lundi 13 juillet 2015

Lili, MANEGE

            Lili traîne des pieds. Elle est restée chez elle tout le dimanche. Toute la vie, elle a le sentiment d’être restée chez elle. Engoncée dans une pièce puis un studio. Claquemurée ? Plus maintenant. Avant sans doute. Claquemurée dans une cage puante dévalant le canyon plusieurs fois par jour, jetée dans le vide sans pouvoir s’attraper.
Lili tourne en rond. Lili, Lily, Lila, Lilo, Lilou, on prend les mêmes et on recommence.
            Lili a l’air bête. Un peu bovine. Le sourire niais et le dos rond. Elle réfléchit, elle essaye bien. Ca tournicote ans résultat. Voilà ce que Lili pense et repense en traînant des pieds sur tout le tour de son logis. Lili aime les vieux mots un peu désuets. « Logis » par exemple oui. Elle aime les vieux mots bien confortables. Absolument légitimes et en même temps rigolos. Elle rit seule en général. Elle prête bien attention à les protéger. Elle range les livres quand vient du monde. Elle ne les prononce qu’avec ses vrais pairs.
Lili fait des tours de manège dans la modeste carriole que personne ne regarde. Elle est au-dessous des regards et c’est ça qui lui va. Elle est tranquille, suspendue à et par rien. Elle ne doit rien. Elle est au point mort. Mais bien vivante. En tout cas pour elle-même.
Le manège de Lili n’est pas enchanté. Elle n’aime pas tout ce qui émerveille. Dans le manège, elle aime les cycles et recycles. Elle se berce. Elle peut en rester là. On n’exige pas. Ni elle ni d’autres. Elle peut rester chez elle. Traînant des pieds, sans aucun mal. Sans aucun bien non plus, elle en convient.
En vrai, Lili est déjà sortie de chez elle. Elle n’est pas folle quand même. Elle sort tous les jours de chez elle. Elle travaille. Elle fait comme les autres. Elle y parvient. Elle donne le change. Elle aime ça parfois. Mais elle balance les jambes en rythme et pense bien au manège. Surtout quand elle s’ennuie. Aussi quand elle n’aime pas les gens ou qu’elle leur cracherait bien dessus. Et qu’elle se tait. Toujours quand elle se tait. Elle a un peu envie au moins d’un petit regard furtif sous la surface des autres. Le manège sous les grands chevaux n’est pas toute sa vie. Mais il faut bien le dire, ça sent le renfermé chez Lili. Attention, elle se lave. Et très correctement et très régulièrement. Ca n’a rien à voir.
Lili n’a aucun souvenir de manège. Elle sait qu’elle s’y rendait petite. Elle tournait le petit volant de la petite voiture, déjà. Elle ne se battait pas pour sa place. Jamais puisqu’elle se fichait éperdument du grand cheval blanc qui faisait se battre et pleurer ses congénères. Elle prenait une place toujours vacante. Un combat de moins pour la journée.
Elle n’est pas vraiment grise. On pourrait bien le croire au vu des lignes ci-dessus. Lili pétille pas mal. Elle-même n’y comprend pas grand-chose. La nature contrarie. Elle devrait être mate. Sans éclat. Et pourtant non ! Elle n’est pas si ingrate. Lili pense que les gens sont déçus quand il s’avère qu’elle aime les vieilleries et les tours sur elle-même. Elle en jette de prime abord. Mais vite vite, elle est moins drôle. Comme on l’a dit tout à l’heure. Comme une belle vache, une belle vache ! La vache ! Un beau poil. De belles couleurs. Un regard doux. Et puis, vite vite, elle ennuie le public.
Ce sont les gris, eux qui l’aiment bien. Elle est un bien joli miroir. Elle est des leurs. Mais en plus classe. Elle est le cul entre deux chaises. Une espèce d’hybride inclassable. Tout le monde ou personne ne s’y retrouve.
Lili ne sait pas qui elle est. C’est pour ça qu’elle aime tant les manèges. Elle tourne en rond et s’y retrouve. Au moins celle d’il y a quelques minutes. Dans un manège, on est plus sûr de qui on est. Elle n’explique rien aux gens. Elle passerait pour une toquée. Et cela briserait tous ses efforts de bonne figure. C’est ça qui lui casserait le cœur. Encore bien plus que d’être cataloguée. Elle ne sait pas qui elle est mais elle sait déjà qu’elle ne tient pas sérieusement la route. Bien sûr qu’elle préfère qu’on la croit juste barbante. Mais c’est encore pire tous ces efforts pour qu’on n’y croit pas. Bref, elle s’embrouille à savoir si elle est ennuyeuse ou anormale. Pas folle. Pas comme tout le monde. Mais pas folle. Mais dans quel groupe ? Ce que la vie est compliquée ! Elle enfourche la petite carriole du manège pour arrêter de chercher sa catégorie.
Souvent, elle finit par se dire que personne n’est comme l’autre. Que chacun a sa route et son manège ou son grand huit. Que chacun vit une vie que personne ne saisit.
Il y a ceux qui croient dur comme fer qu’ils ont bien compris le schmilblick. Ce sont les assurés. Ils doutent peu, très peu. Juste ce qu’il faut pour bien vivre. Quelle attraction pour eux ? Tapis volant sans doute. Les pieds jamais vraiment sur terre mais ils touchent les étoiles au moins. Elle aimerait mieux ne pas être aussi près du sol, Lili. Mais c’est ainsi. Il en faut des assureurs du dessous, invisibles mais indispensables. Comme les seconds violons et deuxièmes voix. Tous les premiers de classe perdent leur charme sans l’arrière-scène.
Lili traîne des pieds. Bien sûr ! Puisque elle est au tapis. Il faut très peu qu’elle se décolle. Elle est de ces femmes-là. Il y a des hommes aussi. Moins que des femmes. Ils préfèrent les héros. Pour montrer leur quéquette et comparer. Le concours de quéquettes. Aussi longtemps qu’il y aura des hommes. C’est toujours un mystère pour elle ces ambitions-là.
Lili aime les secondes voix. Même les troisièmes et plus loin encore. Plus avant, plus profond. Les basses et les contrebasses. Les indiscernables sans lesquelles tout le monde faillirait. Lili les admire. Elle voudrait en être. Elle s’y fond parfois. Mais elle les admire trop pour en faire partie. Pour admettre qu’elle en fait partie. Parce qu’entre nous, elle en fait bien partie. Elle est une solide voix du fond, de celles qui plient mais ne rompent pas.
Lili ne sera jamais dans la lumière. Ou alors quelle surprise. Elle ne sera ni soprano ni soliste, encore moins chef de chœur. Elle rit même à la simple idée d’être dos au public et de porter cette foule. Elle ne doit jamais être dos au monde. Pas par délicatesse. Mais pour ne pas prendre le couteau dans le dos. Elle reste près du mur, ou dans un coin, personne derrière, tous à sa vue. Dans une église de préférence. Protégée par le sacré et l’encens. Elle aime cette odeur qui étourdit. Ca ne veut pas dire qu’elle ne paraît rien ou qu’elle n’est personne. Lili, même si c’est dur, veut être quelqu’un dans le coin tout au fond. Elle se décourage souvent. Elle ne choisit pas la solution la plus facile, c’est bien normal.
En fait, le vrai problème avec Lili, elle se le dit dans la glace le matin. Pas toujours, souvent seulement. C’est qu’elle veut le beurre et l’argent du beurre. Ne prendre aucun risque et être quelqu’un qu’on reconnaît. Ne prendre aucun risque, c’est ainsi depuis le début de la vie. Elle ne peut pas puisque la mort guette. Bien sûr que c’est irrationnel mais l’idée continue de courir dans la tête, comme une tarée incontrôlable. Bref, elle n’a pas tellement le choix mais l’ambition tout de même. Le mieux serait de se contenter d’une place sans éclat et d’y trouver son compte. Mais Lili est plus compliquée que cela.
Un peu comme une voiture grise métallisée. Grise qui brille. Un énorme paradoxe. Un gris poussière qui pétille quand on y regarde de près.
Lili serait une femme qui flaire les sols. Elle ne craint pas de se mettre à plat ventre, de ramper si nécessaire. De fourrer les narines partout où il faudra pour entendre les chants du monde. Parce que ceux qui lèvent le nez et ouvrent leurs mirettes vers les cieux et les anges aux paroles d’or ont loupé la sortie. Ce n’est pas là qu’ils attraperont quoi que ce soit. C’est au fond du trou qu’on attrape les rêves et surtout leurs odeurs et leurs sons. Mais quand on fait des concours de quéquettes, on ambitionne tête en l’air. On se trompe gros comme un éléphant. Les vérités viennent d’en bas. On parle de la bouche des enfants. C’est une manière de dire que les vérités se logent là où on ne les attend pas. Lili a beau avoir l’air bovine, elle se sait détentrice de cette science-là. Juste un tout petit alinéa. Mais sans lequel tout le livre n’existe pas. La condition sine qua non de la suite des vérités. Il y a tous les livres, les neufs, les clinquants, les tape-à-l’œil. Ils sont parfois formidables. En aucun cas, Lili n’en espère rien de plus que de l’agrément. Elle ne peut qu’être bien surprise, alors. N’oubliez pas, ce sont les vieux mots qu’elle aime. Ce sont les vieux qui ont prouvé leur légitimité, qui n’en font jamais trop. Qui ne quittent pas l’uniforme. Derrière lequel il faut creuser. Toujours par en-dessous. C’est barbant par moments. Il n’y a pas à tortiller là-dessus. C’est évident. Il est rasant de toujours devoir trouver la clef derrière une apparence parfaitement banale. Et si l’on se fiait à ses pairs ? Lili n’est pas une fille qui fait confiance. Elle teste sous toutes les coutures avant d’entendre un conseil ou une vérité d’un congénère. Auparavant, elle était même catégorique sur le sujet : seuls les livres m’apprendront quoi que ce soit. Les autres ne sont faits que de poudre d’escampette. Et puis, elle a fini par en entendre un ou deux qui avaient conseillé un livre où elle trouverait, d’après eux, de quoi flairer un nouveau son. Elle continue de ne croire que ceux qui restent tranquilles. Les autres lui font peur et ne lui inspirent que méfiance. Bien entendu qu’elle ne s’amuse pas dans la vie. Son manège et tours de flair au sol ne sont pas faits pour cela. Ce sont des tours qui descendent toujours plus profond au cœur.
Lili ne sait pas s’amuser. Elle ne veut pas d’ailleurs. Elle ne traîne plus des pieds pour aller s’amuser. Elle plante les talons et s’engluent au plancher. On ne peut plus la déplacer. Elle qui semble si impuissante, avec son air de gentil mammifère découillu. On s’aperçoit alors qu’elle en a sous le pied qu’on ne soupçonnait pas. Elle, Lili, ça ne la fait pas rire ces moments-là. Elle a peur. C’est la peur qui lui donne des forces. La peur rend courageux. Elle n’est jamais plus hardie que quand elle est morte de peur. Tout se renverse alors et les repères se troublent. Elle ne sait plus si elle est terriblement lâche ou foutrement remontée. Elle suit l’impulsion de fierté. Ce n’est pas l’habitude mais en période de crise, il faut bien des moyens d’exception.
Revenons donc à nos moutons, Lili ne sait ni ne veut s’amuser. Elle n’est pas intéressée. Elle le dit comme tel alors les gens croient souvent que c’est parce qu’elle n’ose pas. Mais non ! elle le redit, elle s’en tamponne de s’amuser. Cela ne la rendra pas plus riche demain. Elle veut apprendre quelque chose, toutes les minutes qui passent, elle veut apprendre davantage, encore, au moins une belle chose même toute petite par jour. Elle ne veut pas perdre son temps, aucun temps. Elle voudrait bien même ne pas dormir. Toutes ces longues heures perdues à ronfler. Mais il en va ainsi. Elle aimerait comme certains être capable de dormir 4h par nuit. Mais non ! Madame a besoin de 9h chaque jour. Elle s’agace mais se soumet à l’implacable volonté de son corps. Elle en veut aux parents de l’avoir faite si fragile. Et puis, elle se résout à gagner son temps à apprendre un nouveau vieux mot plutôt que de se lamenter et ruminer comme une véritable bovine. Se plaindre c’est autant de temps de perdu. Elle n’est pas aussi allumée en comptage de minutes que sa voisine Tictac. Mais elle ne veut pas que la vie ne serve à rien.
On lui a déjà dit que dormir comme s’amuser, c’est utile, qu’elle peut en tirer le bénéfice d’apprendre encore mieux. A vrai dire, elle trouve ceux-là bien optimistes. Parce que parfois on passe bien du bon temps et on se repose, et c’est bien pire après. Pour repartir et retrouver le rythme optimal, ramez rameurs, et on fait du sur place. Autant ne pas s’arrêter, jamais, rester sur le fil. Pour remonter la pente, une fois qu’on s’est couché au flanc bas, la douleur est trop amère.
C’est pour cela, on en revient au manège. Cela peut paraître idiot. Mais le manège donne le ton et on avance, on avance, on peut accélérer et s’installer dans un ronron qui fait qu’on rouvre les yeux et reprend les repères sans faramineux efforts, ceux dont on ne se remet jamais vraiment.
C’est aussi pour cette raison que Lili se protège, désormais. Elle en a fait des faramineux efforts qui l’ont asséchée pour des années. Elle n’avait plus un grain de sel dans les mains. Que la peau et les os. Elle avait tout donné et personne ne l’avait vue s’effondrer. C’est aussi que Lili était jeune à l’époque. Elle ne savait pas encore que l’on peut se garder son sel et son sucre à soi en-dedans. Alors, aujourd’hui, elle est sans doute trop protectionniste. Mais c’est la mode aujourd’hui.
Lili a le cul entre deux chaises. Deux si ce n’est davantage d’ailleurs. Si elle écoutait l’une de ses nombreuses voix intérieures, elle s’armerait jusqu’aux dents et elle menacerait le premier qui approche sans prouver sa parfaite bienveillance. Parfaite. Pas moins. Elle n’aurait pas d’amis, ni de voisins d’ailleurs. Elle refuserait un logement collé à un autre. Elle aurait sa tente seule au milieu d’un désert. Elle accepterait oui les animaux. Pas tous. Les domestiqués depuis des millénaires et prêts à consoler. Parce que le jeu d’avoir des mygales et des cobras chez soi ne l’amuse pas. Pas plus que ceux qui font rire tout le monde.
Lili rit. Assez souvent finalement. Elle rit seule ou dans ses rêves. Elle se réveille en riant, toutes les semaines. Pas tous les jours. Elle rit quand elle lit. C’est là qu’elle rit le plus souvent.
Et attention à ne pas confondre, terrible erreur !, rire et sourire. On peut sourire et rire doucement, mi-rire, faussement. C’est d’une facilité enfantine. Ca permet d’être tranquille. On cesse de sourire quand on veut être définitivement seul. C’est un code inconscient. Les autres le connaissent même s’ils n’en disent rien. Toujours est-il que Lili sourit un peu à tort et à travers, elle l’admet elle-même. C’est sans doute cela qui fait qu’ils la trouvent pétilleuse. Il y a aussi cette histoire d’il y a quelques lignes, là, de ne pas s’arrêter, quoi qu’il arrive. De ne pas s’endormir. Donc toujours là donc plus vivante en apparence.
Lili rit quand elle lit. Ce sont les mots morts sur une page qu’elle fait danser elle-même, même si elle préfère croire qu’ils danseraient sans elle. C’est trop triste d’être à l’origine de tout ce qui la ferait rire. Il faut que les mots soient libres. Ils la font rire, brutalement. Elle s’y surprend elle-même. Ce qui aujourd’hui n’arrive plus jamais. Face au livre, elle le peut, elle ne le craint pas. Elle ne paiera pas sa spontanéité, en aucune manière. Les vieux mots la chatouillent et les incongruités font des tours. Ce qu’elle aime par-dessus tout, ce sont les vieux mots glissés dans une jeune phrase. Elle s’en taperait le cul par terre. Non bien entendu parce qu’elle est civilisée mais elle s’en taperait si elle voulait.
Et puis surtout, elle rit des jeux du corps. Là encore, chose étrangère puisqu’elle serpente entre les vies de ses congénères. Elle disparaît. Elle pétille rapidement. Puis s’évanouit. Fugueuse. Elle traîne des pieds, elle est de guingois. Jamais elle ne jouera de son corps. Mais voir ceux qui en sont capables, ceux qui savent faire parler chaque membre et l’animer, découper le corps en 1000 êtres puis le reconstruire en un en une seconde, entier et profond. Elle si stricte sur la maîtrise de soi pourrait en baver d’admiration. Les uniques moments où elle desserre les poings, où le manège stoppe sans crier gare, comme s’il était pris d’AVC. Elle s’interdit. Elle perd les mots, même ses préférés. Elle s’en veut après coup. Elle ne peut pas s’empêcher de s’en vouloir. C’est idiot. C’est méchant.
Elle ferme très fort la bouche alors car elle se sent jalouse. La jalousie n’est pas un joli sentiment et elle le ressent tellement fort qu’elle aimerait hurler à Dieu que c’est un putain de salopard. Depuis qu’elle s’est retrouvée sèche, Lili a ce sentiment d’injustice. Vite qui plonge sur elle en tornade. Elle reste impassible. C’est encore une fois ce qu’elle fait croire. Mais ce que c’est violent !
Lili était l’enfant compliquée. La sœur de son frère et la fille de son père. Elle aurait aimé être quelqu’un d’autre. Déjà petite, elle était ballottée de l’intérieur avec un air paisible de petite fille pas très finaude. On a toujours dit que tout allait bien. Elle la première. Elle ne savait absolument rien dire sauf ce qui était poli et déjà expérimenté. Elle n’avait pas les mots. Ils étaient encore chez les grands. Elle n’était pas encore une grande. Il paraît que oui elle nageait déjà dans les mots. Mais elle n’a eu l’impression de les saisir qu’en les composant à sa guise. Bien longtemps après la parlotte et le barbouillage.
Elle aurait aimé être gymnaste, sportive, plus forte que les garçons qui se vantent. Elle aurait aimé défendre son sexe faible aux yeux du monde. Elle ne l’a jamais dit. Peut-être qu’elle pressentait que les vieux mots seraient planche de salut. Et absolument rien d’autre. Ou alors elle a raté sa vocation. Ou alors elle a lu dans les yeux des adultes qu’elle ne pourrait jamais. Enfant, elle a compris des tas de choses dans les yeux des adultes qui se sont avérés exactement faux. L’opposé parfait de leurs véritables sentiments. Pauvre petite enfant malheureuse.
C’est bien cela le problème avec Lili. C’est qu’elle est tiraillée. Et devinez ce qui arrête cela ? Le manège bien sûr. Le seul remède.
Lili et son manège de fausse fille.
Justement, elle refusait les manèges jusqu’à ne plus en avoir l’âge. Elle a commencé à les aimer sur le tard. Petite, tout était à l’envers chez elle. Elle aurait fait du sport aussi pour devenir un garçon. Pas seulement pour montrer. Pour être l’un des leurs. Pour renverser la vapeur. Pour, sans doute, avoir enfin un sentiment de justice. Lili est pourtant d’une époque « civilisée », mais elle sentait déjà qu’être femme est une tare. Elle en a voulu à sa mère. A son père encore plus. Qui lui, l’homme, trouvait formidable pour elle d’être une femme. L’ignorant.
Celui qui croit qu’il vaut mieux ne pas en avoir.
Celui qui dit qu’une femme c’est beau.
L’esthétique du manque.
On se fiche du monde, vraiment. Lili sourit amèrement quand elle entend des choses comme ça.
            En manège, elle redevient asexuée ou hermaphrodite. Mais bel hermaphrodite ! Quel drôle de mot. On ne peut jamais ou presque l’utiliser. Elle aimerait pourtant. Comme tant d’autres.
               Lili n’a pas de regrets véritables. Elle a la nostalgie de ce qui ne pourra jamais être. Parce que si elle y pense, c’est que cela existe quelque part. Elle ne refera pas la théorie de Descartes mais elle y pense tout de même.
Quant à Dieu, puisqu’on y vient avec Descartes, elle sait quoi en penser mais cela évolue avec l’âge. Il prend d’autres formes dans son esprit. Il reste là en tout cas. Aussi parce qu’il la lie aux vieux livres et aux vieux mots. C’est un vieux de vieux. Et, nous l’avons déjà dit,  Lili aime ce qui traîne des décennies. Qui devient décalé et qui peut la faire rire aux éclats. Elle, qui éclate peu.

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