L’inconnu
Ôte ses lunettes,
Non sans mal.
Jamais il ne les quitte,
Jamais elles ne le quittent,
Qui sait qui fait quoi ?
Il garde
Bien baissée
La tête,
Les yeux à l’ombre
De leurs cils
Et de quelques mèches de
Cheveux
Câlines.
Il reste
L’inconnu
Quelques instants
Suspendus.
Je le regarde
Les yeux tout ouïe.
Ils savent
Que le moment est
D’or.
Il relève
Peut-être douloureusement
Le chef.
Il reste encore
Quelques instants
Suspendus
Les yeux bas.
Puis,
Le regard parfaitement
Clair,
Pas le moins du monde
Trouble,
L’homme à lunettes.
Il n’a jamais aussi bien
Vu
Ou bien alors
Il voit
Là
Ce qui n’a pas
Besoin
D’un oeil.
Je ne vois plus
Que ça,
Ses iris
Comme une ville
Comme une carte
Comme un vieux
Qui laisse l’Histoire
Le traverser.
Je vois
Ce qu’il cache
Jour et nuit,
Sauf peut-être
A la minute entre les deux,
Les yeux ouverts dans le noir
Qui se doit
D’être
Complet.
Mais personne ne les
Voit.
Les iris
Grandissent
Et l’inconnu n’est plus
Que
Deux énormes
Yeux
Qui jurent de
Ne dire que la vérité
Rien que la vérité.
Ils ne jurent rien.
Il suffit de les
Entendre
Raconter toute
L’histoire.
Je plonge en eux,
L’un après l’autre
Comme dans deux
Palpitantes
Géodes
Où le film repasse
Dès le
Commencement.
Je vois tout,
Tout ce qui reste,
Tout ce qui encre.
Sans ses lunettes,
Nu comme un ver.
Je ressors
Ébouriffée.
Combien de temps ?
Une année ou seconde,
Je ne peux rien
En dire,
Le monde est
Bouleversé.
L’inconnu s’est fait
Âme sœur,
Ineffable.
Il rechausse ses lunettes.
Mais rien n’est plus
Pareil.
Son visage,
Ses mains,
Tout son corps
Sont criblés
De cicatrices et
De peintures.
Grottes de Lascaut.
Grand brûlé.
Guernica.
Guerre vivante.
Il a pris corps.
L’inconnu
Est mort.
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