mardi 4 juin 2019

Tracy Chevalier, Le nouveau, Editions Phebus


Quand le théâtre classique s'invite en modernité



Un monde d'enfants. Un monde pourtant loin d'être pur et la vérité non ! ne sort pas de la bouche des petites têtes blondes. Anges et diables, comme partout. La tragédie classique a sa place à tous les âges. Le Nouveau revisite le genre pas si suranné qu'on pourrait le croire, sur fond de racisme. Enjeux sociaux en cour d'école.



       Ce roman remonte cinquante années en arrière pour nous rappeler peut-être, même s'il ne semble pas avoir vocation moralisatrice, ce que fut d'être noir aux Etats-Unis dans la petite bourgeoisie blanche. Comme une question qui pique. Un tableau littéraire, très littéraire, de ce phénomène social. Il ne s'agit pas d'un manifeste mais il n'empêche que les mots interpellent. De nombreux films mettent ce thème en scène. Le cinéma nous en abreuvent même. Mais les insultes noires sur blanc ne sont pas chassées par le son des mots suivants et elles attirent l’œil encore et encore même quand la page est finie d'être lue. On y revient. Les mots clignotent et sans doute interpellent d'autant plus.

Rien de nouveau a priori donc dans cette toile de fond. C'est sans compter sur l'identité forte de ce roman.

      En effet, il y a tout d'abord l'enfance et la manière de l'auteure de mener une tragique danse dans une cour d'école. Elle n'hésite pas à désacraliser l'enfant bon et pur et se montre ici originale. Elle n'excuse ni n'explique les tenants et aboutissants des perfidies et coups portés. Elle raconte ce que l'enfant est, dans une variété de personnages qui apportent chacun leur touche au portrait de cet âge de la vie. Elle met l'accent sur les petits détails, les plus insignifiants pour des yeux d'adultes oublieux de ce qu'ils furent, détails qui font pourtant la différence. Le monde des petits précisément se joue sur des points infimes et subtils. L'intelligence de ces mécanismes éclaire l'ouvrage.

Il y a également cette forme très osée que prend le roman. Tracy Chevalier s'empare de la tragédie classique et l'adapte. En préservant la modernité de son écriture, elle fait de l'école primaire d'Osei, Dee, Ian et les autres la nouvelle scène du théâtre d'antan. Peu à peu, la structure du roman apparaît. Au fur et à mesure de la lecture, l'on perçoit cette dimension qui dépasse le cadre du simple roman d'enfance. Cela donne un aspect plus dur, plus rugueux à l'action et à son cadre. La portée et le sens en sont d'autant élargis.

La règle des trois unités est respectée : temps, espace et action. Cela crée cette impression de flottement, d'instantané suspendu dans le temps et l'espace que l'on peut ressentir au théâtre. Tout s'étire dans un lieu confiné et un temps où chaque tient son rôle. Chacun des protagonistes a sa place, attitrée et sa fonction. Bien entendu, tout cela n'est pas clair jusqu'à un point avancé de la lecture. Et puis toute cette ossature se fait jour et la deuxième lecture s'ouvre alors.

     Les symboles et images fortes s'égrènent au long du Nouveau. Ils restent comme imprimés : le bateau dans la cour, le filet sur lequel les enfants grimpent, le sable, le ballon, la trousse évidemment etc. Et ces images lancinantes d'objets notamment par leur couleur, leur forme, leur usage construisent l'édifice de la pièce de théâtre qui se joue sous nos yeux.

L'on est forcé d'entendre la tragédie d'Othello à travers cette histoire. Les deux textes se font écho avec intensité. Et là aussi l'intertextualité offre une profondeur à ce roman cette fois au sein de l'histoire littéraire.

     Un roman osé de Tracy Chevalier sous couvert d'une thématique classique. Riche et édifiant littérairement parlant.



Tracy Chevalier, Le Nouveau, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par David Fauquemberg-Editions Phebus – 9782752911636 - 19

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