samedi 3 octobre 2015

Aventures d'enfant


           Je n’avais pas le droit d’aller dans la ferme voisine, tout le disait et le répétait : « ne t’aventure pas là-bas ! Ca peut être dangereux ! » Personne ne consentait à m’expliquer en quoi cela était si dangereux. J’ai décidé de m’y rendre. Je verrai par moi-même s’il y avait quelque chose à craindre ou si c’était une de ces précautions « Au cas où » des adultes couards et ennuyeux. Surtout j’ai été intriguée car j’ai aperçu un enfant. Je n’étais pas sûre mais j’ai voulu absolument savoir. Les punitions peuvent être dures, je le sais. Mais cela m’est égal. Si je pense aux punitions, je ne fais rien. Il y a toujours des punitions à attendre d’autant que j’ai systématiquement envie de faire ce qui est interdit. Je ne sais pas pourquoi. Ils le disent tous. Papa en riant. Sous cape. Il est de mon côté. Maman désespérée, Grand-Mère en colère, exaspérée même. Mais tous intrigués ! Ils sont tellement amusants tous à m’attendre dans le salon, tout sérieux sur leur chaise, l’air grave, comme si quelqu’un était mort. Voilà c’est ça ! Comme si quelqu’un était mort ! Et j’arrive dans cette ambiance sordide. Moi je suis joyeuse, j’ai joui de ma liberté, j’ai passé un merveilleux moment dans la nature ou cachée dans un arbre. Je me fiche de la punition. C’était tellement bien. Et même, je joue à pleurer le moins possible, je ne crie jamais bien sûr. Mais j’essaye de ne pas pleurer non plus, même si j’ai mal. Nous faisons un concours avec Yann. A qui tiendra le plus longtemps sans larmes ! Du coup, il s’arrange pour resqter dans le coin pendant ma punition, disant qu’il veut y assister pour ne pas être tenté d’enfreindre les règles. Encore plus roublard que moi ! Cela fonctionne parfois. Quand Maman est vraiment en colère. Toujours avec Grand-Mère qui soutient l’éducation par l’exemple. Jamais avec Papa qui a compris le subterfuge et refuse en plus l’idée d’humilier un enfant aussi désobéissant qu’il soit. Hihi ! Je sais que j’ai de la chance d’avoir ce papa-là. Je vois que les autres peuvent être vraiment cruels. Les cousins Mathilde et Jean nous racontent des choses affreuses. Ils me supplient de ne pas en parler à Papa. Je leur promets mais c’est difficile. Ils savent que Papa ne manquerait pas de faire une remarque à ce sujet lors de la prochaine réunion de famille. Sans être direct, sans faire de raffut. Mais cela ferait un scandale silencieux. Moi, cela m’est égal. Papa a raison. On ne traite pas même des enfants méchants comme ça. Et puis, Mathilde et Jean font toujours tout ce qu’on leur dit ou presque. Alors, c’est sûrement injuste. J’adore quand Papa montre qu’il n’est pas comme les autres, qu’il est moderne et qu’il ne veut pas agir comme un maître avec ses esclaves. Il choque tous les adultes présents. Les vieilles personnes de la famille sont outrées. Tante I. devient rouge comme si elle allait s'étouffer et elle fait mine d’avoir besoin de sortir de la pièce. C’est toujours la même scène. Yann et moi les observons de derrière un chambranle de porte. C’est dur de ne pas rire.  Mais cela dure souvent un bon moment. Et nous voulons assister à la scène jusqu’au bout. Nous en rions pendant des jours entiers après. Mais Maman a demandé à Papa d’arrêter de faire ça alors c’est moins souvent maintenant. Papa et Maman sont tellement différents ! Maman suit les règles de la famille. A la lettre. Papa n’aime pas les règles, sauf celles de la chasse, mais il est bien obligé de faire avec faire un peu comme les autres mais parfois on sent que c’est plus fort que lui, il doit dire quelque chose qui ne convient pas mais qu’il pense trop. Il ne peut plus se contenir dans ces cas-là. J’aimerais être une adulte comme lui plus tard. Yann dit la même chose.
            En fait, Yann et moi, nous sommes les préférés de Papa. C’est nous qu’il aime le plus. C’est comme ça. Je crois que c’est parce que nous aimons rire et désobéir. Il ne nous le dit pas mais je crois que c’est ça la raison. Il nous fait des clins d’œil par moments, un peu complices, surtout quand la tante Thérèse est là. Elle est terrible. Il la déteste. Et nous aussi. Quand je suis en colère, Papa vient toujours me voir et me parler. Il s’asseoit sur la chaise de notre chambre à Nelly et à moi. Il fait sortir Nelly et il me pose des questions. Je suis tournée vers le mur et d’abord, je refuse de lui répondre. Il a l’habitude, je fais cela depuis que je sais parler. Il prend son mal en patience et garde un ton de voix très doux. Cela ne me calme pas mais je ne peux pas lui résister, vraiment. Et il y a bien un moment où il me dit que je suis jolie, la plus jolie, sa princesse et ça, je n’y résiste vraiment pas. Finalement, je m’assois sur le bord du lit face à lui et je parle sans m’arrêter pendant des longues minutes. Je crie, je tape du pied, je brandis mon poing, haut devant moi. Il attend que j’en ai terminé. Je finis bien par pleurer tout de même et il me prend dans ses bras, pas longtemps, nous n’aimons pas que ça dure, ni l’un ni l’autre.
            Il est arrivé que Maman rentre dans la chambre à ce moment-là, surtout si elle ne sait pas pourquoi je suis si furieuse. Immanquablement, elle noue jette un regard assassin, elle claque la porte et s’en va bruyamment. Je sais qu’elle ne peut pas désavouer Papa devant moi. Mais c’est évident, elle en meurt d’envie. Le soir, toujours il y a une dispute entre eux ces jours-là. Maman est beaucoup plus stricte que Papa. C’est elle qui fait la Loi à la maison. On ne doit pas le dire mais on le sait tous. Elle ne nous console pas si nous avons un chagrin, elle n’aime pas nous prendre dans ses bras. Le soir avant de dormir, elle nous embrasse sur le front et nous ne devons rien lui rendre en retour. Elle dit que les filles doivent être fortes pour se battre, que la vie est très dure pour elles et que les mièvreries les amollissent. Avec Yann, c’est tout autre chose. Elle n’est pas plus caressante mais elle ne le réprimande pas souvent.  Et il peut lui répondre et discuter les problèmes avec elle. Nous avons l’habitude et puis, c’est vrai, un seul garçon, il faut le chouchouter. Moi, je préfère faire des concours de trucs de garçon avec lui, pas lui dire qu’il est formidable et que puisqu’il est le seul garçon, moi aussi je le chouchoute. En plus, je suis aussi formidable que lui. Je le lis dans les yeux de Papa et je crois maintenant aussi dans ceux de maman. Elle est fière de moi. Je suis comme elle veut que sa fille soit : aventurière, forte, sèche, grande et mince. Maman est très à cheval sur tous les détails et elle exige de nous tout cela. Nelly a abandonné la bataille. Elle dit que cela ne l’intéresse pas. Je pense plutôt qu’elle sait qu’elle est perdante : elle est petite et grasse et aime lire au coin du feu.
 
 Je suis donc finalement allée à la ferme. Pas peur non ! Ces aventures-là, je les entreprends seule. Je ne veux pas qu’on me dérange, qu’on me ralentisse. Et là, il y avait bien un garçon un peu plus vieux que moi et lui aussi il m’avait déjà vue dans la campagne. Je suis partie à l’aube comme toujours, à pas de loup. Je n’ai prévenu personne. C’est plus prudent. J’aurais pu le dire à Yann mais de toute façon il s’en doute. Nous nous sommes d’abord dévisagés le garçon et moi, évaluant l’adversaire. Et puis il m’a fait un geste pour me dire de le suivre dans la ferme. Il m’a montré tous les animaux qu’ils ont. Nous aussi, nous avons des poules mais de vaches, pas de chevaux. Loïc, le garçon de la ferme, m’a proposé de monter dessus. Il est immense alors j’ai dit oui tout de suite, pour relever le défi. C’est un mâle. Loïc m’a tout expliqué. Il a tenu la longe et nous nous sommes promenés, lui à pied, moi à cheval. J’ai eu envie de faire partir le cheval au galop, j’ai eu très envie mais je me suis retenue parce que cela aurait pu faire des ennuis à Loïc. Et je n’aurais pas pu revenir. Une autre fois seule, je le ferai.
Loïc est très gentil, c’est un paysan mais cela me va. Il est gai et drôle. Il me fait rire. Chez moi, les gens ne sont pas très drôles, c’est moi qui les fait rire, surtout Yann et Papa. Les filles, ça ne doit pas rire trop fort. Je m’en fiche, moi. Je ris si je veux. Loïc lui il ne pense pas que les filles doivent être sérieuses. Au contraire, il me l’a dit. Normalement, moi je ne devrais pas aller chez les paysans, il me l’a redit aussi pour être sûre que je le savais. Je le sais bien sûr. Mais je me sens plus forte si je ne fais pas ce qu’il faut. Les règles, toujours les règles. Et il paraît que ce n’en est pas fini ! Ca m’ennuie et souvent ça ne sert à rien. Ne pas aller à la ferme pour ne pas se salir. Je peux y aller nue s’ils préfèrent. Et puis, il ne faut pas se mélanger aux paysans, ils sont ignorants et pauvres. Comme si nous roulions sur l’or ! comme si Loïc ne m’avait pas appris des tas de choses ! Bref, des règles idiotes dont j’attends encore de comprendre à qui elles servent.
Je retourne voir Loïc tous les matins, je retourne le voir et j’apprends à monter à cheval à la barbe de mes parents. Et de Nelly, Yann et les autres. Ce sera décidément moi la meilleure, moi la plus maligne, et derrière ses réprimandes, je verrai que Maman est heureuse de me voir ainsi. Je me demande pourquoi Maman n’a pas fait tout cela elle-même. Elle n’est pas plus bête qu’une autre. C’est vrai que Grand-Mère est sans pitié. Je dis que Maman est sévère, parfois dure. Grand-Mère est une vraie sorcière quand elle se met en colère. Tout le monde se tait, même Papa et tout le monde a peur, je crois bien. J’avoue que moi aussi. Comme Mama, elle a les yeux qui brûlent. Ca fait toujours pleurer Jackie. Elle est encore petite oui, mais moi à son âge je ne pleurais pas. Jackie est comme ça, elle a peur. De son ombre aussi. Ca me donne encore plus de courage et encore moins peur. C’est plus facile s’il y a quelqu’un qui s’effondre. Après, je console Jackie quand même. Elle a vraiment de la peine. Et elle sanglote longtemps même quand c’est fini. Et puis Maman ne vient pas lui dire un mot, surtout si elle est avec Grand-Mère. Elle devient implacable. Je me dis qu’elle en fait trop mais cela m’est aussi un peu égal. Elle fait comme ça et puis c’est tout. On sait que cela recommencera et on n’y peut rien, c’est ça les parents.
 
Tous les quatre, Nelly, Yann, Jackie et moi avons vraiment des caractères très différents. Je ne parle pas des autres, elles sont trop petites. Et Maman est encore enceinte. Je le sens. Ca n’en finit pas. Elle se couche avec les poules et elle laisse Papa gérer certaines choses, ses chasses gardées habituellement. Ce n’est Maman ça ! nous sommes donc souvent tous les quatre. A l’intérieur du groupe, il y en a deux autres groupes. Yann et moi d’un côté, Nelly et Jackie de l’autre. Yann et moi, je dirais que nous sommes amusants et un peu bizarres. Nelly et Jackie sont sages et timides. Nous aimons gambader dans la nature, elles aiment lire tranquillement pendant des heures. Ce que cela peut m’ennuyer moi de lire ! J’ai bien essayé de les faire venir avec nous en forêt. Je pensais qu’elles ne pouvaient pas aimer vraiment lire, qu’elles avaient peur de sortir ou de désobéir. Mais elles ne se sont pas laissées convaincre et même, Jackie s’est fâchée, comme elle le fait six jours sur sept, rouge comme une tomate. Nelly l’a calmée et a parlé pour elles deux. Laisse-nous Anna. Nous aimons rester ici, à lire. Je ne voulais pas la croire. Mais elle n’était pas du tout énervée. Alors, peut-être qu’elle disait la vérité. Pour Jackie, je ne sais pas. Je doute encore. Je crois vraiment qu’elle a eu peur de Maman. Comme dit Yann, c’est mieux comme ça. Nous sommes libres, tous les deux. Nous avons un code tous les deux pour si jamais ça tournait mal. Nous nous retrouvons ensuite à la maison. Nous arrivons chacun de notre côté, l’air de rien. Plusieurs fois, un de nous deux a été épargné grâce à cette méthode. Les autres, les filles,  ne nous posent pas e questions. Elles haussent les épaules et murmurent leur colère. « C’est pas juste ou quelque chose comme ça ». Je suis sûre qu’elles sont jalouses.
 
Un jour, je suis partie loin avec Yann, loin dans la campagne. On était presque à la mer. Et j’ai voulu monter à un arbre. Enorme ! Il était énorme ! J’avais envie alors je l’ai fait. Comme d’habitude. Yann m’a demandé si j’étais sûre de vouloir monter si haut. Evidemment, j’en étais sûre. Si j’ai décidé, c’est comme ça. Je ne reviens pas en arrière. Comme les chevaux. C’est Loïc qui m’a expliqué ça : les chevaux ne supportent pas de reculer, il paraît. Et donc, j’ai grimpé encore et encore. Yann m’a crié de descendre. Il n’est jamais peureux mais là… Il n’était pas rassuré. Je ne l’ai pas écouté. Je suis arrivée au sommet. C’était magnifique. La vue sur la campagne et la mer. Je suis restée un peu là-haut et je suis redescendue. Enfin, j’ai voulu redescendre. C’est là que je me suis blessée. J’ai senti un éclair me traverser la jambe. Je n’ai pas crié. Yann m’aurait dit : »je t’avais dit ! » J’ai gémi doucement, il ne pouvait pas entendre. Vu que je ne bougeais plus, il s’est demandé ce qui se passait. Il s’inquiétait en bas. Je lui ai répondu que je m’étais fait mal et qu’il fallait qu’il suive notre code, qu’il retourne seul à la maison. Il n’a pas voulu. Il ne voulait pas me laisser seule, ce jour-là. On était si loin de la maison ! mais j’ai décidé pour lui et il est parti, malgré lui. Après, c’est vrai, j’étais dans le pétrin. Seule, blessée, à mi-hauteur d’un arbre gigantesque. Mais le jeu en valait la chandelle. Même à ce moment-là, je n’ai pas regretté.

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