Renverse
le monde, ris-le et pense
Voici
un petit ouvrage jeunesse qui met le monde sens dessus dessous. Pas
de métaphore ni de jeu de mots. C'est bien l'envers et l'endroit
dont les autrices, comme elles l'écrivent elles-mêmes, échangent
les places. L'homme devient femme et vice-versa. Le genre questionné
sans concession.
L'on
lit les quelques premières pages surpris et souriants. Florence
Hinckel et Clothilde Delacroix se sont prise au jeu de faire de la
femme l'homme et de l'homme la femme tels qu'ils se situent dans la
société. L'on voit tous les masculins devenir féminins et
inversement bien entendu, à tous les niveaux possibles. Rien n'est
omis et les plus petits détails sont réglés sur ce nouveau pas.
Il
n'est pas aisé de décrire ce livre, même d'en évoquer le contenu.
Il s'agit d'une atmosphère, d'une structure interne à explorer par
la lecture. Il se peut seulement affirmer que nos repères se perdent
et que voilà une expérience qui conduit toujours à une fin
intéressante.
Quoi
qu'il en soit, on a beau tenter d'imaginer notre quotidien en tant
que femme dans une position d'homme (ou le contraire bien entendu)
dans une société qui l'a instauré comme sa loi, on ne pousse
jamais l'exercice jusqu'à l'extrême. C'est ici un exercice
intellectuel qui nous est proposé qui nous oblige à tout repenser.
La réalité s'éclaire alors sous un autre jour.
Sur
la longueur, on peut un instant penser que le procédé s'essoufflera
et qu'il devient trop systématique. C'est lorsque l'on est un peu
comme dans le creux de la vague de la mi-lecture, vous savez bien
vous qui lisez. Et puis, survient le regain et voilà que les mots
prennent de l'ampleur. La réflexion à laquelle ils mènent s'avère
bien plus profonde qu'elle n'a pu le paraître auparavant. Il s'agit
du pouvoir. Il s'agit de la marche du monde, celle de tous les jours,
parfois, souvent, invisible. Ce texte a une dimension polémique
voire même politique certaine.
L'accent
est mis sur la langue, la langue française ici, qui emploie pour
exprimer le genre neutre le masculin. Les autrices se saisissent de
cette particularité de notre langue latine pour rire. Peut-être que
même convaincu de la légitimité de la lutte antisexiste on n'avait
pas jusqu'à présent penser cet épineux problème de la langue, se
cachant derrière des considérations rationalisantes. Ici, rien ne
permet de se cacher et d'échapper à la langue et son inhérente
voix politique. Vous êtes immergé dans l'autre, l'étrange autre et
cessez donc de battre des mains et pieds comme un petit chien. Cela
est purement vain.
Les
dessins essaimés au fil des âges animent joyeusement les mots. Ils
redoublent le langage avec finesse et par un autre biais qui nous
parle plein les yeux. Ce qu'on ne voudrait peut-être pas entendre ne
se peut plus !
Cependant,
une fois qu'on a passé en revue toutes ces sérieuses
considérations, l'on se doit de parler du rire. Chaque page a sa
sortie saugrenue, son bon mot et une saillie inattendu. Saillie
précisément : ce texte est rempli de petits reliefs drôles et
intelligents. L'on ne peut pas s'ennuyer et l'on attend la prochaine
bouffonnerie.
Car
c'est le fou bouffon du roi auquel on pense ici, celui qui renverse
le monde et se joue des lois du monde. Celui qui a le droit d'avancer
tête en bas pieds en l'air et de moquer le monarque et tous les
seigneurs messires. Celui qui assure de ne pas perdre la raison en
croyant absolues règles du jeu. Fou bouffon garde-fou. C'est le rôle
que peut endosser ce petit livre.
Adressé
aux enfants. Réellement, il vaut la peine d'être lu par tout
adulte. Il n'est pas de petit genre. Et pas de petite pensée. Je
vous jure en tout cas mes grands dieux que je le prêterai sans
hésiter à ces adultes qui m'entourent. Tout comme moi, ils en
ressortiront un point d'interrogation en plus dans la tête.
Florence
Hinckel et Clothilde Delacroix, Renversante,
Editions L'Ecole des Loisirs, 9782211239387, 10 €
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