samedi 19 mars 2016

Noeud d'amour


        Et me voilà, écrivant depuis des semaines son histoire, ses amours, son cœur, ses douleurs. Adèle et tous ses paysages, Adèle dans toutes ses formes et aléas, et tous ses heurts, toutes ses montagnes, toutes ses mers, toutes ses profondeurs. Non, pas toutes. Elle seule pourrait les écrire véritablement. Elle dit que non, que je le fais mieux qu'elle-même. J'en doute : Adèle garde des secrets. Même à moi. Elle n'y pense pas. Elle tait certains Everest et certaines asphyxies. Peut-être comme nous tous, sans le savoir. Peut-être parce qu'elle refuse d'être jugée sur ce qu'elle a dit ou fait il y a des décennies. Ce que d'aucuns ne manqueront pas de faire. Elle le craint de tout être humain, quel qu'il soit. J'en suis. Elle me craint donc.
Elle a été enfant silence : Drôle de gamine !
Elle a été adolescente endeuillée : Triste fille !
Elle a été d'un autre monde : Folle furieuse !
Elle a été mère sous X : Mauvaise mère !
Elle a été amante calculante : Sale sorcière !
Elle a été femme d'immense désir : Pute en col rond !
Elle a été femme avec une autre : Instable marginale !
Elle a été femme qui n'en veut plus : Déficiente maternelle !
Elle a été médecin du monde : Humaniste allumée !
Elle a été des tas et des tas.
Toujours il y en aura qui trancheront,
brandiront leur marteau,
leur hache
frapperont sur leur ridicule bureau,
se croyant le droit d'être un juge,
sans diplôme
et sans robe.
Ceux qui croient savoir,
ceux qui croient comprendre
ceux qui ne veulent plus trop apprendre.
Jamais je ne te jugerai.
Jamais tu n'es ce que tu as été.
Tu es tout ce que tu as été,
une subtile alchimie
sans formule
chiffrée pour toujours,
sans égal.
J'admire sans fin l'être que tu es,
ses méandres innommables,
ses arabesques nouées
pour toi seule.
J'aime sans fin l'être que tu es,
l'immense nœud
que nous sommes tous,
que désormais
tu observes
en souriant ou en riant parfois
de ses hoquets et cris
bizarres.
Ils bigarrent ton chemin
et ton visage d'aujourd'hui.
J'aime pour toujours l'être que tu as construit
de tous tes petits anges et démons,
lutins et ogres,
de toutes les planètes
sans
J'aime cet être que tu es
qui sait qu'il est une infinité incernable
et incomprise,
pour quiconque,
sauf peut-être pour les dieux
et les fées.
J'aime de tout mon cœur l'être que tu es
qui plus jamais ne brandis marteau ou hache,
ni ne tranche,
ni toi
ni personne.
Comme toi, je m'assois en tailleur,
je regarde les êtres
et leurs nœuds,
je soulève
délicatement
certains cordages
sans danger
pour sentir ma poitrine s'ouvrir et brûler d'émotion
devant cette pureté.
Jamais je ne défais le moindre lacet.
Asseyons-nous ensemble.
Comme tant d'autres fois.
Comme toutes ces fois.
Asseyons nous tous nos vieux jours et
finissons ensemble.
Finis avec moi.
Je serai à tes côtés.
Nouons nos être en un double
plus alambiqué encore
que chacun.
Plus doux et plus émouvant.

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