Nous étions
Chacun
Des deux pôles du globe,
Des deux extrémités de l’immense corde,
Destinés à
Ou prévus pour,
Selon les belles et absolues
Statistiques devineresses,
Ne pas nous croiser,
Ou juste nous croiser,
Justement !
Sans un regard.
Nous nous serions peut-être
Un beau jour,
Sans raison
Frôlés
Dans un wagon,
une rue,
Une place bondée
Parmi tant d’autres,
Et nous aurions dit
« Oh pardon »
Sans même lever ou baisser
Les yeux sur l’autre
Comme on le fait toujours
En bon homme et femme modernes.
Peut-être que toi tu aurais regardé,
Parce que tu prends le temps,
D’adresser tes paroles,
Même les plus bénignes,
Mais étais-tu déjà
Celui que je connais ?
Nous aurions poursuivi notre route,
Et notre rire
Avec notre ami le plus cher.
Deux étrangers
Sans aucun accrochage
Sauf une petite bousculade
En plein milieu d’une foule.
Un ridicule point de rencontre,
Lui aussi,
Prévisible.
Sans que personne
Ne sache,
Les points se sont
Imperceptiblement,
Rapprochés.
Non que les pôles du globe
Aient aplati la Terre
Ou que les bouts cramés de l’immense corde du monde
Aient fumé le tressage.
Mais deux petits bonhommes
Qui s’aventurent
En-dehors de leurs clous,
Par curiosité saine,
Par douleur bousculeuse,
Pas vraiment comme un choix
Mais conscients du danger.
Pour l'un comme l’autre,
Sans doute,
Le danger était moindre
Que de rester au pôle
Au bout de corde
De naissance,
Où nous creusions notre tombe.
Le jeu d’équilibriste,
Nous sauvions notre peau
Sans savoir que nos pas
S’approchaient peu à peu.
Plusieurs décennies
De vie,
D’épreuves,
D’échecs,
D’amours,
De morts.
Et nous voilà l’un face à l’autre,
Surpris de cette
Douce incongruité.
Nos bases sont antinomes,
Tu es blanc
Je suis noire ;
Tu es contre
Je suis pour ;
Tu t’embues
Je m’éblouis ;
Tu ris
Je pleure ;
Tu avances
Je recule ;
Tu t’aventures
Je précautionne ;
Et tu dis : Pourquoi pas ?
Je réponds : Sûrement pas !
Mais le temps t’endurcit
M’assouplit.
Et nos vies se cognent
Finalement.
Finalement,
Justement,
Nous fuyions
Nous survivions
Tous deux
En essayant
De ne blesser
Aucun de nos prochains,
En vain.
Mais tous deux
Élevés à se battre
A mains nues,
A l’honneur,
L ‘âme honnête.
Aujourd’hui, nous voilà,
En un point doux et calme,
Plus doux et calme que jamais,
Toi et moi
Loin des pôles,
Et de leur piques au cul
Et au coeur.
La corde s’est consumée,
Les pôles n’ont plus de sens.
Puisque nos mains s’emmêlent.
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