dimanche 9 octobre 2016

Bébé Alex

Le bébé n’a que ses yeux et ses entrailles pour armes. Il vit survit par eux.

Les gens viennent salue son arrivée en ce bad-monde. Ils ont un mouvement de recul. Parfois, un petit claquement de langue pour dire leur désapprobation. Si jeune et si gênant. L’enfant pourtant, de loin, n’a rien que d’ordinaire. Tous les bras et jambes sont en place. La tête est la même que celle de n’importe quel enfant . Elle a peu de cheveux. Plutôt foncés mais sans vraie couleur encore. De toute façon, tout cela changera encore et encore. Autant ne s’habituer à rien. Pour lInstant elle est à peine. Non sans peine mais à peine. Ils sont dupes.
Les parents ne s’aperçoivent de rien.
Les parents ne s’aperçoivent jamais de rien.
Le bébé fait cet effet-là. Il tue les consciences et les intelligences. Il réveille le plus enfoui. Le plus tripal. Il suscite l’irrépressible, le plus dingue et le plus puissant. Ce qu’on ne maîtrisera jamais. On peut toujours le nier après coup. On en toujours l’objet sur le coup. Le bébé est une divinité de l’intuition, un éclaireur du chemin le plus court vers le point G sans aucun plaisir de notre être. Le point zéro, alpha, princeps. Certainement pas lambda ni x ou y. Le vrai point de départ qu’on ignore presque toujours. Sauf peut-être le dalaï lama.
La vie comme elle va. Oublieuse. Salope oblitéreuse.
Ce bébé-là va défouir la douleur primordiale. Il fascine et attire. Il obnubilé ou répugne. On veut absolument le revoir ou plus jamais de la vie.
Ce bébé-là est né avec l’intuition de la douleur D, alpha, princeps. Chacun son don. Le minuscule humain qui va décrocher les sourires, les mettre au placard et qui regarde dans l’absurde profondeur de l’être. On en a des nausées. Qu’on soit pour ou qu’on soit contre. On est au bord des dents, la glotte aux aguets. On est ouvert, sur la table chirurgicale. Ce bébé a déjà une destinée. Il opère, ouvre, écarte les pans de la couverture sociale, qui cache, habille, construit le joli poli molli. Ce bébé-là est encore plus fou que les autres, encore plus détonnant. On dit d’elle : « Quels yeux ! quel regard ! » Parce qu’on ne sait pas comment dire autrement et qu’on ne veut pas passer pour le loufoque de service, parano à ses heures. Rien de is normal pour l’adulte de base, malhonnête et aveugle. Mais on sent l’intestin protester. Lui sait et dit qu’il se passe un truc grave. Bien plus haut et fort que les autres, il le dit. Pas sûr qu’il ait le choix d’être une grande gueule. Pas sûr qu’il ait son propre mot à dire. Quoi qu’il en soit, l’humain adulte auquel il appartient n’entendra pas les gargouillis.
Elle n’est pas devin. Elle n’est pas magique. Elle est depuis le début dans sa bulle missionnée. Elle est attendue oui comme un Messie. Pas de quoi s’enorgueillir. Elle est déjà doublement impuissante dans la vie. Elle ne l’a pas choisie sa mission. (Mission de merde, disons les choses comme elles sont.)  Elle n’a pas encore les moyens de la détester. L’enfant pourra le commencer. L’ado la haïra très vite.. Et l’adulte reniera sans remords. Chacun son potentiel.
Qui dit que l’enfance est un paradis ?
Elle se mettra quand même très tôt, tout de suite presque, dans des colères noires. Bébé parfait qui mange, qui rote et qui dort quand il faut tout bien jusqu’au moment où? La cuve est vide ou la coupe pleine.
Le puits à sec.
Les poumons essoufflés.
La gorge sans cris.
Elle ne pleure plus.
Elle se recroqueville sans qu’on le sache.
Bien sûr sans qu’on le sache !
Qui sait les drames du bébé sage ?
Qui les soupçonne ?
Elle finit par lâcher du leste et ne plus être belle. Elle est au bord. Non ! Elle est au fond ! Dans le noir le plus complet. Elle s’électrise. Elle laisse la foudre la foudroyer. Elle est en sécurité autre part, recroquevillée dans l’oeuf, tout petit œuf au fond du ventre. Elle sent les vibrations de la foudre. Toutes les catastrophes naturelles en même temps. Elle y est, tourneboule, mais aussi non. Aussi, elle regarde, elle filme le désastre. Toujours, elle filmera et enregistrera consciencieusement ces foudroyances. Elle y trouvera toujours une issue à l’entière asphyxie. Bien sûr, elle perdre rythme, elle perd de l’air. Elle se rétrécit. Elle siffle et râle. Ben oui ! La mort n’est pas loin quand elle est en colère, qu’elle ne peut plus être belle et parfaite. La mort déjà pointé son nez. Elle est dans l’armée des bébés-douleur. Les bébés du point D, alpha, zéro et la douleur.
Les bébés-douleurs.
Les bébés-soigneurs.
Les bébés-soldats.
On ne les voit pas. On parle de la santé et du pipi caca. Et après ? Et après rien. On s’inquiète pour cela alors que le bébé voudrait se retirer, voudrait rendre les armes, du moins le titre. Parce que les armes, personne n’a trouvé de bon ton de les lui fournir avec la mission. Le statut invisible qui écrase. Comme un éléphant au dos s’un nourrisson. Ridicule, risible, stupide. Dessin animé. Histoire de conte de fées. Ou pas.
Bébé Alex, soldat historique protecteur. Le magnifique. Le splendide. Fille ou garçon, finalement, peu importe. On l’aimera quoi qu’il en soit.
Oui et ?
Et ?
Et rien ?
Et, fille ou garçon, il se battra pour vous protéger sans même que vous imaginiez le lui avoir suggéré.
Suggère-t-on a un bébé ?
Réflexion faite, je dirais... Non.
Qu’en dis-tu Bébé Alex ?
Qu’en dis-tu ?
Ah oui, pardon. Au temps pour moi, tu ne parles toujours pas. C’en est agaçant d’ailleurs ce mutisme. Alors que bon... De mauvaise volonté ? Mmmm... À voir.
Les fous furieux.
Quel bonheur cette enfant ! Elle est a-do-raaable ! Elle ne bouge pas. Elle est idyllique. Et rigolote en plus ! ( ils ne disent tout de même pas qu’elle ne parle pas assez parce que ça paraîtrait fou furieux précisément, mais, soyons francs, très francs, ils le pensent. Ca complique tout. Mais on y trouve quand même un avantage. Verrez après !)
Quand elle est dans le trou, elle finit par se laisser choir. Elle laisse faire. Elle abandonne et c’est doux. Elle meurt la conscience tranquille et le corps évidé sur le champ de bataille. Elle s’endort. Ses  yeux se retournent vers le petit œuf et basta ! Elle n’en peut plus. Au bout du rouleau. Elle n’a pas même un bouclier voyons ! Pas même la moindre armure. Alors, elle leur Fuck Bye et Faites ce que vous voulez de moi, vous et tout le monde. Forcément, ça fait peur aux adultes responsables et sérieux. Qui forcément l’entourent de mille attentions. Ils se pressent. Du coup, elle revient à elle et elle cède. À chaque fois. Elle n’y résiste pas. Elle ne pense pas d’ailleurs. N’oublions pas, ni vous ni moi qu’elle est bébé, Bébé Alex. Un ch’tiot comme ca, ca n’abandonne qu’un temps, qu’un instant. Et puis ça repart comme en 40. Comme en 40, même si ça ne veut proprement rien dire. Mais enfin, quand on est in bébé-soldat, on a bien le droit à cette formule-là.
Ce bébé-la, moi, il me fout les boules. J’ai envie de tout recommencer à zéro pour lui, pour elle. De tout refaire du commencement, au point zéro, son point zéro à elle. Parce qu’on s’est bien foutu de sa gueule quand même. Bien bien foutu. Pour une bouffonne on l’a prise, une vraie bouffonne. Elle n’était même pas née qu’elle était déjà manipulée. Déjà un tournevis tout beau tout neuf, joujou impeccable qui tourne les vis pour les autres et perd la tête de vertige. Et tout le monde se réjouit du cadeau. Il y en a même un qui en jouit sur elle, l’immonde. C’est écœurant, Bébé Alex ! Et toi, tu continues de te battre pour vivre. Parce qu’un bébé, ça fait comme ça. Ça fait rien d’autre. Un bébé, ça lutte pour la vie toujours.
Ca fout les sacrées boules de voir qu’on la traite comme ça et qu’elle se bat comme ça. Moi, j’aurais bien envie d lui dire : « Bébé Alex, lâche l’affaire tout de suite. Ça ne s’arrangera pas. Un bébé, souvent, on essaye quand même de pas faire n’importe quoi. Même si ça dégringole ensuite. Sauf qu’il y en a des furieux, qui déglinguent même le bébé. Il faudrait les éliminer ceux-là, les enfermer, les stériliser. Putain, c’est Bébé Alex et ses grands yeux noirs et forts qui me font dire des conneries pareilles. Mais j’y résiste pas.
Non mais concrètement, que lui fait-on à ce bébé Alex ? Concrètement ?
On le réveille en pleine nuit parce qu’on n’arrive pas à dormir, soi, pauvre adulte en détresse. On va chercher son doudou dans son berceau.
On le caresse partout pendant des heures, le temps de s’apaiser soi-même, parents « ressources »... Parents sources de tous ses problèmes au Bébé Alex oui ! On la caresse pour se bercer soi-même. Parce qu’elle, elle est toute calme ; même parfois endormie alors forcément calme, quand on l'a chopée et qu’on lui vole son calme, comme je l’ai dit tout à l’heure.
On pleure avec elle en silence quand personne ne nous voit dans le noir, quand on peut se lâcher. Parce qu’un bébé, c’est tout doux et tout rond et ça cafte pas. Il peut tout arrondir et tout adoucir le bébé Alex. Ou un autre. Elle ou un autre, finalement là n’est pas la question. C’est le bébé poupon qui compte.
Et puis le meilleur pour la fin, il y a toutes les histoires qu’on lui raconte. Ça ne peut pas lui faire d mal. Il ne comprend rien de toute façon. Alors on lui dit tout, tout de tout.
On se soulage de tout.
On lui chie dessus.
On lui vomit toutes ses ordures de la journée.
En vrai, c’est tellement bien qu’on va faire son gros caca après ça. Et on la remercie parce que c’est grâce à elle le gros caca. Ce bébé est formidable ! Il fait tout passer !
Après, on le laisse et celui du gros caca va bien dormir, à poings fermés lui.
Bébé Ales, elle, ne dort jamais vraiment bien. Je ne vous apprends rien. Elle finit parfois par pleurer à force d’attendre. On vient, on vient. Un peu et pas mal mais quand même pas le temps qu’elle s’endorme. On est fatigué. Y en a qui bossent ici ! Rooooo mais ! Qui se lève demain pour partir au turbin et pouvoir acheter les couches ? C’est Bibi L pas toi, p’tite coucouille va !
Et sur ce, on s’appuie sur ses genoux pour se relever en lui soufflant au visage. Fait mal aux jambes cette position dis ! On va souffler dans son lit et se reposer de l’enfant. Lus loin et pas trop près. Pas maintenant du moins. Pas que ça soit aussi gênant que ca, en pleine nuit et tout le tintouin.
On a bien bercé, c’est bien.
On est fier de soi.

On chiale depuis des lignes, là, sans l’avouer, sur le sort de Bébé Alex. Mais elle, qu’est-ce qu’elle chiale, dit ou fait ? Ben, pas grand chose, pas grand chose. Toujours cette pute d’impuissance qui mène à la mort.

Il y a un moment où, à raconter ça, j’ai envie de prendre ce bébé et de le jeter contre le mur. Parce qu’elle ne sert à rien, parce qu’elle ne se défend pas, parce qu’elle laisse faire le pire et presque avec le sourire. Elle continue pour le moment d’être un bébé joyeux et gentil. Elle a des vrais bras, des bons bras, parfois. Elle s’en gave jusqu’a plus soif. On a envie d’en finir avec sa vie déjà merdique. Parce que d’ici, on sait qu’elle n’en est qu’au début du calvaire. On a envie d’être en rage pour elle, avec et contre elle, je ne sais même plus de quel côté. Envie de défoncer tout ce qui passe et qu’elle ne soit pas cette victime débile. Qu’elle se réveille, qu’elle hurle en atteignant le mur et en sentant le coup. Que ses neurones en construction prennent un coup de fouet et s’insurgent comme des emmurés.
Et puis, cette colère, cette rancoeur qu’on a contre elle s’estompe brutalement quand cogne l’image de sa vulnérabilité. Tout frappe, tout heurte pour elle. Tout le monde. Sens dessus dessous. Le bordel intégral.
Bébé Alex.
Bébé guerrier.
Pourquoi ?
Tout fait penser, pourquoi ?
Et ca, on ne peut pas y répondre.
Cette fragilité insoutenable,
Telle,
Qu’on en devient violent.
Pourquoi ?
Parçe qu’elle ne peut rien y faire, voyons !
Mais ! Pas ce pourquoi-là enfin ! Je ne suis pas une imbecile. Pourquoi cela arrive-t-il ? Pourquoi y a-t-il le droit ?
Cette lutte infinie et méprisable.
Pourquoi ?
Cet air. Rien.
Pourquoi ?
Et toute cette connerie ambiante.
Pourquoi ?

Un jour, Bébé Alex Pete les plombs. Ce n’est pas que la première fois. Elle blé de tout son corps. Elle est en transe. Elle n’est plus là. Elle ne peut plus être là. C’est impossible. Elle s’evade dans lOeuf mais en fanfare, cavalcade urgente, elle n’a pas le temps de se recroqueviller doucement. Au bord du fond,  on n’oublie pas.
Elle crève l’abces.
Elle crève un peu.
Bébé Alex est une guerrière.
Rien nEst fait à moitié.
Elle est carrément flippante parfois.

De plus en plus, elle est dans son lit et elle attend. Elle est immobile. Complètement. Quand elle sent le danger surtout. Comme pour disparaître. Elle n’est plus dans son corps. On ne doit plus la voir. L’oeuf ne fonctionne plus. Se recroqueviller n’est plus assez. Désormais, on ne doit plus la voir. Plus tard, quand elle aura l’âge, elle rêvera dUne cape d’invisibilité. Ou de se réveiller le lendemain refaite à neuf. Nouvelle carrosserie, nouveau garage, nouveaux proprios.  Mais on n’en est pas là. Au max, elle se sort d’elle-meme. Et voila tout.
A l’arrache.
Elle s’arrache.
Arrachée aussi.

J’ai envie d’arreter de parler de parler de Bébé Alex. A quoi cela sert-il ? Sinon à déprimer définitivement.
Sinon à se mettre en furie.
Sinon à en vouloir à tout l’univers.
Bébé Alex désespère.
Elle est une sale victime faible et informe.
Bébé Alex ne sert à rien.
Elle est déjà pourrie à peine sortie du bide.
Autant l’exterminer maintenant.
Exterminons oui tous ces bébés trop malheureux.
Achevons-les avait qu’ils ne souffrent encore davantage.
Mais,
On ne sait pas, en vrai, ce qui peut advenir. La vie est pleine de surprises, paraît-il.  Pleine de surprises sans aucun doute, Messieurs Mesdames. Sûrement que Bébé Alex ne s’attendait pas à ca. Surprises pleines de saletés pour les bébés-soldats.
Ce sont eux après qu’on traite de faibles.
Face auxquels on change de trottoir.
Ceux qui sont bizarres.
Ceux qui font peur.
Ceux auxquels on se frotte pas.
Ce sont pourtant eux les remparts de l’humanité.
Qui se souvient que ce sont eux qui ont un jour protégé notre espèce ?
Sue ment pas l’ecole ni la rue.
La famille ?
Jamais.
L’hôpital psychiatrique ?
Mmmmm...
La prison ?
Non non non !
Les autres fracassés ?
Oui oui et puis c’est tout.
Bébés guerriers voués à l’oubli.





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