Iraz dort peu. Mange peu. Parle peu.
Iraz n’est pas, comment dire, l’être social que l’on attend de nous tous.
Elle ne sourit que si elle en a véritablement l’envie et l’intention.
Iraz est une dure, une guerrière. On le lui dit, le lui reproche lorsque l’ambiance est à la fête, l’admire quand elle est la seule à se lever droite comme un i.
Iraz prend les choses au sérieux.
Iraz elle-même ne se sent pas soldat dans l’âme, ni justicière ou autre cliché facile. Iraz abhorre le gnagnan et la cucuterie et les larmes de crocodile. Elle pleure parfois, comme tout le monde. Alors, ce sont de lourdes, très lourdes larmes qu’elle sent rouler et tomber en gros plouf dans son cou. Quand elle pleure, Iraz sert les dents. Sa mâchoire se contracte pour devenir aussi forte que celle d’un caïman guyanais (pourquoi pas ? C’est bien la jungle impitoyable là-bas n’est-ce pas ?) Non, Iraz n’est pas impitoyable. Elle n’est pas stupide ni aveuglée par le désir de vengeance. Elle déteste être assimilée à ces êtres imbéciles, du genre néo-nazi ou autre extrémiste mus par la haine.
Iraz est susceptible.
Iraz est rancunière.
Iraz n’oublie jamais une pique, une moquerie, une injuste critique.
Elle n’oublie jamais. Malgré tout. Tout. Elle reste raide dans sa colère. La colère la redresse. La fait vivre et marcher.
Ira aurait tendance à s’éfloupir, pas si rarement, plutôt assez facilement même. Elle le sait. Elle le croit. Elle s’en cache. C’est sa honte. Elle garde cette béance pour elle et son miroir. Devant son miroir, elle l’admet. Elle peut s’effondrer. Mais sous son seul regard. Personne d’autre.
Personne.
Bien heureusement, Iraz a accumulé de nombreux griefs. Elle les empile. Non, elle les collectionne. Très précautionneusement. Les ordonne par couleur et intensité. Elle pioche. Mais pas tant que cela. Parce qu’elle ne maîtrise pas si bien la situation qu’elle l’aimerait. Le quotidien pioche dans sa collection. Cela est plus juste. Plus fidèle à la réalité de le dire ainsi.
Iraz est à cheval sur la fidélité. Loyauté lui convient mieux. Fidélité est toujours connoté conjugale et elle parle, elle, d‘un engagement existentiel bien plus profond. Ceux qui suivent ce qu’ils croient, avec tout leur cœur, toute leur foi, être le vrai, le seul vrai, suscitent immanquablement ses foudres. Elle hait les religions. Tout le monde a sa religion et elle se bat contre ça. La religion et la foi qui va avec sont une pure malhonnêteté. Voilà sa pensée brute.
Iraz n’est pas dupe ni des autres ni surtout d’elle-même. C’est cela qui fait pleurer. Elle raisonne le plus froidement possible. Ca aussi ça fait pleurer après coup. Vous avancerez contre les phrases précédentes que la colère est plus chaude que froide. Il n’y a rien à redire là-dessus. Mais il y a les colères qui ont des raisons, qui ont raison. Iraz sait faire la différence. Et d’autres qui ne sont que tours de sang et ébullition. Elle se sait d’autant plus légitime que ses colères sont raisonnables et sensées. Elle laisse donc libre cours à la puissance qu’elles génèrent. Iraz pourrait dans ces cas-là, soulever des montagnes.
Elle est plus forte qu’un homme, que le père, l’amant, la loi.
Non pas la Loi. Pour ne pas s’y perdre complètement quand même. Peut-être parce que c’est La Loi et qu’elle lui accorde une indulgence féminine. Les règles ne jouissent pas auprès d’Iraz de la même indulgence. Pour de vastes motifs que nous ne développerons pas ici même par respect pour l’intimité de notre personnage.
Iraz est pudique, bien entendu. Extrêmement.
Et celui qui écrit respecte chacun. Il a déjà bien trop de pouvoirs.
Plus jeune, elle a eu du mal à faire quelque chose de ses colères. Elle a eu peur de tuer son prochain tellement elle se sentait lui en vouloir. Pouvoir exploser en bombe nucléaire. Fatale. Elle l’a été, plus d’une fois. Avec fierté en observant les yeux des autres. Avec une totale incompréhension intérieure. Tout cela sans commune mesure avec son impression d’immense faiblesse. L’immense colère tient certainement de l’immense faiblesse. Un énorme trou au fond du froc. L’humiliation assurée. Qu’elle a dû ou rafistoler ou masquer par l’autour. Changer de froc ? On n’en change pas comme de chemise. Ce n’est pas aussi simple, voyons. Aujourd’hui, elle ne craint plus grand-chose. Elle reste pourtant vigilante. Elle vérifie. Plus elle vérifie, plus elle se sent happée. Plus il faut qu’elle trouve sa colère, salvatrice.
Plus jeune,
Souvent,
L’envie de cogner,
Renverser,
Cul par-dessus tête,
Sa semelle au visage de l’adversaire
A terre.
L’envie d’un magistral coup de poing
Et les vertèbres qui craquent.
Elle ne nie pas qu’elle a parfois envie de cogner encore aujourd’hui. Elle se sourit à elle-même et elle fonce au sport, sans froc, nue comme un ver, seulement en mouvements, en efforts.
Boxe.
Judo.
Courir.
Sauter.
A perdre haleine.
Il lui est arrivé de frapper les arbres de la forêt. E leur hurler ce qui lui foutait le cul à l’air. Elle avait du sang plein les mains. Qui a goutté sur ses pieds. Elle n’a rien senti. Jusqu’à ce que la nuit vienne et que change la donne.
C’est comme ça.
Plus jeune, c’est elle qu’elle a cognée pour ne pas finir ligotée. Ce n’était pas réellement une stratégie peaufinée. Mais elle savait ne pas pouvoir, vouloir ?, ravaler tout ce feu et ses brûlures. Sous peine de… sans doute s’auto-détruire avant la vingtaine atteinte.
Iraz aime sa collection de colères. Elle a peut-être un peu divisée pour mieux régner parmi elles. Plusieurs petites ou moyennes, plein de plein contre une énorme qui terrasse. Elle a fait son choix. Il a d’abord fallu comprendre. Comprendre comment s’y prendre. Et la jeunesse essuie toutes les premières fois ratées, pour Iraz, douloureusement.
Elle a tenté la surveillance 24h/24, 7j/7, service continu, l’auto-tyrannie pour éviter des mises à mort : et aller simple chez les dingues.
Iraz aime bien les dingues. Ils lui adressent la parole dans la rue, le métro. Elle les regarde dans les yeux, sans une once de défi. Il n’est absolument plus question de pouvoir avec eux et elle se laisse tout le leste qu’elle a appris à brider pour vivre correctement en société. Les dingues reconnaissent une des leurs. Elle leur accorde cela. Elle approuve cet état de colère folle.
Folle.
Furieuse.
Faramineuse.
Elle taille un bout de bavette avec les allumés qui n’ont pas réussi à briller moins fort, eux. A peine ouvre-t-elle la bouche pour leur parler qu’elle s’adoucit u fond de ses entrailles. Pas un soi-disant instinct maternel. Le sentiment inestimable de pouvoir ne rien craindre, d’être dans une relation d’entière égalité. Sans doute que malheureusement, celui ou celle d’en face ne la sent pas comme elle cette égalité. C’est presque sûr ; Ca l’attriste. Mais elle se réjouit pour elle de cet apaisement franc. Elle n’éprouve aucune colère. Elle a les idées parfaitement en place pour chercher dans sa collection une colère qui l’animerait. Ce stratagème artificiel est toujours inefficace. Face au dingue, Iraz n’a plus de gaz. Plus de carburant. Elle est à plat, les pieds tranquillement au sol. La tête haute et simplement humaine.
Iraz, peu s’y frottent.
Ceux qui n’ont peur de rien et finissent par rejeter la faute sur l’autre. Les sans-miroir, elle les surnomme. Ils lui tournent le dos au bout de quelques minutes. « Qu’est-ce que c’est que ces gens qui se croient au-dessus des autres et qui ne daignent pas sourire ? Moi, ça me défrise ! Elle doit pas collectionner les amis cette pimbèche. » Iraz, vous vous en doutez, n’a certainement pas l’air d’une pimbèche. Bien plutôt d’une sportive de haut niveau ou d’un grand chien très haut sur pattes qui penche la tête quand un roquet s’essouffle à lui aboyer dessus. Iraz leur sourit dans le dos. Ils se retournent toujours. Elle sourit de plus belle. Des dents parfaitement blanches au milieu de sa peau brune.
Ceux qui aiment le risque. Ceux qui sautent en parachute et lâchent tout pour monter leur affaire. Ils ont perçu qu’il y avait de l’adrénaline en puissance à s’approcher d’Iraz. Ils l’amusent et ils rient ensemble, le plus souvent. Les autres en sont comme deux ronds de flan.
Ses pairs, bien entendu. Les coléreux. Une tendresse particulière, oui. Les autres aussi, les haineux, qui croient qu’ils vont pouvoir l’embarquer dans leur lutte éculée.
Dans la collection d’Iraz, la plus grande colère c’est le mépris. Le mépris qu’on lui claque en pleine tête, qu’on lui a claqué, et qu’elle n’a jamais digéré. Pas le mépris pour une parole ou un acte idiot, maladroit, c’est vrai. Le Mépris. Celui qui dit
« Tu n’existes pas u si peu que tu n’en vaux pas la peine.
Je sais. Tu ne sais rien.
Tu n’es rien.
Ecoute et tais-toi.
Obéis comme un brave clébard bien dressé. »
Le Mépris dans toute sa saleté, lui, elle qui se veut propre, entièrement hygiénique et beau ; Le mépris qui fait, qui a fait et ne fait presque plus, devenir escargot. La coquille grossit jusqu’à ce que le corps, dont l’âme tremble tout au creux, puisse se lover loin au dernier tourbillon. Le Mépris de l’être, de cet être-là qu’elle incarne.
Avant, plus jeune, elle y croyait. Elle se laissait faire par les gens du mépris. Elle baissait la tête et l’histoire de l’escargot expliquée ci-dessus. Elle pensait comme eux au fond. Elle n’en valait pas la peine. Et elle se demandait, Iraz, ce qu’elle pouvait bien foutre sur cette planète. Et recroquevillée, elle se remplissait jusqu’à en dégouliner de partout, de rage contre ceux qui régissaient la vie. Elle se trompait d’ennemi. Elle était trop impuissante, trop enragée pour relever les yeux et faire se retourner les gens du mépris.
Tenue en échec par la rage.
Impuissante de rage. Paradoxe indéchiffrable en début de vie.
Elle en a craché de la bile, le corps traversé de spasmes hargneux, avant de comprendre. De jouer avec quand l’énergie est au plein. Iraz n’est pas joueuse de nature. Elle a appris sur le tard. Vraiment récemment. On ne peut pas jouer quand on est en colère. On n’a aucune légèreté, aucune insouciance, aucune place à partager et rire. Iraz rit de bon cœur depuis peu aussi. Elle a toujours ri. Comme pleurer. Mais doucement. Parce que le rire endort la conscience. Et la colère redouble dans l’après-coup et on est embringué dans un ouragan. Digne des Etats-Unis hein ! Du coup, Iraz n’est pas une rigolote d’emblée, ni par la suite. Ce n’est pas là son domaine d’excellence. Elle n’y est pas même passable. Elle n’est pas pour autant antipathique. Nous l’avons déjà dit, Iraz joue dans la cour de la loyauté, de la fiabilité, de la justice. Malgré tout pas justicière, attention ! Mais l’injustice n’est en aucun cas acceptable.
Iraz, avec son épais chignon noir, toujours tiré à quatre épingles (le chignon). Comme une noble asiatique. Avec cet étrange prénom à consonance hébraïque. Elle ne sait pas d‘où il sort. L’ascendance n’a pas eu le temps d’expliquer, disparue avant les mots. Iraz en a fait toute un roman de ce prénom. Et elle en porte quelque chose d’universel. Ca abat sa solitude et ça lui convient. Même si en réalité elle ne le désire pas sciemment. Jamais elle ne se vante de ce genre de grandes idées. Pas le genre. En général, Iraz ne va pas fourrager aussi loin dans ses tripailles. Sinon, elle pourrait se transformer en une armée de scorpions lancée en plein paris en plein été sur les sandales es innocents touristes et des Parisiennes pieds au vent. Elle, Iraz, ne montrera jamais ses pieds. Cela lui semble très indécent cette habitude des sandales, tongs et autres chaussures ouvertes. Ouvertes sur la porte de l’intimité. Iraz a pourtant des pieds de magazine. Elle ne s’en plaint pas. Là n’est pas la question.
Oui iraz est dans l’ensemble catégorique. De prime abord en tout cas. Elle prévient l’interlocuteur. Elle le protège aussi. Elle sait qu’elle peut fuser. Elle maintient le vivant à distance raisonnable. Sécurité.
Peut-être qu’elle aurait dû faire l’armée ? Elle pouffe de rire à cette idée. L’armée, où classe donc t-elle les colères ? Au trou, eh oui ! Et Iraz, sa colère, elle ne peut pas s’en passer. Elle l’éveille et l’embellit.
Iraz n’a pas que l’air asiatique. Elle a voyagé là-bas. Traversé ces nombreux pays aux yeux bridés. Pas toujours si bridés d’ailleurs. Iraz y a appris presque tout ce qu’elle sait. Tout ce qui l’ancre, c’est sûr. Elle y a appris à ne plus s’éparpiller en mouvements brusques et inutiles. Elle y a appris à se taire dans le calme. Sans révolte. Sans moue dégoûtée. Le silence qui apaise. Iraz jusqu’alors s’était tue pour que les mots qui disent exactement sa pensée ne s’échappent pas pour aller se planter dans un cœur, pas si coupable ; Qui paye pour les autres. C’est toujours comme ça la colère folle. Ce ne sont pas tant les remords qui la rongeaient. Ce sont les sentiments d’injustice et d’inexactitude, d’énergie perdue, tout ça pour rien. Pas de soulagement. Bref, Iraz n’est pas du style psy, donc elle a cherché des moyens. Pas des explications qui laissent baba et sur place. Et elle a trouvé ses moyens. Iraz est un tank militaire oui, quand il s’agit de résoudre un problème.
Aujourd’hui, Iraz transmet ce qui lui a été offert comme solutions et qui a fait d’elle une meilleure personne. Elle enseigne l’aïkido et le self défense pour les femmes. Seulement pour les femmes. Tout le monde a droit a petite lubie. Avec les arts martiaux, elle va chercher l’énergie de l’autre, et sa force, autrement dit en occidental, sa colère. Elle l’additionne à la sienne qu’elle soustrait adroitement à son partenaire de combat. Autant que possible. Elle en ressort invincible et impeccable. Pour Iraz, quoi qu’il arrive, qui que ce soit, l’énergie humaine est d’abord une rage. Peut-être pas perçue comme telle mais bel et bien rage premièrement de vivre. Car Iraz n’en dit rien mais la vie est une survie puis, si on a de la chance, une vie tout court. La vie est un luxe. Elle est pour ainsi dire paradisiaque quand le carburant n’en est plus la rage.
Et il y a tous ceux qui vous diront que c’est n’importe quoi. Peut-être vous.