Comme
au cinéma ou le film du temps
Aux
antipodes, le tableau de plusieurs époques successives à travers la
vie de plusieurs générations d'une même famille. Le temps file et
les personnages glissent d'âge en âge, de ruptures en
retrouvailles, de partages en solitudes.
C'est
une sorte de fresque que construit Fiona Kidman dans Comme
au cinéma. Elle
traverse la fin du XXe siècle et le début du XXIe comme dans un
traveling en effet cinématographique. La caméra sous nos yeux
saisit la vie d'une mère puis de ses enfants, de leurs familles
propres et de ces enfants-là à nouveau. Le temps s'enroule sur
lui-même en arabesques infinies et le roman s'arrête mais pourrait
ne pas. Le lecteur se projette en refermant le livre et poursuit
cette course de générations en générations.
Ici,
il n'y a pas réellement de héros. A choisir, il s'agirait davantage
d'héroïnes d'ailleurs : les femmes prennent une place
importante dans la narration. Belinda oui s'impose comme figure
centrale autour de laquelle se tourne le film. Mais encore une fois,
ce n'est pas elle dont il est vraiment question. Le temps, la famille
et ses relations sont les véritables héros et héroïnes de ce
texte. Les personnages restent floutés et même en premier plan,
finalement secondaires.
Le
portrait de la famille que l'autrice brosse est sombre, c'est peu de
le dire. La violence y prend grande part. Le besoin de s'en libérer,
de s'en échapper. Vivre sa vie semble s'opposer à vivre sa famille.
L'authenticité de l'individu ne s'y retrouve pas, pour diverses
raisons. Les ruptures s'accumulent. Même si l'affection y est, elle
est souvent brisée dans l’œuf. Loin de l'idéologie souvent à
l’œuvre dans notre société contemporaine, d'une famille foyer,
refuge, protectrice et pleine d'amour, c'est dans une optique plus
réaliste que Fiona Kidman aborde le thème. La bienveillance, le
lien puissant contre vents et marées n'existent pas ici.
Pour
parvenir à cela, l'écrivaine maintient de la première à la
dernière page une distance, un flottement qui semble retenir
l'attachement que l'on pourrait ressentir pour les personnages. Cela
paraît même surfait, cet attachement, à la lecture de ce livre,
comme superficiel et un peu inconscient. Le lecteur-spectateur doit
entendre la vraie mélodie derrière les humains qui s'agitent en
marionnettes. La nostalgie soutient ce recul permanent que l'on garde
face à la narration. Nostalgie la tête un peu penchée, trop
inquiète, trop réfléchie. Inévitable, semble-t-il. La poésie des
paysages notamment nourrit cette nostalgie et sans doute alors, le
temps-héros se voit adjoindre l'espace et son infinité
vertigineuse.
Ce
qui interpelle dès le premier chapitre, c'est avec une certaine
évidence le rythme de la narration. Il ne suit certainement pas un
rythme littéraire classiquement retrouvé dans les œuvres
françaises d'aujourd'hui. Peut-être le rythme est-il marqué d'
« anglo-saxie ». Cela m'en donne le sentiment. Toujours
est-il que l'on n'a as le temps de s'apitoyer et, je le répète, de
s'éprendre des personnages. La narration coule en rapides. Elle
bouscule le lecteur, le pousse d'emblée dans ses retranchements.
Abrupt, le récit ne concède pas de pause. Rien d'effréné, ne nous
y trompons pas. Mais derrière un masque tranquille, des cassures au
couperet et la vie qui avance sans concessions. Peut-être cette
violence faite au lecteur fait-elle écho à la violence de
l'existence en famille, de l'existence dans l'absolu, sous ses airs
impassibles, ses airs de rien.
Tel
un long-métrage en effet, Comme
au cinéma, roman qui
s'enfuit et claque l'impitoyable temps qui passe. Sous couverture
mais sans pitié.
Fiona
Kidman, Comme au cinéma,
traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Dominique Goy-Blanquet,
Éditions Sabine Wespieser, 9782848053271 – 23€
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