Voilà Angie.
Pas enjouée.
Pas jolie.
En danger.
Plutôt rangée
Mais agitée.
Giflée.
Jetée.
Rangée très loin au fond du placard. Au noir total. Angie, la vieille chaussette oubliée, crue perdue certaines fois, retrouvée puis égarée à nouveau. Qui tremble à chaque jour qui se fait dans le placard, trois quatre cinq fois par 24 heures. Qui ne finit aucune phrase pour ne pas être immobile, jamais immobile. Jamais arrêtée. Car la proie est toujours susceptible d’être prise et déchiquetée. La chaussette, quitte à être sale et oubliée au fond du placard. Tout vaut mieux que l’épreuve de la chausse et du monde. Et la mort sans inconscience. La mort vécue en direct, le cœur encore plus battant qu’à l’ordinaire. Le cœur d’Angie est toujours en chamade. Le cœur d’Angie est une vraie fournaise. Elle brûle, elle trépigne. Elle et son cœur jamais immobiles. Toujours en flammes. Elle a déjà rêvé les petites braises apaisées de fin de soirée. Elle sent la mort dans la quiétude. Elle ne peut pas s’en empêcher. Elle n’est tranquille que dans le fond du placard. Le plus seul possible. Le plus loin possible.
Angie n’aime pas tout spécialement les puanteurs et poubelles, poussières et pourritures. Mais elle s’y sait tranquille. Personne ne s’en approche. Tous sont écœurés et elle y demeure sans intrusion. C’est un nid. Les SDF se font un nid tout pareil. Avec du sale mais c’est leur lieu et on ne s’en approche pas. Angie ne s’arrête pas pour autant puisqu’on vous a déjà dit qu’elle ne doit pas rencontrer. Il y a bien une vie, une génération où on parlait de fréquenter. Quelle hypocrisie ! C’est rencontrer le vrai problème. Tout comme il ne fallait pas fréquenter, Angie ne doit pas rencontrer. A la différence près qu’elle ne reçoit cet interdit d’aucune autorité et qu’il ne s’agit de rien de plus que de saluer et regarder tout au plus.
C’est la Cosette des livres. Celle dont on a envie de se moquer quand on ne la connaît pas. Celle qu’on pousse bien au-delà de nos limites, par sécurité. Par peur de la contagion. Celle qui pourtant quand on se penche dessus, la vraie, la vraie misérable, fend le cœur et force l’admiration. Celle sur laquelle toutes les épreuves pleuvent. On se défend en avançant qu’Hugo est un satané Romantique et qu’il dépeint ses personnages avec l’émotion qui déborde. N’empêche ! Le plus simple parisien qu’on croisera nous dira que les cosettes, il en voit tous les jours dans son métro et dans ses rues. Sauf s’il ne sort pas de l’extrême ouest de la cité. Elles se plaignent, elles quémandent, elles agacent. Et parfois quand on se prend à planter courageusement le regard dans le sien, parce qu’on a moins honte, parce qu’on a donné une pièce, une bonne pièce, on voit des yeux qu’on aimerait qu’ils n’existent pas, qui donnent envie de porter tout, même ce qui dépasse nos forces, et puis aussi, ces yeux-là résonnent comme d’immenses gongs coréens avec les douleurs qui sont là cachés dans nos grenier et cave respectifs. Qui n’en possède pas ?
-Ben moi moi moi
-Je n’attendez pas de réponse, il n’y a pas de réponse à cette question, c’est une fausse question Messieurs Dames. Vous avez comme tout un chacun votre cave et grenier mais rencontrer Angie et les araignées et leur pets nauséabonds vous insupportent tellement que vous les méconnaissez, sciemment ?
Envie de provoquer les dénigreurs d’Angie. Parce qu’elle n’est pas ragoûtante Angie mais elle a le mérite d’être toujours là à se battre contre les démons. Elle, elle n’a pas le choix de s’y confronter et elle essaye.
On a vite changé de sujet n’est-ce pas, précédemment ? On a vite abandonné Angie. Oui, Angie est de celle qu’on ignore et oublie. Pour le ‘bien de tous’.
?
Pour le bien de tous en partie.
Pour beaucoup de mal parfois.
Pour le bien la plupart du temps pour la plupart des gens.
Angie est parfaitement anormale.
Sans bien ni mal. Ainsi va la vie.
Vous me direz que les précédentes ne sont pas mieux. Eh bien je vous dirais que si, elles le sont parce qu’elles ne vivent pas au fond d’un placard et que leur vie n’est pas un cœur en chamade souillé et mariné au jus de panique. Je vous dirais qu’elles ressemblent toutes à d’autres qu’on a croisés. Pas Angie, sauf si on a poursuivi une psychanalyse ou approfondi la philosophie, ce qui n’est qu’une minuscule part de la minime part privilégiée des gens de ce pays.
Angie survit à un cœur qui, pense-t-elle, pourrait lâcher à chaque sprint et elle supplie les cieux pour qu’il n’explose pas en mille morceaux. Elle sait que cela n’est pas possible. Elle croit parce qu’on n’a jamais entendu de mémoire d’homme un cœur qui éclaterai en mille morceaux. Même en deux. Et qui tomberait dans le gros colon pour finir dans les eaux usées parisiennes avec les rats et les crocodiles anacondas mygales abandonnés des bobos citadins en mal de sauvagerie. Pourtant, voilà une ville des plus sauvages. Mais il y a cette habitude des grises mines, insultes, doigts bien haut levés et bousculades, moins sauvages paraîtrait-il qu’un animal jungleux. Bref, son cœur se retrouverait donc parmi ces animaux féroces sans aucun recours, ni eux ni lui. Il serait déjà mort mais conscient, je l’ai déjà bien expliqué pour Angie elle-même. Sa moitié de cœur courant après sa pareille, presque pareille, les artères en vrac dans les tourbillons. Et tout cela, sans qu’Angie ne bouge d’un pouce. Le monde fracassant se meut sous une énorme cloche teintée, lisse et douce, chic et pleine.
Angie ne se regarde plus dans un quelconque miroir. En possède-t-elle encore d’ailleurs ? Elle ne sait même pas. Elle ne perçoit plus la moindre surface réflexive. Elle y est aveugle. Aveuglée ? Elle n’y pense pas. Elle survit au jour le jour, aux crashs cardiaques.
Après ces événements foudroyants (pluriquotidiens, je le rappelle et je ne suis pas romantique ou autres à larmoyer sur son sort et faire pleurer le lecteur qui a bien assez à faire avec ses emmerdes de fric et d’ados en pleine période de shit),
elle se met en tailleur parce que cela lui rappelle la première école et toutes ses solutions.
Elle se met en tailleur parce que cela lui fait venir le sang de petite fille au corps, elle le connaît, elle le maîtrise et son cœur s’y retrouve. Elle s’y repose quelques millisecondes.
Elle se met en tailleur parce qu’elle a vu les sages asiatiques en tailleur, les vieux messieurs qui n’ont peur de rien, leur image seule la rassure.
Elle se met en tailleur parce qu’elle s’enveloppe avec elle-même et qu’elle se sent capable de se recoudre dans ses chirurgies incessantes. Elle se sent capable. C’est la position où elle est quelqu’un qui (re)deviendra vivant un jour.
Elle se met en tailleur parce qu’elle peut s’enrouler dans sa coquille, la tête entre les jambes et trouver une entièreté, comme les êtres premiers androgynes d’Aristophane.
Elle se met en tailleur pour mettre au jour la plante des pieds et y lire l’avenir. Toucher leur douceur et leur presque pureté. La plante des pieds comme au premier jour, n’ayant pour ainsi dire jamais touché la terre et les hommes.
Le premier jour est-il enviable ? Peut-être y a-t-il eu asphyxie et cœur affolé dès ce premier jour. Pourtant, Angie tient à croire comme une foi que ce premier jour fut une belle chose. Maman dit que oui, ce le fut pour elle et pour le père. Elle tient sans y réfléchir à y croire. Pas de crashs cardiaques à ce propos. Sans doute la clef du mystère de la poursuite de son existence à elle, Angie.
Il y en a, quand elle est forcée de rencontrer, qui comprennent mal et qui comprennent qu’elle s’appelle Angèle, Ange, Angélique (ceux qui pensent aux diminutifs). Elle remet illico presto les choses à leur place : ANGIE, qu’elle prononce ANGUIE pour leur faire entendre qu’elle n’a pas de plume, ne vole pas aux côtés de Dieu le père et que celui-là l’a plutôt laissée tomber. Angie comme une anguille. (C’est le mot le plus proche ; elle aurait bien envie d’en dire d’autres mais les blancs dans les conversations forcées sont encore bien pires que les malentendus). Bien sûr qu’elle est la seule en ce bas monde à le prononcer de cette manière. Mais Angie, Annji, (Ninja ?) entre nous, elle ne s’y reconnaît pas. Elle n’est pas cette personne-là. Lourdauds allez !
Quant à ceux qui restent persuadés que c’est un diminutif, un prénom castré ou amputé, elle ne s’y coltine pas. Elle est d’accord avec cette idée. Sauf que l’on sait que, eux, ils croient que c’est de la tendresse, de la proximité, de l’humanité. Enfin, c’est quand même quelque chose qu’on casse et dont on laisse sans aucun souci pendouiller le demi-corps au-dessus du vide.
Angie a aimé l’école comme rien d’autre dans la vie. Elle sortait du placard sans atroce naufrage. Pas sans naufrage, bien entendu. Puisque c’est Angie et que sa vie est une tempête, une salope de tempête. Il fallait apparaître et cela est demeuré le plus ardu. Mais après, elle pouvait oublier son cœur et toutes les catastrophes. On lui demandait d’être avec la tête et elle avait le droit de n’être que cela. A partir de là, elle a coupé soigneusement la tête du corps et elle a trouvé une voie, une première issue. Elle a toujours eu l’impression d’avoir voulu être sa tête, vivre en tête, sans corps. Aussi loin que vont ses souvenirs, Angie est gênée par le toucher, le mouvement, les peaux, les mains, les organes les plus engagés, les trop engagées, les intrépides. Elle les fourre dans ses poches tout le long de sa scolarité. Elle les lace et les enjoint de ne pas tenter le plus petit pas vers l’autre. La bouche et les yeux sont bien plus aisément contrôlables. Cela n’empêche pas une veille permanente sur leurs éventuelles échappées. Ils restent des animaux, domestiqués, pas davantage. Pas de belles âmes comme chacun aimerait croire. Angie fait confiance à sa tour de contrôle. C’est tout.
Sur la fin du lycée, deuxième issue, elle a réussi à y soumettre tout le monde. Plus personne n’a bronché. Angie a eu moins honte, elle a même tenté de rencontrer. Pas d’elle-même. Elle a laissé les autres s’approcher. Elle est restée de marbre, la mitraillette au front mais elle ne s’est plus systématiquement carapatée dans le fond moisi du placard. Elle a eu un certain succès. Parfaitement inattendu bien qu’espéré. Ne nous cachons le profond et lancinant espoir qui anime Angie. Aussi infernale que soient ses jours, elle en entrevoit de meilleurs. Quitte à s’endormir infiniment au placard.
Ce que tout cela semble pathétique, n’est-ce pas ?!
C’est en même temps ridicule et poignant si l’on y plonge. Presque drôle, comme quand on rit d’un énième malheur qui arrive à une personne déjà assommée de toutes parts. On rit, non par méchanceté, non par plaisir, ni par bêtise. On rit de nervosité à l’idée qu’une telle pluie puisse s’abattre sur la même personne. On rit pour ne pas y croire. Pour faire comme si c’était une histoire racontée en grossissant grossièrement les traits d’un gros garçon.
Pour
finalement
conjurer le sort.
Angie ne pleure pas. Presque jamais. Ce n’est pas celle qui pleure. Elle, c’est la peur. Viendra par la suite celle qui pleure, qui avoue et se livre. Angie est bien en-deça de cette femme-là. Non qu’elle lui soit inférieure. Elle est comme en-dessous du seuil de pauvreté. La pleureuse n’est pas millionnaire. Mais elle peut vivre sans calculer chaque miette et jouer au mirador toute la sainte journée. Angie pourrait être un de ces personnages de peinture au corps d’homme et à la tête d’objet. Mais à l’inverse. Une tête d’homme et un corps-objet, variable selon le contexte, diverses armes, plus ou moins importantes, divers dispositifs de surveillance, divers véhicules de guerre. La tête ne bouge pas, elle est immuable.
A Angie (quelques personnes s’adressent régulièrement à elle tout de même, la famille notamment), on dit qu’elle est une femme. Qu’elle a plus de 30 ans. Qu’elle est vraiment pas mal. Qu’elle devrait décidément se tenir plus droite et lever ce beau visage si régulier. Angie reste toujours ébahie de ces mots-là. C’est vrai, elle ne se regarde pas dans les miroirs. Cela n’aide pas à faire concorder l’image qu’elle pourrait avoir et celle des autres, des quelques autres. Bien sûr, presque inutile de le souligner, Angie sourit après l’étonnement mais devant l’absurdité de ce que les gens croient voir. Elle ne peut que se dire qu’ils disent cela parce qu’ils l’aiment.
Ils l’aiment.
Elle ne les aime pas. Elle a besoin d’eux. Besoin. De certains. De Maman surtout. Maintenant qu’elle est une adulte, … , elle se tait sur ce point. Il faut se taire. Mais dix fois par jour, quinze fois, parce que le cœur menace sans crasher parfois, elle prie Maman d’être là, de la bercer, de la serrer dans ses bras, parce qu’il n’y aura qu’elle pour pouvoir l’apaiser elle et son cœur fou. Elle ne doit plus le dire. Elle ne doit plus. Elle ne devrait plus le sentir. Elle devrait trouver ses propres solutions. Mais elle est absolument coincée dans ses catastrophes sans fin.
Et vous, qui appelleriez-vous en cas de crise mortel ? Qui appelle-t-on quand on se sent crever ? Pas sa mère ? Pas son père ? Pas son grand amour ? Qui donc ? Personne ? Jugez, jugez l’Angie qui rêve de voir sa mère apparaître à chaque AVC. Jugez l’incontrôlable anxieuse et le noble schizophrène ! Jugez leur douleur comme une faiblesse ou une folie qui vous est étrangère. Le jour où, vous appellerez votre mère, sans aucun doute. Nous nous y retrouverons alors.
Parfois Angie est en colère.
Elle appelle sa mère, ne pas dire Maman !, la voix qui lui redonne du courage, même si elle ne dit rien, pour ne pas l’inquiéter, par fierté aussi, pour ne pas tout perdre, parce qu’une autre voix lui conseille de compter sur elle, de se retourner sur elle-même, de plonger dans sa poitrine, de regarder ce satané cœur en face et d’avancer par elle-même. Elle se retient et elle crie Au secours Maman ! quand elle est seule et que plus rien ne l’attache, que tout autre sentiment que la mort imminente a disparu méchamment.
Elle n’a jamais su si elle était femme ou homme, même déjà fille ou garçon. Elle est un cœur qui crashe et qui s’obstine à voler de nuit en haute montagne.
Elle n’a jamais eu un beau visage. Entre ses énormes dents et son nez pointu, les oreilles minuscules de bébé singe et les yeux de dessin animé japonais, elle perçoit mal le beau visage qu’on lui décrit.
Et elle ne tient pas à se tenir plus droite, plus grande, plus là. Le cœur le lui fait toujours payer cher. Elle ne se pliera pas à cette belle règle de stature en société : tête haute, port altier. Jamais elle ne s’y pliera, c’est dit.
Quant à être une adulte, l’égale de ceux qui ont des enfants, dirigent des équipes ou même gagnent des trophées, tout simplement de ceux qui ont un compte en banque bien géré et une maison bien rangée, elle ouvre encore plus grand ses yeux de fausse japonaise.
Angie est maintenue à terre, au fond, en boule. Dans la plus grande invisibilité. Le handicap parmi d’autres invisible. Elle ne voit et ne sent que lui et personne ne le soupçonne, sauf le médecin, le pourvoyeur de bonbons anti-crash.
Peut-être qu’elle pourrait crier Pierrot ! Lance-moi ta Lune, que je respire un coup !
Maman ne serait qu’en deuxième.
Mais Pierrot c’est son travail. Alors, à 2h du matin et le dimanche, c’est MAMANNNNN !
Angie est malade. Est-elle malade ou la maladie même ? Elle est difforme et métamorphosable à souhait. Elle ne sait pas, malade ou maladie, elle n’a pas le temps de, détricoter cette énigme-là. Toujours est-il qu’elle est la peureuse. Elle ne se situe pas loin de celles qui pleure, qui crache le feu, qui kamikaze.
Angie est condamnée à vie. C’est une chronique. Son cœur est un chieur, il ne cessera pas, sauf sous X….ine ou Z….ex ou autre. Il ne s’abandonne que sous produits. Elle s’y est pliée, là. Et la tête se relève.
La poitrine se rouvre.
La pièce est une chambre.
Le corps est entier.
Les battements réguliers.
Alors, elle change de nom : Gina par exemple, comme Regina, ou Génia, comme un nom de fleur. Parce que sans Madame l’impériale Reine Noire, Mangustia, qui te croque peu à peu à coups de coeur, mange ta vie sans en avoir l’air en AVC imperceptibles à l’EEG, tous les jours du monde, elle n’est plus Angie. Elle est comme un gant retourné, le cœur du côté droit.
Angoisses,
Bandits de grand chemin,
je vous bannis!
Mon cœur est de diamants,
désormais.
Vous vous y grifferez
entaillerez,
Il vous jettera la pierre.
Vous reviendrez,
encore et encore,
Sales folies obsédantes,
mais sachez !
Angoisses,
et votre Reine Mangustia
Qu’Angie se battra jusqu’au bout.
Pierrot, ses lunes,
Maman,
Et d’autres encore
La sortira de sa chaussette
Répugnante.
Pas pour toujours.
Pas parfaitement.
Mais toujours plus.
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