mercredi 19 juin 2019

Fiona Kidman, Comme au cinéma, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Dominique Goy-Blanquet, Éditions Sabine Wespieser


Comme au cinéma ou le film du temps


Aux antipodes, le tableau de plusieurs époques successives à travers la vie de plusieurs générations d'une même famille. Le temps file et les personnages glissent d'âge en âge, de ruptures en retrouvailles, de partages en solitudes.



        C'est une sorte de fresque que construit Fiona Kidman dans Comme au cinéma. Elle traverse la fin du XXe siècle et le début du XXIe comme dans un traveling en effet cinématographique. La caméra sous nos yeux saisit la vie d'une mère puis de ses enfants, de leurs familles propres et de ces enfants-là à nouveau. Le temps s'enroule sur lui-même en arabesques infinies et le roman s'arrête mais pourrait ne pas. Le lecteur se projette en refermant le livre et poursuit cette course de générations en générations.

Ici, il n'y a pas réellement de héros. A choisir, il s'agirait davantage d'héroïnes d'ailleurs : les femmes prennent une place importante dans la narration. Belinda oui s'impose comme figure centrale autour de laquelle se tourne le film. Mais encore une fois, ce n'est pas elle dont il est vraiment question. Le temps, la famille et ses relations sont les véritables héros et héroïnes de ce texte. Les personnages restent floutés et même en premier plan, finalement secondaires.

      Le portrait de la famille que l'autrice brosse est sombre, c'est peu de le dire. La violence y prend grande part. Le besoin de s'en libérer, de s'en échapper. Vivre sa vie semble s'opposer à vivre sa famille. L'authenticité de l'individu ne s'y retrouve pas, pour diverses raisons. Les ruptures s'accumulent. Même si l'affection y est, elle est souvent brisée dans l’œuf. Loin de l'idéologie souvent à l’œuvre dans notre société contemporaine, d'une famille foyer, refuge, protectrice et pleine d'amour, c'est dans une optique plus réaliste que Fiona Kidman aborde le thème. La bienveillance, le lien puissant contre vents et marées n'existent pas ici.



     Pour parvenir à cela, l'écrivaine maintient de la première à la dernière page une distance, un flottement qui semble retenir l'attachement que l'on pourrait ressentir pour les personnages. Cela paraît même surfait, cet attachement, à la lecture de ce livre, comme superficiel et un peu inconscient. Le lecteur-spectateur doit entendre la vraie mélodie derrière les humains qui s'agitent en marionnettes. La nostalgie soutient ce recul permanent que l'on garde face à la narration. Nostalgie la tête un peu penchée, trop inquiète, trop réfléchie. Inévitable, semble-t-il. La poésie des paysages notamment nourrit cette nostalgie et sans doute alors, le temps-héros se voit adjoindre l'espace et son infinité vertigineuse.



     Ce qui interpelle dès le premier chapitre, c'est avec une certaine évidence le rythme de la narration. Il ne suit certainement pas un rythme littéraire classiquement retrouvé dans les œuvres françaises d'aujourd'hui. Peut-être le rythme est-il marqué d'  « anglo-saxie ». Cela m'en donne le sentiment. Toujours est-il que l'on n'a as le temps de s'apitoyer et, je le répète, de s'éprendre des personnages. La narration coule en rapides. Elle bouscule le lecteur, le pousse d'emblée dans ses retranchements. Abrupt, le récit ne concède pas de pause. Rien d'effréné, ne nous y trompons pas. Mais derrière un masque tranquille, des cassures au couperet et la vie qui avance sans concessions. Peut-être cette violence faite au lecteur fait-elle écho à la violence de l'existence en famille, de l'existence dans l'absolu, sous ses airs impassibles, ses airs de rien.



    Tel un long-métrage en effet, Comme au cinéma, roman qui s'enfuit et claque l'impitoyable temps qui passe. Sous couverture mais sans pitié.



Fiona Kidman, Comme au cinéma, traduit de l'anglais (Nouvelle-Zélande) par Dominique Goy-Blanquet, Éditions Sabine Wespieser, 9782848053271 – 23

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire