne savait pas qu'elle y croyait.
Mais
elle sentait qu'elle ne pourrait pas toujours vivre ainsi et qu'un
jour dans sa tête, les plombs sauteraient, qu'il y aurait le
court-circuit du siècle. Peut-être en l'an 2000. Peut-être avant,
1999 c'était bien aussi. Il y aura un miracle ou une tragédie ou
les deux à la fois. Elle le savait. Et elle avait en cela tout à
fait raison.
Arriva
ce jour, un 24 août. Bien sûr c'est un grand saut en avant que nous
faisons là. Bien sûr ce sont des années plus tard. Mais c'est
important, c'est essentiel parce que tout prend sens. Parce que
Patate prend sens. Parce que Carotte et Petite Poisse, Piment et
toutes les autres volent en éclats avec elle et elle, en plein vol,
inhumaine, à nouveau embryonnaire ou alors enfin née, tire à vue
sur tout ce qui bouge, et se retourne sur ces années. Patate
virevolte, salto multipliés, de toute façon, elle ne retombe pas
tout de suite, et elle bombarde le passé. Elle extermine tout ce qui
a eu lieu, elle troue la poitrine de tous ces êtres qu'elle déteste
alors ouvertement. Elle épargne Piment. Ce n'est pas la même chose.
Elle déchire les autres et elle se déchire elle-même en tout
premier lieu pour être sûre de ne plus rien craindre, de n'avoir
aucune représailles. Elle se ravage déjà donc plus besoin de rien
faire de ce côté-là. Mais les autres, Patate l'observera au cours
des mois suivants ce 24 août, ne se vengent pas. Les autres sont
bien moins puissants que ce qu'elle pensait. Elle s'est complètement
trompée. Ils restent bouche bée, terrifiés et désolés aussi et
la regardent sans bouger. Au début du moins.
Ce
jour-là, elle dit : « Plus jamais je ne serai ce que j'ai
été. Plus jamais vous, vous tous ne pourrez me mépriser et
m'enterrer comme vous l'avez fait jusqu'à présent. A partir
d'aujourd'hui, je vous imposerai le respect et vous demeurerez loin
de moi pour ne pas vous blesser. Non pas pour ne pas vous salir,
comme avant. Mais parce que vous aurez peur. Enfin, à votre tour
vous aurez peur de moi et je cesserai de vous craindre jusque dans
mes rêves. A partir d'aujourd'hui, je suis Patate-ninja. Tous les
sacrifices, je les accepte, même celui de ma vie, pour exister enfin
correctement. Vous n'aurez plus jamais le droit. Plus jamais. »
Et
elle avait réussi son pari. Son pari, c'est ce qu'on dit de
l'extérieur. Sa survie, sa renaissance, c'est que Patate vous
dirait. Mais à quel prix ?
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