mercredi 1 mars 2017

Patate impitoyable

Sans pitié seulement quand elle était seule et invisible. Bien vivante, plus vivante que jamais mais indéchiffrable. Elle n'osait pas penser quand elle était en présence de tous les autres. N 'importe lesquels. Elle n'osait pas penser ce qu'elle avait envie de penser. Ca, elle ne se rendait pas compte, mais c'était ça qui la tuait à petits feux et qui lui faisait croire qu'elle exploserait un jour en milliers de morceaux de verre tranchants pour se reformer ou plutôt se former enfin vraiment. Être une vraie, pas une hybride sans.
Dans sa tête, elle retenait ses pensées.
Dans sa tête, elle était un horrible maton.
Dans sa tête, c'était elle la sadique.
Dans sa tête, elle ne supportait aucun
pas le moindre
petit
écart.
Dans sa tête, Patate était un tyran.
Elle croyait qu'on l'entendrait penser.
Elle croyait que cela sauterait forcément aux yeux.
Que même son odeur la trahirait.
Surtout son odeur.
Elle croyait dur comme fer à tout cela.
Tellement dur qu'elle ne savait pas qu'elle y croyait.
Mais elle sentait qu'elle ne pourrait pas toujours vivre ainsi et qu'un jour dans sa tête, les plombs sauteraient, qu'il y aurait le court-circuit du siècle. Peut-être en l'an 2000. Peut-être avant, 1999 c'était bien aussi. Il y aura un miracle ou une tragédie ou les deux à la fois. Elle le savait. Et elle avait en cela tout à fait raison.
Arriva ce jour, un 24 août. Bien sûr c'est un grand saut en avant que nous faisons là. Bien sûr ce sont des années plus tard. Mais c'est important, c'est essentiel parce que tout prend sens. Parce que Patate prend sens. Parce que Carotte et Petite Poisse, Piment et toutes les autres volent en éclats avec elle et elle, en plein vol, inhumaine, à nouveau embryonnaire ou alors enfin née, tire à vue sur tout ce qui bouge, et se retourne sur ces années. Patate virevolte, salto multipliés, de toute façon, elle ne retombe pas tout de suite, et elle bombarde le passé. Elle extermine tout ce qui a eu lieu, elle troue la poitrine de tous ces êtres qu'elle déteste alors ouvertement. Elle épargne Piment. Ce n'est pas la même chose. Elle déchire les autres et elle se déchire elle-même en tout premier lieu pour être sûre de ne plus rien craindre, de n'avoir aucune représailles. Elle se ravage déjà donc plus besoin de rien faire de ce côté-là. Mais les autres, Patate l'observera au cours des mois suivants ce 24 août, ne se vengent pas. Les autres sont bien moins puissants que ce qu'elle pensait. Elle s'est complètement trompée. Ils restent bouche bée, terrifiés et désolés aussi et la regardent sans bouger. Au début du moins.
Ce jour-là, elle dit : « Plus jamais je ne serai ce que j'ai été. Plus jamais vous, vous tous ne pourrez me mépriser et m'enterrer comme vous l'avez fait jusqu'à présent. A partir d'aujourd'hui, je vous imposerai le respect et vous demeurerez loin de moi pour ne pas vous blesser. Non pas pour ne pas vous salir, comme avant. Mais parce que vous aurez peur. Enfin, à votre tour vous aurez peur de moi et je cesserai de vous craindre jusque dans mes rêves. A partir d'aujourd'hui, je suis Patate-ninja. Tous les sacrifices, je les accepte, même celui de ma vie, pour exister enfin correctement. Vous n'aurez plus jamais le droit. Plus jamais. »
Et elle avait réussi son pari. Son pari, c'est ce qu'on dit de l'extérieur. Sa survie, sa renaissance, c'est que Patate vous dirait. Mais à quel prix ?

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