Plonger sans bouée dans une immensité humaine.Impossible d'accrocher le rebord, nécessite d'attendre patiemment qu'Albert Cohen décide de nous laisser reprendre pied. Non que cette plongée soit déplaisante, bien au contraire, mais elle est abyssale. Incontrôlable.
"Lisez cette œuvre, c'est absolument sublime. Cette peinture de l'amour ! Cette histoire entre deux êtres qui s'aiment !"
Ai-je mal compris ? Ai-je mal retenu ?
Peinture ? Certainement pas ! Paysage accidenté, 3D été l'intériorité sous les projecteurs.
Histoire ? Pas de narration, du vécu à l'état pur, directement puisé au cœur et à l'âme.
Deux êtres qui s'aiment ? Amour subtilement mis en pièces, ridiculisé par le marionnettiste ironique qui attise l'éternel conflit de la logique et du désir, de l'esprit et du cœur. Il le fleurit, le nourrit, hymne à notre stupide condition, désespoir peut être aussi.
Mais il est vrai, quel vocable employer pour résumer ces mille et quelques pages ?
Revenons sur cette ironie acide qui me traverse a chaque page de l'œuvre. D'aucuns y sentiraient l'amour irrépressible et volcanique de deux êtres envahis l'un de l'autre. Bien entendu.
J'y sens davantage cette plaisanterie sans fin sur le dos des amants, éperdus, perdus. N'entendent rien, n'écoutent rien, ne relèvent rien que leur amour cannibale. Qui dévore qui au final ? Je l'ignore. Mais c'est en ces termes que j m'interroge.
Où ont disparu Ariane et Solal ? Ils me semblent de simples pantins. Le narrateur, masqué, discret, serpente entre les lignes et après réflexion, c'est par lui que je suis prise. Les personnages me font rire, je les toise, je ne peux pas les pendre au sérieux. C'est ce narrateur faussement en retrait qui m'habite. Fascine. Il transmet pointilleux s'innombrables nuances, précis exigeant. Il retrouve toutes les voix, toutes les intonations, change toutes les parties, avec son timbre, absolument propre. Respect inouï de l'expression de chacun, mêlé à une énorme caricature. Sans concessions.
Et cette pièce montée, avec ardeur probablement, est mitraillée par un invisible pessimisme. Planant. Insidieux.
Et à chaque page, je ris de cette femme, cet homme, de moi à travers lui, de nous tous.
Parfois, ce narrateur que j'imagine quelque peu diabolique, retrouve sa veste et se laisse glisser a des épanchements presque lyriques. Poésie en prose, lâcher prise total, un moment de douce tristesse, hors bataille. Comme une respiration avant de repartir au clairvoyant combat.
Pas de cruauté gratuite.
Une implacable justesse et sans doute une grande tendresse d'homme trop lucide.
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