Le fou.
Le psychopathe ? Non non ! Il prend l’air du plus nombreux.
Et le fou ne peut s’y prendre autrement que ce qu’il fait. Nos revenons donc à nos moutons.
Est-ce qu’elle est folle ? Le plus nombreux dira oui sans aucune hésitation. Nous, ici, sommes plus malins que cela. Elle n’est pas vraiment folle. Elle est folle de rage. Vous me direz que sans doute tous les fous sont d’abord fous de rage. Et. Douleur. Mais plus rage et douleur que fous. Et d’ailleurs, fous quoi ? Fous dingues ? Fous furieux ? Fous du roi ? Fous louches ? Fous à lier ? Il y a tellement d fous que peut être il n’y en a pas vraiment en réalité. Mais quand on dit cela, on se fait traiter avec mépris et lâché relativiste. Je pense au contraire que c’est un grand courage, puisque, suivez-moi bien !, si personne n’est vraiment fou, tout le monde l’est aussi un peu.
Où sont donc les lâches ?
Elle n’a pas pu faire autrement.
Elle est partie très loin, il y a très longtemps. Elle a voulu bâtir un autre cours. Un tout nouveau ru. Elle s’est frottée les mains, elle a senti que tout était possible. Elle était enfin adulte et la liberté s’offrait à elle. Elle allait tout refaire, de zéro. Elle y a cru dur comme fer. Elle était prête. Depuis ses 7 ans, elle se disait : « je serai grande quand j’aurai 16 ans. Je recommencerai tout quand j’aurai 18 ans, quand je claquerai la porte de cette maison hantée. Putains d fantômes ! » Elle a fait tout ça. Elle s’est sentie vieillir et se libérer à 16 ans. Elle a claqué la porte à 18. Et elle n’a plus jamais donné signe de vie. Elle a adoré ça. Juste avant. Elle en trépignait d’impatience et de peur. Soyons juste ! Sur le moment pile, au tout petit matin, parfaitement seule et tranquille. Elle a même pris son temps. Elle a tout bien regardé une dernière fois.. Sans nostalgie. Pour le plaisir, c’est tout. Pour être la vraiment pour la dernière fois, sciemment et elle en est presque venue à l’orgasme. Elle souriait. Elle faisait très attention à tous ses gestes, lents et doux. Elle marchait à tout petits pas petons ou essayait aussi plus pesamment. De toute façon, elle pouvait bien faire ce qu’elle voulait, elle était à la lisière de sa nouvelle vie. Et elle demeurait quelques minutes les yeux fermés juste avant d’atteindre le panorama sublime de son avenir. Elle avait fini par s’apprêter a sortir. Elle avait enfilé son sac avec volupté. Et elle avait passé le satané seuil. Elle était restée quelques secondes, la patte gauche en l’air dans cet entre-deux superstitieux, comme invoquant Dieux et Diables, les provoquant même et leur montrant sa témérité. Elle leva les yeux, gardant toujours l’équilibre. Là, son sourire avait été sardonique, a elle la douce blonde aux yeux lavande. Son sourire avait été sans failles et sans peurs.
Elle avait enfin pris la route. Les rues étaient encore très sombres. Il faisait très froid. Elle est une fille de Décembre, de Noël et ses mystères nordiques.
Elle avait d’abord marché pour le loisir, tout en veillant à bien s’éloigner du foyer du malheur. Elle avait eu 18 ans la veille.
Ce soir, on fêtait Noël.
Où qu’elle soit, avec quiconque, elle serait la plus heureuse.
Elle avait déjà décidé en réalité. Elle passerait la soirée du 24 à l’aéroport ou déjà dans l’avion. Elle partait pour l’Australie, le vrai bout du monde. Elle avait économisé avec ses petits boulots s’était servie dans les multiples cachettes parentales et paranoïaques pour arrondir la somme ; le vol, les premiers mois de subsistance ou semaines ou jours. Elle savait qu’elle trouverait un travail tout de suite. Elle avait tout préparé. Elle s’était renseignée et fait aider, par des inconnus bien sûr pour les papiers et tout le reste. Sans hésitation, elle avait fraudé.
Dans le train d’abord.
A Roissy ensuite.
Elle vadrouilla, vide, enfin pleine, dans les différents halls.
Elle rêva en s’arrêtant au beau milieu des voyageurs stressés, prise par une image, un symbole, un quelque chose d’important, seulement pour elle. Par les nerfs du train, elle avait imaginé, dormi, rêvé, craint quand le contrôleur l’avait touchée pour la réveiller. Elle lui en aurait bien coller une.
Souvent d’ailleurs elle avait bien envie de baffer mais quand elle voyait l’effet qu’elle faisait à son prochain, toujours attendri et souvent admirateur (elle ne comprenait pas ça. C’était terrible de faire cet effet de poupée fragile.), elle ravalait sa rage. Elle était incapable de frapper sans résistance face à elle. C’était au-dessus de ses forces.
Ces heures dans l’aéroport furent sans doute, à cet instant-là de son existence les meilleures. Les plus belles heures de sa vie. Elle se sentait enfin en sécurité. Enfin, elle n’avait plus à fuir et faisait face, aussi contradictoire que cela paraisse. Elle avait laissé son téléphone dans la maison, pas sa maison, cela n’avait jamais été sa maison. Avec cette famille-là, elle n’avait pas de foyer. Avec cette famille-là, pour mieux dire, on n’avait pas de foyer. Son foyer, ça avait été l’ecole surtout. Et puis chez l’une chez l’autre. Elle se faisait aimer très fort, Nikè Christisopoulos. Elle se faisait accueillir, choyer, admirer. On l’aimait vite et beaucoup, souvent. Elle ne savait pas pourquoi. Elle n’avait rien d’extraordinaire. On lui disait que la Grèce, quel beau pays ! Quel Histoire ! Elle en avait de la chance ! Ca, elle ne pouvait pas dire le contraire. Elle adorait son pays. Là, elle aurait peut-être eu un foyer. Mais c’était beaucoup trop près de la maison. Beaucoup beaucoup trop près. Elle aurait encore eu peur, encore fui aux coins des rues comme une voleuse. Elle avait toujours cette impression. Une pauvresse recherchée, en cavale. Pourtant on aimait sa fierté, sa dignité, si jeune. Elle n’y comprenait rien. Elle souriait parce qu’elle voit le coeur chaud à entendre ces belles paroles. Elle souriait et remerciait en même temps. De toute façon, il n’y avait pas grand-chose à dire. Elle se trouvait encore plus fuyard quand elle parlait pour ne rien dire. Alors souvent, elle se taisait. Un beau silence sans méchanceté. Un silence serein, disaient-ils régulièrement. C’est qu’ils n’aimaient pas la bonne personne. Elle pouvait s’agacer à ce moment-là et répliquer qu’à son âge, on pouvait difficilement être serein, que c’était un peu prématuré de dire ça. Mais, allez convaincre les gens quand ils sont satisfaits... C’est peine perdue. Toujours est-il qu’elle avait du monde, un monde fou si elle le voulait, autour d’elle. Elle avait tous les foyers qu’elle désirait. Mais aucun n’était le sien. Elle avait tous les parents qui finissaient par l’aimer comme si elle était de la famille. Mais pas la sienne. Pas qu’elle courût après la famille idéale. Elle était loin de cela. Elle attendait seulement une place. A force de voler, survoler, suspendue, elle avait acquis une force d’équilibre instable, pas donnée à tout le monde. A ceux qui n’ont pas de place précisément. Une planeuse, voila ce qu’elle avait réussi à être, malgré elle et qui faisait cet effet si intense aux gens. Ils la croyaient libre. Ils la croyaient sublime. Ils devaient lever un peu les yeux pour la voir. Elle planait un peu au-dessus. Ils se trompaient mais elle y gagnait. Elle les remerciait de cette erreur salvatrice. Elle comprit grâce à eux qu’un pis-aller, une solution de fortune, peut être une beauté et une arme. Elle comprit que rien n’était figé. A l’aéroport, elle pensa à tous ces gens qui l’avaient aimée et qui ne pourraient plus et finiraient par s’essouffler. Elle leur était reconnaissante de ce qu’ils lui avaient appris. Ils avaient fait d’elle une combattante. Pas simplement une fracassée. Ils l’avaient convertie.
La chose qu’elle ne s’expliquait pas, c’est qu’elle ne parvenait pas à les aimer. Elle avait le coeur sec, comme d’aucuns disent. Elle avait pour la première fois entendu cette expression dans un film quand elle avait 8 ans. Elle ne l’avait jamais oubliée. Parce qu’elle se savait concernée. Elle avait le coeur sec. Elle ne faisait pas de mal. Elle n’aimait personne. Elle n’avait pas envie d’aimer quiconque. Elle s’en tenait là et s’en était bien. Elle planait et c’était ça sa vie. Elle n’était jamais virulente contre les gens. Elle s’en fichait. Non ! Pas « elle s’en fichait ». Trop dur. Elle n’en avait pas besoin. Elle avait essayé de les aimer fort comme ils le faisaient mais elle échouait toujours. Elle ne tirait pas assez de bénéfices de cet attachement. C’est ce qu’elle avait conclu vers 16 ans quand elle s’était plus profondément penchée sur la question. Elle se disait qu’elle devait bien être anormale et elle se souvenait de ses amours de petite fille. Mais elle n’en changeait pas pour autant. Elle admirait les autres de savoir faire.
La vie est ainsi faite se disait-elle dans l’aéroport, que l’on suppose toujours enviable et louable ce que l’autre sait et qui nous échappe. Elle n’en faisait pas pour autant une jaunisse. Mais peut-être que le jour où elle y arriverait, elle trouverait cela bien pitoyable finalement. Tout comme ils se seraient aperçus de la nullité de l’état de planage. Nullité non mais désintérêt absolu pour un humain de bonne constitution.
Passons sur le voyage et ses étapes. Il ne se passa rien que de logistique.
Nikè atterrit à Sydney. Elle était arrivée a bon port. A son port.
Dès lors, elle cessa de planer. Et commencèrent les vraies choses.
Aujourd’hui, dans sa cellule, elle sait qu’elle n’a rien pu faire autrement. Jusqu’à aujourd’hui. Qu’elle n’aurait rien pu faire autrement. Il est aisé de s’excuser ainsi. Oui. Pourtant, elle sait que nécessite fait loi. Fait loi des dizaines d’années. Et la nécessité s’évanouit et alors, la liberté de choix apparaît. Pour elle, on ne peut pas parler de s’évanouir... Elle a plutôt brutalement fait cesser la nécessité.
Elle a rêvé là-bas à l’autre bout du monde de la famille folle. Elle l’avait effacée. Elle l’avait anéantie. Et puis, elle était revenue la hanter. Elle avait cru devenir folle. Elle s’était remise à planer mais on s’était inquiété autour d’elle. On n’avait pas trouver ça beau ni admirable comme quand elle avait 17, 18 ans. Peut-être que ça ne plaît pas aux Australiens. Elle ne dormait plus, mangeait peu et travaillait encore davantage que d’habitude. Ceux qui l’aimaient avaient peur.
Une nuit blanche de plus, elle avait décidé ou la nécessité avait décidé pour elle de rentrer en France et de faire taire ces démons. Les faire taire pour toujours, sans aucune issue. Elle-même était étranglée dans son être le plus entier. Elle avait pris l’avion le lendemain. Elle avait prévenu. Ceux qui l’aimaient et qu’elle n’aimait toujours pas. Elle n’avait pas expliqué. Ils n’avaient pas demandé.
Elle avait atterri à Roissy. L’aéroport avait énormément changé. Il était bien plus beau mais elle le trouvait bien plus laid. Exaspérant même. Elle y aurait foutu une bombe. Elle fit un petit tour, histoire de voir si elle y retrouvait cette douceur de ses 18 ans. En vain. Elle sortit furax. Elle héla un taxi, lui parla à peine et lui indiqua la maison. Il ne dit rien. Il voyait que la dame était en colère et qu’elle n’avait vraiment pas l’aire commode. Bien lui en prit. A la porte du domicile familiale, elle eut un haut le cœur qu’elle réprima puisqu’elle était encore dans le chicle,et qu’elle ne voulait pas salir la voiture du taxi innocent ma foi. Même si lui aussi devenait exaspérant. Elle paya et claqua la portière. La nausée ne passait pas. Elle sonna.
On lui ouvrit. On ne comprit rien. On ouvrit la bouche bée et on se laissa vomir sur les pieds. On se doubla et les quatre yeux se fixèrent sur Nikè.
« Nikita... »
Ce fut la seule parole prononcée.
Elle rentra dans la maison. Elle fila dans la cuisine. Elle se saisit du fameux couteau. L’arme de son enfance. L’arme des parents fous. Et elle s’approcha du couple qui faisait bien rabougri. Elle faillit le leur faire remarquer mais n’en trouva pas l’utilité. Elle ouvrit elle aussi la bouche comme un poisson rouge stupide et ils sourirent parce qu’ils crurent qu’elle leur parlerait, qu’ils pourraient l’atteindre, la trouver. Les yeux et le cou en attente. Parce qu’ils l’aimaient de tout leur coeur, les furieux. Même les furieux aiment de tout leur coeur. Sans doute trop d’ailleurs. Elle planta la lame juste dans le palpitant. Elle eut même le temps de viser. Ils ne bougeaient pas. Ils étaient déjà morts ?
Le premier.
La deuxième.
Ils s’écroulèrent.
Elle repartit.
Elle repartit a l’aéroport.
Et elle pleura de joie. Pour la première fois de sa vie, elle sentait quelque chose de moelleux presque fondant entre les seins.
Elle n’avait pas prévu de prendre l’avion mais elle se dit qu’elle reviendrait vite. C’était pour, une seule fois, aimer ses proches.
Elle les aima d’un coup, sans crier gare. Elle les aima avant même de les avoir sous la main. Elle les serrai dans ses bras. Elle leur dit qu’elle les aimait. L’Australie trembla. Peut-être la Terre toute entière.
Elle reprit l’avion.
Elle fut arrêtée à l’aéroport et ne contesta rien. Elle ne dit pas un mot. Elle sourit comme elle souriait à ceux qui l’aimaient et l’admiraient toute jeune. La vraie loi s’exprimait. Elle n’avait plus rien à perdre ni à gagner.
Dans sa cellule, elle est une grande criminelle au coeur enfin tendre.
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