Quand
le théâtre classique s'invite en modernité
Un
monde d'enfants. Un monde pourtant loin d'être pur et la vérité
non ! ne sort pas de la bouche des petites têtes blondes. Anges et
diables, comme partout. La tragédie classique a sa place à tous les
âges. Le Nouveau revisite le genre pas si suranné qu'on
pourrait le croire, sur fond de racisme. Enjeux sociaux en cour
d'école.
Ce
roman remonte cinquante années en arrière pour nous rappeler
peut-être, même s'il ne semble pas avoir vocation moralisatrice, ce
que fut d'être noir aux Etats-Unis dans la petite bourgeoisie
blanche. Comme une question qui pique. Un tableau littéraire, très
littéraire, de ce phénomène social. Il ne s'agit pas d'un
manifeste mais il n'empêche que les mots interpellent. De nombreux
films mettent ce thème en scène. Le cinéma nous en abreuvent même.
Mais les insultes noires sur blanc ne sont pas chassées par le son
des mots suivants et elles attirent l’œil encore et encore même
quand la page est finie d'être lue. On y revient. Les mots
clignotent et sans doute interpellent d'autant plus.
Rien
de nouveau a priori donc dans cette toile de fond. C'est sans compter
sur l'identité forte de ce roman.
En
effet, il y a tout d'abord l'enfance et la manière de l'auteure de
mener une tragique danse dans une cour d'école. Elle n'hésite pas à
désacraliser l'enfant bon et pur et se montre ici originale. Elle
n'excuse ni n'explique les tenants et aboutissants des perfidies et
coups portés. Elle raconte ce que l'enfant est, dans une variété
de personnages qui apportent chacun leur touche au portrait de cet
âge de la vie. Elle met l'accent sur les petits détails, les plus
insignifiants pour des yeux d'adultes oublieux de ce qu'ils furent,
détails qui font pourtant la différence. Le monde des petits
précisément se joue sur des points infimes et subtils.
L'intelligence de ces mécanismes éclaire l'ouvrage.
Il
y a également cette forme très osée que prend le roman. Tracy
Chevalier s'empare de la tragédie classique et l'adapte. En
préservant la modernité de son écriture, elle fait de l'école
primaire d'Osei, Dee, Ian et les autres la nouvelle scène du théâtre
d'antan. Peu à peu, la structure du roman apparaît. Au fur et à
mesure de la lecture, l'on perçoit cette dimension qui dépasse le
cadre du simple roman d'enfance. Cela donne un aspect plus dur, plus
rugueux à l'action et à son cadre. La portée et le sens en sont
d'autant élargis.
La
règle des trois unités est respectée : temps, espace et
action. Cela crée cette impression de flottement, d'instantané
suspendu dans le temps et l'espace que l'on peut ressentir au
théâtre. Tout s'étire dans un lieu confiné et un temps où chaque
tient son rôle. Chacun des protagonistes a sa place, attitrée et sa
fonction. Bien entendu, tout cela n'est pas clair jusqu'à un point
avancé de la lecture. Et puis toute cette ossature se fait jour et
la deuxième lecture s'ouvre alors.
Les
symboles et images fortes s'égrènent au long du Nouveau. Ils
restent comme imprimés : le bateau dans la cour, le filet sur
lequel les enfants grimpent, le sable, le ballon, la trousse
évidemment etc. Et ces images lancinantes d'objets notamment par
leur couleur, leur forme, leur usage construisent l'édifice de la
pièce de théâtre qui se joue sous nos yeux.
L'on
est forcé d'entendre la tragédie d'Othello à travers cette
histoire. Les deux textes se font écho avec intensité. Et là aussi
l'intertextualité offre une profondeur à ce roman cette fois au
sein de l'histoire littéraire.
Un
roman osé de Tracy Chevalier sous couvert d'une thématique
classique. Riche et édifiant littérairement parlant.
Tracy
Chevalier, Le Nouveau, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par
David Fauquemberg-Editions Phebus – 9782752911636 - 19€
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