Salina,
conte africain de la femme guerrière de vie
Au
moment de passer de vie à trépas, la parole d'un fils dit sa mère,
une survivante, une héroïne inconnue. Salina incarne cette femme
qui survit à tout pour mourir en paix.
Salina
est une femme hors du commun ; une femme du désert qui a fait
de ses trois exils une destinée de survivante. C'est surtout à
elle-même qu'elle survit. Son fils raconte sa mère dans une parole
qui invoque.
L'écriture
sensitive et sobre de Laurent Gaudé pourrait pâtir d'une analyse
par trop rationnelle. Tentons donc de lui être fidèle et de ne pas
attaquer l'indicible empire des sens avec un intellect imbu de
lui-même.
Entre
une vision en loupe, au plus près des ressentis et une autre tout
à fait à distance, le narrateur nous envague dans le destin
de Salina. Ces points de vue extrêmes, éloignés du consensuel
regard narratif traditionnel de la littérature de notre continent,
nous donnent des haut-le-cœur. Sauf si l'on se laisse bercer et
suit le mouvement de ces grandes crêtes et creux. Sauf si l'on
accepte de ne pas marcher dans les sentiers battus de notre rythme
occidental.
On
a pris l'habitude depuis quelques décennies de lire ces romans et
textes qui transmettent l'étranger, l'africain notamment en ce qui
concerne l'écriture française. Pourtant, comme son nom l'indique,
il demeure étrange et fait toujours plus ou moins violence. Il nous
oblige. Il nous dirige, autre part.
Il
y a aussi cette forme de conte, ce quelque chose d'un peu légendaire.
Cela rejoint l'usage imaginaire que nous aimons construire à partir
du continent noir. Dont nous avons besoin sans doute. L'on se nourrit
de ses couleurs, de sa chaleur, de ce qui nous voyage pour rêver et
écrire nos mondes intérieurs. Laurent Gaudé s'inscrit, à mon
sens, avec Salina dans cette .
De
fait, ce texte est imprégné de sens, dans toutes les acceptions du
terme. L'histoire d'un humain, qui se répète de génération en
génération. Les pleurs du bébé qui se répètent comme l'héritage
d'un mère à son enfant. La haine qui fait naître les démons. Tout
comme un texte légendaire, le sens pénètre chaque part du récit.
Pas de fioritures. Il cible l'essentiel.
Les
images symboliques vont et viennent tout au long de la narration d'un
fils racontant sa mère. Tout est sujet à interprétation. Au
lecteur d'y entendre ce qui résonne pour lui. Laurent Gaudé pour
autant ne complique pas son texte. Aussi paradoxal qu'il y paraisse,
Salina dans ses trois exils
demeure condensé. La myriade de miroirs et reflets se jouent à
l'intérieur d'un être qui ne s'éparpille pas. Ne cherche pas
l'exhaustivité morcelée de notre société contemporaine. Un mythe
auquel certains d'entre nous voudraient se raccrocher ? Sans
doute. Et ce sont les mythes qui proprement animent un groupe humain.
Et
puis, il y a aussi cette figure du survivant, de l'être héroïque
qui revient d'entre les morts. Salina en est. Et plus d'une fois,
elle ressuscite, donnant à voir la puissance de la volonté de
vivre. Elle est cette figure des messagers du monde qui parlent le
langage de l'univers et font surgir le surnaturel mais qui n'en
restent pas moins des humains bien réels. Ce sont ces sortes de
personnages auxquels on pense quand on perd courage et qui nous font
sourire d'espoir. Un peu naïf ? L'espoir et le rêve sont
toujours des naïvetés pour certains. Ils n'en sont pas moins
vitaux. Et Laurent Gaudé nous en offre une nouvelle incarnation.
Profitons-en pour se rêver Salina et braver l'adversité quoi qu'il
en coûte, jusqu'aux limites du désir d'être.
L'auteur
n'a probablement pas eu une quelconque prétention avec son ouvrage,
Salina. Il s'inscrit dans un genre connu et reconnu. Il ne
révolutionne pas. Mais est-il besoin de révolutionner pour être
intéresser. Ce livre est la preuve du contraire. Il est l'humble
contribution de Laurent Gaudé au texte légendaire moderne.
Laurent
Gaudé, Salina, les trois exils, Editions Actes Sud -
9782330109646 - 16,80€
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