lundi 16 avril 2018

Darina al-Joundi/Mohamed Kacimi, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter - Editions Actes Sud (janvier 2008)

Liban, coincé entre toutes les parties de cette guerre qui ne cessera donc jamais !
Liban hétéroclite.
Liban mosaïque de confessions et croyances.
Liban rattrapé par une haine collante, prédatrice.
Liban si beau de ce kaléidoscope de fois n’a pas droit à cette tolérance.
N’a plus le droit et se soumet car la tolérance est dangereuse.
La tolérance devient un extrémisme.
Le monde est sens dessus dessous.
Les images normales qui collent à la peau une fois la lecture achevée, de ces rues bombardées, de cet appartement troué en son plein milieu, de ces chants d’armes lancinants, les mitraillettes qui bercent et les bombes qui endorment, au loin. Comme les chants d’oiseau en été annoncent les heures du jour et rythme la vie. C’est ainsi que peut apparaître au lecteur le pays qui nous est ouvert dans Le jour où Nina Simone a cessé de chanter.

         On connaît le Liban indirectement, trop peu, comme un acteur secondaire, un deuxième violon. Il prend ici toute son ampleur dans son Histoire retracée à travers les yeux, non pas les yeux ! Que dis-je ! À revers le corps tout entier de l’héroïne, son corps de fille puis de femme. La sensorialité est au coeur de ce récit et les yeux et leur intellectualité ne suffisent sûrement pas à le décrire. Darina grandit avec les bombes. Elle ne fait pas que les regarder et témoigner. Bien sûr que sa parole à valeur de témoignage et que le lecteur l’entend ainsi. Mais elle nous fait sentir ce pays et le tourbillon dans lequel il roule et danse. La guerre devient avec les mots de Darina un art de vivre, presque une addiction, une adrénaline permanente, jouissive au final pour ne pas en crever. La guerre semble comme un cocon, un étrange nid où la jeune femme trouve sa place. Elle y trouve aussi la beauté, la poésie. Et l’on écarquille les yeux parce qu’on ne peut pas comprendre si l’on n’a pas connu la guerre. On se contente d’assister au monde la tête en bas. L’absurde finit par poindre.

       La tolérance est un extrémisme et la liberté d’une femme est une folie. On ne peut plus que fuir et c’est encore le plus courageux. L’on mesure comme la folie n’est qu’affaire d’interprétation sociale et éducation, parfois. Quand le réel partagé reste le même, que le délire n’est pas de mise, l’individu à enfermer ne fait que dépasser une limite arbitraire. Il en va de même dans chaque société mais on ne le perçoit que dans les autres que la sienne propre. La société et sa culture ont raison de nous le plus souvent. Pas de Darina qui ne se plie à aucun diktat et reste fidèle à son père féministe.

       Darina et son père entretiennent une relation qui ne peut qu’interpeller. Elle est son étendard de liberté et son amazone. Il l’entraîne à combattre sans relâche le monde tête à l’envers qui ne pense plus et guerroie, il ne sait même plus pour qui pour quoi. Contre la difficulté d’accepter l’étranger et l’insoumis sans aucun doute. Pour la simplicité d’une pensée binaire, machinale, (s’agit-il réellement d’une pensée d’ailleurs ? On dirait plutôt que le pulsionnel dicte l’animal qui n’est plus social.) et apaisante de bêtise. Ce père féministe, en aucun cas émasculé, est un personnage extraordinaire qui veut faire de sa fille une femme extraordinaire. Où et quand a-t-on vu un tel père ? Dans nos sociétés soi-disant libérantes ? Qui a lu ou vécu un tel père ? L’amour qui lie ces deux êtres est désarmant. Une intimité qui fait de cette jeune femme la continuité véritable de son parent. Elle le porte en lui. Il l’a façonnée en lui interdisant les interdits insensés, en lui louant la douce folie de la pensée libre. Sa mère donne l’exemple. Mais c’est bien le père de Darina qui s’insurge haut et fort pour ses filles et par là même pour la cause des femmes. Mais Darina n’est-elle pas aussi prisonnière de cette exigence de liberté qui la définit ? Elle ne peut jamais baisser les bras ni se reposer. C’est ce qui en fait une héroïne pour sûr. Est-on si libre de devoir être libre ?

          Rien que pour ce portrait de père, l’homme féministe, Le jour où Nina Simone a cessé de chanter est à découvrir. Un autre monde, une autre vie. Des choix cruciaux, à chaque coin de rue. Ce livre est à lire en ces temps où le monde arabe brûle et doit nous interroger encore et encore dans toute sa complexité.

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