Elle est celle qu'on regarde d'en bas de la montagne ou du bord. Celle qui n'est plus qu'un petit point noir qui fait peur et excite les esprits en même temps. On dit qu'elle n'est pas prudente et qu'elle n'a vraiment rien d'autre à faire de sa vie que de prendre tous ces risques, qu'elle ne pense qu'à elle, et sa famille alors ? Sa pauvre mère doit être dans de ses états ! Meuh non ! Les gens pensent à la place de ceux qu'ils croient pouvoir connaître, ils les croient comme eux. La mère est fière, bien au contraire. Sa fille accomplit ce qu'elle n'a jamais osé. Elle affiche l'angoisse de rigueur dans toutes ces situations mais inconsciemment elle l'a construite comme ça sa descendance féminine. Beaucoup moins la virile. Allez comprendre. Jane est une aventurière, vous l'aurez compris sans moi. Je suis bien obligée de le dire. Sinon on a envie de mettre le mot mais on se dit que si celui qui écrit ne l'a pas dit c'est qu'il avait une bonne raison et alors ln se questionne, on s'en arrache les cheveux pour voir quelle hypothèse colle le mieux avec cette béance. Sans se dire que peut être, d'abord on s'en fout, ensuite, il a simplement oublié. Une omission oh non grand Dieu ! Pas d'omission dans ce cercle fermissime des littérateurs. Bref, encore faut-il être lu. Pas une mince affaire d'emblée.
Jane descend et monte, pire qu'une télé cabine, plus raide, plus intense, plus émotive surtout. Encore heureux. Elle serait un phénomène des plus terrifiants sans cela. Elle n'a d'ailleurs jamais affirmé auprès de quiconque qu'elle n'avait pas peur. Elle se décrit comme une peureuse. Sa mère aussi. Une enfant qui a toujours été créative et casse-coup. Comme quoi, encore une enfilade de déductions sans nécessité ! Plus on a peur et plus on est courageux. Rien de bien neuf là dedans. Mais peut-être même que plus on a peur, plus on a envie de vaincre sa fragilité. J'y crois. Jane le sait. Comme vous le constatez par vous-même, c'est une jeune femme sans détours, non sans peurs.
Jane a fait le tour du monde. Elle a fini le lycée à 17 ans. Elle a toujours réussi vite et bien. Elle a entendu dire qu'elle ne travaillait pas assez, qu'elle n'était pas bien courageuse. Question de temps passé à la rédaction des dissertations ou de nombre de fois de récitations de leçons. Des questions d'enseignants sans idée, sans aucune idée de son fonctionnement à elle, adolescente éclair. Elle s'en fiche, elle y arrive. C'est bien le seul domaine où elle n'a jamais eu peur, où elle s'est montrée radicalement aventurière, ne respectant pas les consignes quand elle savait que le résultat en bénéficierait. Elle l'a parfois payé. Pas si cher. Elle y était prête en tout cas. Il n'était pas question de ces effondrements jusqu'aux orteils repliés dans les chaussures trop petites, poupée de chiffon qui ne veut plus que crever. Ces appréhensions à la hauteur des montagnes et des déserts les plus cruels. Elle était de ceux qui maîtrisent là au lycée, le terrain. Une gradée. Pas socialement. Juste à l'école, en classe, un stylo en main. La cour gâte déjà le plaisir où elle replonge dans les affres de l'énorme bataillon sans distinction voire au trou, au coin, sous les arcades, derrière le poteau. L'écart est vertigineux. Et elle en a gardé un certain goût amer mais vivant. Le vivant à son revers de médaille et elle l'utilise aujourd'hui dans ses escalades et ses plongées multiples et variées. L'écart a parfois donné des nausées inextinguibles. A en fermer la bouche à double tour des heures entières. L'appétit revenant pour le goûter, le meilleur des repas. Encore aujourd'hui, de loin, le meilleur. Elle craint, comme tant d'autres choses donc, les jours sans goûter. Les jours de Grands, d'adultes. Elle fait semblant et elle se trouve toujours de quoi remplacer ce moment précieux : un cappuccino, un chocolat, un café crème bien sucré. Rien rien n'est pas envisagé. Elle deviendrait folle avant les 19h. On ne s'en doute pas. Elle cache bien son jeu. Elle affronte les plus grandes natures, les plus grands défis. Mais sans goûter, pas de survie. Bien sûr, elle n'est jamais allée sur la Lune et elle n'en a pas le projet parce que dans le noir, on ne saurait plus tellement où se trouve le 4h. Sans doute qu'il y aurait d'autres paramètres plus handicapants à prendre en compte. Mais elle, un peu bêtement, elle pense à ça.
Le père est furax. Elle aurait dû faire de hautes études suivies d'une belle carrière. Une fille belle et intelligente comme elle... Elle a fait les hautes études : à l'université publique. Pas assez bien pour elle ? Il faut croire. Elle ne comprend pas, toujours pas cela. Elle n'y prête que peu d'attention. Elle le prend comme une génération gap comme elle a appris au collège que disaient les anglophones. Elle sait qu'il ne la comprend pas, qu'il croit la comprendre et qu'elle ne le comprend pas et n'essaye plus.
L'énergie est comptée en ce monde, elle la garde pour des débats et épreuves qui l'animent réellement. Ce ne serait pas la même chose si elle était restée sur les satanées contes et qu'elles avaient pris le contrôle d'elle-même. Elle pense à Lili, à Elvire. À tous leurs tours sur elles-mêmes ou dans les murs, à toutes leurs hésitations qui les dirigent. Qui les emmènent loin de la nature, de leur corps, de leurs pairs, de leur monde même. Non pas qu'elles n'aient pas de monde. Bien entendu, tout le monde a un monde. Mais on parle là du monde qui les entoure et qu'elles ne peuvent pas même toucher. Elles se contentent de regarder, de parler et d'écrire pour Lili, de chasser un pas puis l'autre pour Elvire. Jane se fout de l'élégance et des jolies fresques. Elle préfère ce que d'aucuns nomment ses frasques. Elle n'éprouve pas toutes ces frustrations et ces colères que d'autres doivent juguler à longueur de journée et qui finissent par leur arranger des cancers fourrés partout aux coins du corps. Ils se mettent où ils veulent. Une fois qu'ils sont là, allez-y pour les en déloger. Jane n'aura pas de cancer. Elle n'aura jamais de maladie grave. Elle n'a pas de maladie chronique. Tout est en place. Elle ne prend qu'au pire du Doliprane. Elle n'en veut pas plus. Elle n'en a pas besoin. Elle n'a besoin de rien de plus que celle qu'elle peut elle-même s'apporter. Non qu'elle n'aime personne ou puisse vivre seule. Elle n'est pas un loup solitaire. Elle accomplit ce qu'elle doit accomplir seule oui. Sa vie, elle, ne se passe pas seule, bien au contraire. Elle est très entourée et prend soin de ceux qui lui sont chers. Elle n'est pas asociale comme ceux de certains reportages qui disent préférer la compagnie des animaux à celle des hommes. Et des femmes a-t-elle toujours envie de rajouter, mais elle se retient, ce coup-là, car cette lutte est menée durement par d'autres et qu'elle ne peut pas tout faire. Elle ne peut pas tout faire. Ce deuil de toutes les expériences. Elle est encore dans le tiraillement de ses désirs et ce deuil. Ses proches rient de la voir vouloir tout faire. Mais elle entend souvent qu'il n'aura pas assez d'une vie pour faire tout ce qu'elle projette. Une fois emballée dans ses imaginations d'aventures à venir, on ne l'arrête plus et elle sent grossir son cœur, elle la dure au mal. Elle s'emplit d'envies et d'amour pour ce monde et ses richesses. C'est plus que digne d'une comédie sentimentale américaine, dit ainsi. C'est pourtant comme cela qu'elle le vit et qu'elle l'exprime. Les autres la voient se rapprocher d'eux alors, elle l'indéfectible et ils lui en sont gré. Sans un mot.
Sa mère raconte que dès qu'elle a su agripper quelque chose, dès ses quelques premiers mois de vie, Jane s'est emparé de ce qui était à sa portée. Il fallait tout cacher, les lunettes, les bijoux, les miettes, tout ce qui était atteignable par un si jeune enfant. Comment ne pas comprendre que cela ne fit que s'accentuer par la suite et que Jane, une fois debout sur ses cannes à 9 mois et demi a commencé à foutre un sacré merdier. Madame C. qui n'avait jamais envisagé d'arrêter son travail, en bonne femme forte qui a des choses à prouver des années 70, s'est interrogée un moment. Jane n'était pas désagréable ni colérique, ni malade. Elle était éreintante d'énergie et les plus éprouvés des nounous n'ont pas tenus bien longtemps. On a du mal à y croire comme cela. C'était un enfant en parfaite santé, sur tous les plans. Le médecin avait du mal à entendre la plainte de Madame. Monsieur ne se rendait pas à ces rendez-vous mais en pensait encore davantage. Jane va bien. Elle apprend, elle se développe et évolue très vite. Que demander de plus, n'est-ce pas Françoise ? Elle baissait les yeux. Un peu de calme avait-elle tellement envie de répondre. C'est une tornade, une calamité. Mais elle se taisait et elle se félicitait de sa persévérance au final. Elle n'avait pas cédé et n'avait pas quitté son emploi. Elle avait trouvé le nounou idéal. Un jeune baba cool qui adorait les enfants et à qui elle prit le risque de faire confiance, avec succès. Il devint un grand psychiatre par la suite. Ils s'étaient entendu d'emblée comme cul et chemise. Françoise avait enfin soufflé et Jane avait pu continuer de toucher à tout et tout comprendre. Freddy lui expliquait absolument tout, dans les détails les plus techniques. Il lui montrait des vidéos de sport extrême. Elle ouvrait alors grand la bouche et souriait comme une imbécile. Françoise y avait assisté parce que même Freddy ne s'attendait pas à cela. Ce trait de caractère n'avait jamais cessé d'être et cela avait donné naissance à une adulte qui dormait 5h par nuit, courait un peu partout sans fatigue ni avoir l'air de se presser vraiment. Allez comprendre cette fable ! Courir sans avoir l'air rapide. Jane n'est pas ordinaire, vous l'aurez compris.
On se demande immanquablement ce que l'adolescence a bien pu bouleverser dans tout cette dynamique. L'école d'abord ! Apaisement, la nourriture était là, tout le temps disponible, buffet à volonté. Puis, l'adolescence. Françoise s'était dit à ce moment-là que Jane était un peu ado ses 6 mois. Sur certains aspects bien sûr. La mauvaise humeur n'en faisait pas partie. Pour le fait de prendre des risques, de se mettre en danger, Françoise avait pour le coup arrêté de se battre. Jane était toujours égratigné ou fracturée de quelque part sans que jamais cela ne représente un drame pour elle, l'enfant. Françoise voyant cette sérénité chez son enfant l'avait suivie sur ce chemin et s'était fait un souci de moins. Elle n'avait pas eu le choix à moins de se perdre définitivement. Françoise comme tous ses ascendants et descendants avaient un instinct de survie certain. Elle l'avait utilisé à bon escient cette fois-ci puisqu'elle avait cessé d'en vouloir à sa fille et de ne plus dormir, elle avait cessé de regretter cette enfant, disons-le franchement. Et rien depuis lors, depuis 18 ans qu'elle avait pris cette décision n'était arrivé. Non sans risque mais sans mort et sans catastrophe. Pierre était resté de marbre depuis le début. Arguant de la responsabilité de sa fille elle-même. Dès son plus jeune âge. pas de discussion stérile à avoir face à cet argument absurde. Françoise continue aujourd'hui de lever les yeux quand il invoque cette idée stupide. Elle l'aime son mari. Mais elle ne l'aime pas comme père. Elle l'aime de tout son cœur comme conjoint. Elle aurait préféré un autre homme comme père de ses enfants. Tant pis, on ne peut pas tout avoir. Déjà bien d'aimer et être aimé. Ils se taisaient tous les deux concernant Jane notamment. Jonathan étant beaucoup plus placide et sans danger immédiat et visible.
Jane savait qu'elle avait mis à mal la famille, qu'elle avait toujours bousculé tout ce qui commençait à s'installer. Pas par goût de la révolte. Pas par agressivité intentionnelle. Colère rentrée et incomprise peut-être mais elle n'en savait rien. Surtout par besoin vital de changement, de mouvement. L'immobile est mort. Jane a toujours eu en elle ce sentiment morbide de l'inertie. Ce frère aussi serein et apaisé, elle lui en faisait voir de toutes les couleurs. Pour le faire rougir, verdir, jaunir, fleurir. Sans succès. Elle ne l'avait jamais admis mais tout le monde le savait maintenant qu'ils étaient tous deux adultes, elle en avait beaucoup appris de lui. Elle n'a jamais appris la douceur et la zen attitude. Mais elle a appris à admettre ces gens-là, si autres. Elle l'aime de tout son cœur son Jojo. Elle l'appelle toujours comme ça. Absolument toujours. Il n'a jamais renâclé. On ne rejette pas la seule marque d'affection d'une femme comme Jane. Sans doute que la rivalité s'est fait sentir à certains moments. Le père s'est alors manifesté. Jane a ouvert grand les yeux. Une des rares occasions où elle s'est laisse prendre de vitesse.
Mais attention ! soyons clair ! Jane est, en situation d'une fantastique tendresse. Tendresse et douceur n'ont, à son sens, rien en commun. Et ce n'est pas parce qu'elle saute en deltaplane de la Tour Eiffel de nuit qu'elle ne se sent pas à l'aise sous sa couette dans le creux d'un homme bien plus fort qu'elle. Elle a sur ce point-là une exigence extrême. Elle doit se sentir petite et même minuscule au creux d'un homme qu'elle choisit ou qui la choisit. Ces choses-là varient. Cela ne veut pas dire qu'il lui faut un rugbyman de 2m de haut et de 140kg. Cela veut dire qu'il faut un homme plus grand qu'elle et qui se fasse sentir plus grand. Ce à quoi les simplistes concluront : elle aime les machos sans cervelle. Idiotie phénoménale des théories de l'amour. ce que les gens les plus subtils peuvent alors se montrer bêtes ! Prenons un exemple : un homme de carrure normale, normale comme les autres de son âge, dans la moyenne (Jane ne sait jamais comment faire avec "normal", c'est une drôle de notion qu'elle comprend, elle n'est pas malade, qu'elle ne comprend pas, elle aime toutes les nuances de tout), donc d'1m75 et qui lui plaît plus que tous les gros bras de la salle. Pourquoi ? Parce qu'il sait pas prendre une meuf. La fourrer. Il sait prendre dans ses bras. Il sait enrouler. Il sait être le grand ours qui a rétracter ses griffes et qui même en fait des coussinets. Elle aime les ours à pattes milka. Elle ne les garde jamais longtemps. Ils ne se gardent jamais longtemps, devraient-elle dire. Le lien se détend toujours, sans heurts. Et personne ne souffre. Personne n'en a l'air du moins. Elle aime le corps à corps. C'est cela qu'elle aime le plus. Sentir la chaleur animale d'un être vivant. La chaleur et la peau. La peau, l'organe le plus grand du corps. L'organe le plus vivant de l'humain. Et il ne faut pas être un idiot pour savoir faire cela. Il faut être un finaud.
Jane sait qu'elle mourra sans doute brutalement. C'est mieux. Cela lui correspond. Elle ne sera affiliée à aucune maladie, comme à rien d'autre. Oui à la famille et à ceux qu'elle aime. Elle accepte cette affiliation-là. Aucune autre. Tous les autres groupes sont honnis. Elle est contre les fraternités ou sororités, encore pire. Elle n'a pas de sœur d'ailleurs. Elle ne sait pas en quoi cela consiste. Cela ne l'intéresse pas. Elle ne s'affilie pas parce qu'elle serait prisonnière. Elle ne sera pas prisonnière. S'il arrivait qu'elle s'y sente, elle sautera du haut du sommet du monde. Elle n'hésitera pas. Ce ne sera pas vraiment un suicide. Jane est vivante. Elle le prend comme ça. Si elle ne peut plus faire avec, elle mourra. S'il lui manquait ses deux jambes, suite à un terrible accident et tout le tralala, si elle était enfermée sur les bancs de l'école militaire, elle mourrait oui. Sans liberté, elle n'est rien. Ce n'est pas un slogan de vieux soixante-huitard. C'est une intime sensation de dévivance sans liberté. Jojo qui n'a rien à voir avec ça, et encore, sous sa carapace de skatter, la laisse faire et même la respecte profondément. Elle aime ce respect qu'il lui voue. Un beau respect, sans soumission, sans peur. un respect fraternel. Ils sont vraiment frère et sœur tous les deux. Elle se demande parfois s'il lui en a voulu de tout réussir, d'être parfaite. A vrai dire, elle n'a jamais pu savoir e quoi il en retournait. Il est devenu pénible entre la 5ème et la 3ème et puis le lycée l'a calmé, comme tout le monde à peu près. Rien de plus normal. Rien de parfait non plus. Mais y a-t-il aspiré un jour ? Elle aime à imaginer que non et qu'ils se complètent, qu'ils s'emboîtent. Encore peut-être une perfection de trop.
Cette perfection c'est une perfection d'aujourd'hui et elle, Jane, n'a jamais pensé une seconde à être parfaite. C'est le miroir déformant qu'on lui renvoie. Il y a quelques siècles, elle aurait été traitée en sorcière. Elle ne l'oublie jamais. La relativité de tout ce qu'elle entreprend qui laisse les autres baba. mais qui pourrait en blesser plus d'un parmi les croyants. L'Hérétique...
De plus, elle n'aura pas d'enfants.
Jane a basé son existence sur sa peur, sur ses antiques et énormes craintes. Elle les a fait tourbillonnées pour se faire une championne. Le monde la reconnaît en tant que telle. Elle en tire les bénéfices mais elle se satisfait davantage de l'idée de vaincre ses peurs et d'être chaque jour plus en terre sur cette planète. Elle fait peur sans plaisir ? pas sûr... Elle se fait peur avec plaisir ? bien sûr. Les choses sont si complexes. Elle ne les démêlent pas plus que cela. même si cela lui prend parfois surtout dans les grandes solitudes.
Elle se trouvait un jour au haut d'un de ces sommets que l'on a vus à la télé et qui font rire tant ils paraissent faux. Elle avait demandé à être seule un instant, sans ses précieux acolytes. Elle avait observé intensément la neige, la pure, la blanche, la princesse. Jane est une femme de neige. Elle l'a caressée, à mains nues, doucement cette fois, oui. Doucement. Seulement avec la neige. Elle a dit à voix haute que Jojo avait bien raison dans un sens. Elle a fermé les yeux. Jamais elle ne ferme les yeux bleus perçants qui attrape l'univers. Sauf pour les besoins du corps, h par nuit. Rationalité obligatoire. Elle a continué de caresser la neige. Sans froid. Il y en avait à perte de vue, en vallons, en formes de femme. Là, elle a pensé qu'elle aimerait faire l'amour à cette femme-là. Elle a eu la présence d'esprit de se remplir jusqu'à la fin de ses jours, calcul animal là encore, de cette neige. Elle a senti son cœur gonfler, mais de beauté cette fois et son ventre s'ouvrir. Ce ventre aux abdominaux de chocolat. Son ventre a desserré ses mâchoires et elle a laissé entrer la neige. Jusqu'à l'utérus et la moelle. Elle n'est pas redescendue tout à fait la même.
En bas, deux semaines plus tard, Jojo l'a observée. Il a souri et il a dit "Ma sœur en neige." Il l'a prise dans ses bras pour la première fois. Il a fait l'ours aux pattes milka. En moonboots. En pleine rue. Pas dans un lit.
Jane a fait le tour du monde. Elle a fini le lycée à 17 ans. Elle a toujours réussi vite et bien. Elle a entendu dire qu'elle ne travaillait pas assez, qu'elle n'était pas bien courageuse. Question de temps passé à la rédaction des dissertations ou de nombre de fois de récitations de leçons. Des questions d'enseignants sans idée, sans aucune idée de son fonctionnement à elle, adolescente éclair. Elle s'en fiche, elle y arrive. C'est bien le seul domaine où elle n'a jamais eu peur, où elle s'est montrée radicalement aventurière, ne respectant pas les consignes quand elle savait que le résultat en bénéficierait. Elle l'a parfois payé. Pas si cher. Elle y était prête en tout cas. Il n'était pas question de ces effondrements jusqu'aux orteils repliés dans les chaussures trop petites, poupée de chiffon qui ne veut plus que crever. Ces appréhensions à la hauteur des montagnes et des déserts les plus cruels. Elle était de ceux qui maîtrisent là au lycée, le terrain. Une gradée. Pas socialement. Juste à l'école, en classe, un stylo en main. La cour gâte déjà le plaisir où elle replonge dans les affres de l'énorme bataillon sans distinction voire au trou, au coin, sous les arcades, derrière le poteau. L'écart est vertigineux. Et elle en a gardé un certain goût amer mais vivant. Le vivant à son revers de médaille et elle l'utilise aujourd'hui dans ses escalades et ses plongées multiples et variées. L'écart a parfois donné des nausées inextinguibles. A en fermer la bouche à double tour des heures entières. L'appétit revenant pour le goûter, le meilleur des repas. Encore aujourd'hui, de loin, le meilleur. Elle craint, comme tant d'autres choses donc, les jours sans goûter. Les jours de Grands, d'adultes. Elle fait semblant et elle se trouve toujours de quoi remplacer ce moment précieux : un cappuccino, un chocolat, un café crème bien sucré. Rien rien n'est pas envisagé. Elle deviendrait folle avant les 19h. On ne s'en doute pas. Elle cache bien son jeu. Elle affronte les plus grandes natures, les plus grands défis. Mais sans goûter, pas de survie. Bien sûr, elle n'est jamais allée sur la Lune et elle n'en a pas le projet parce que dans le noir, on ne saurait plus tellement où se trouve le 4h. Sans doute qu'il y aurait d'autres paramètres plus handicapants à prendre en compte. Mais elle, un peu bêtement, elle pense à ça.
Le père est furax. Elle aurait dû faire de hautes études suivies d'une belle carrière. Une fille belle et intelligente comme elle... Elle a fait les hautes études : à l'université publique. Pas assez bien pour elle ? Il faut croire. Elle ne comprend pas, toujours pas cela. Elle n'y prête que peu d'attention. Elle le prend comme une génération gap comme elle a appris au collège que disaient les anglophones. Elle sait qu'il ne la comprend pas, qu'il croit la comprendre et qu'elle ne le comprend pas et n'essaye plus.
L'énergie est comptée en ce monde, elle la garde pour des débats et épreuves qui l'animent réellement. Ce ne serait pas la même chose si elle était restée sur les satanées contes et qu'elles avaient pris le contrôle d'elle-même. Elle pense à Lili, à Elvire. À tous leurs tours sur elles-mêmes ou dans les murs, à toutes leurs hésitations qui les dirigent. Qui les emmènent loin de la nature, de leur corps, de leurs pairs, de leur monde même. Non pas qu'elles n'aient pas de monde. Bien entendu, tout le monde a un monde. Mais on parle là du monde qui les entoure et qu'elles ne peuvent pas même toucher. Elles se contentent de regarder, de parler et d'écrire pour Lili, de chasser un pas puis l'autre pour Elvire. Jane se fout de l'élégance et des jolies fresques. Elle préfère ce que d'aucuns nomment ses frasques. Elle n'éprouve pas toutes ces frustrations et ces colères que d'autres doivent juguler à longueur de journée et qui finissent par leur arranger des cancers fourrés partout aux coins du corps. Ils se mettent où ils veulent. Une fois qu'ils sont là, allez-y pour les en déloger. Jane n'aura pas de cancer. Elle n'aura jamais de maladie grave. Elle n'a pas de maladie chronique. Tout est en place. Elle ne prend qu'au pire du Doliprane. Elle n'en veut pas plus. Elle n'en a pas besoin. Elle n'a besoin de rien de plus que celle qu'elle peut elle-même s'apporter. Non qu'elle n'aime personne ou puisse vivre seule. Elle n'est pas un loup solitaire. Elle accomplit ce qu'elle doit accomplir seule oui. Sa vie, elle, ne se passe pas seule, bien au contraire. Elle est très entourée et prend soin de ceux qui lui sont chers. Elle n'est pas asociale comme ceux de certains reportages qui disent préférer la compagnie des animaux à celle des hommes. Et des femmes a-t-elle toujours envie de rajouter, mais elle se retient, ce coup-là, car cette lutte est menée durement par d'autres et qu'elle ne peut pas tout faire. Elle ne peut pas tout faire. Ce deuil de toutes les expériences. Elle est encore dans le tiraillement de ses désirs et ce deuil. Ses proches rient de la voir vouloir tout faire. Mais elle entend souvent qu'il n'aura pas assez d'une vie pour faire tout ce qu'elle projette. Une fois emballée dans ses imaginations d'aventures à venir, on ne l'arrête plus et elle sent grossir son cœur, elle la dure au mal. Elle s'emplit d'envies et d'amour pour ce monde et ses richesses. C'est plus que digne d'une comédie sentimentale américaine, dit ainsi. C'est pourtant comme cela qu'elle le vit et qu'elle l'exprime. Les autres la voient se rapprocher d'eux alors, elle l'indéfectible et ils lui en sont gré. Sans un mot.
Sa mère raconte que dès qu'elle a su agripper quelque chose, dès ses quelques premiers mois de vie, Jane s'est emparé de ce qui était à sa portée. Il fallait tout cacher, les lunettes, les bijoux, les miettes, tout ce qui était atteignable par un si jeune enfant. Comment ne pas comprendre que cela ne fit que s'accentuer par la suite et que Jane, une fois debout sur ses cannes à 9 mois et demi a commencé à foutre un sacré merdier. Madame C. qui n'avait jamais envisagé d'arrêter son travail, en bonne femme forte qui a des choses à prouver des années 70, s'est interrogée un moment. Jane n'était pas désagréable ni colérique, ni malade. Elle était éreintante d'énergie et les plus éprouvés des nounous n'ont pas tenus bien longtemps. On a du mal à y croire comme cela. C'était un enfant en parfaite santé, sur tous les plans. Le médecin avait du mal à entendre la plainte de Madame. Monsieur ne se rendait pas à ces rendez-vous mais en pensait encore davantage. Jane va bien. Elle apprend, elle se développe et évolue très vite. Que demander de plus, n'est-ce pas Françoise ? Elle baissait les yeux. Un peu de calme avait-elle tellement envie de répondre. C'est une tornade, une calamité. Mais elle se taisait et elle se félicitait de sa persévérance au final. Elle n'avait pas cédé et n'avait pas quitté son emploi. Elle avait trouvé le nounou idéal. Un jeune baba cool qui adorait les enfants et à qui elle prit le risque de faire confiance, avec succès. Il devint un grand psychiatre par la suite. Ils s'étaient entendu d'emblée comme cul et chemise. Françoise avait enfin soufflé et Jane avait pu continuer de toucher à tout et tout comprendre. Freddy lui expliquait absolument tout, dans les détails les plus techniques. Il lui montrait des vidéos de sport extrême. Elle ouvrait alors grand la bouche et souriait comme une imbécile. Françoise y avait assisté parce que même Freddy ne s'attendait pas à cela. Ce trait de caractère n'avait jamais cessé d'être et cela avait donné naissance à une adulte qui dormait 5h par nuit, courait un peu partout sans fatigue ni avoir l'air de se presser vraiment. Allez comprendre cette fable ! Courir sans avoir l'air rapide. Jane n'est pas ordinaire, vous l'aurez compris.
On se demande immanquablement ce que l'adolescence a bien pu bouleverser dans tout cette dynamique. L'école d'abord ! Apaisement, la nourriture était là, tout le temps disponible, buffet à volonté. Puis, l'adolescence. Françoise s'était dit à ce moment-là que Jane était un peu ado ses 6 mois. Sur certains aspects bien sûr. La mauvaise humeur n'en faisait pas partie. Pour le fait de prendre des risques, de se mettre en danger, Françoise avait pour le coup arrêté de se battre. Jane était toujours égratigné ou fracturée de quelque part sans que jamais cela ne représente un drame pour elle, l'enfant. Françoise voyant cette sérénité chez son enfant l'avait suivie sur ce chemin et s'était fait un souci de moins. Elle n'avait pas eu le choix à moins de se perdre définitivement. Françoise comme tous ses ascendants et descendants avaient un instinct de survie certain. Elle l'avait utilisé à bon escient cette fois-ci puisqu'elle avait cessé d'en vouloir à sa fille et de ne plus dormir, elle avait cessé de regretter cette enfant, disons-le franchement. Et rien depuis lors, depuis 18 ans qu'elle avait pris cette décision n'était arrivé. Non sans risque mais sans mort et sans catastrophe. Pierre était resté de marbre depuis le début. Arguant de la responsabilité de sa fille elle-même. Dès son plus jeune âge. pas de discussion stérile à avoir face à cet argument absurde. Françoise continue aujourd'hui de lever les yeux quand il invoque cette idée stupide. Elle l'aime son mari. Mais elle ne l'aime pas comme père. Elle l'aime de tout son cœur comme conjoint. Elle aurait préféré un autre homme comme père de ses enfants. Tant pis, on ne peut pas tout avoir. Déjà bien d'aimer et être aimé. Ils se taisaient tous les deux concernant Jane notamment. Jonathan étant beaucoup plus placide et sans danger immédiat et visible.
Jane savait qu'elle avait mis à mal la famille, qu'elle avait toujours bousculé tout ce qui commençait à s'installer. Pas par goût de la révolte. Pas par agressivité intentionnelle. Colère rentrée et incomprise peut-être mais elle n'en savait rien. Surtout par besoin vital de changement, de mouvement. L'immobile est mort. Jane a toujours eu en elle ce sentiment morbide de l'inertie. Ce frère aussi serein et apaisé, elle lui en faisait voir de toutes les couleurs. Pour le faire rougir, verdir, jaunir, fleurir. Sans succès. Elle ne l'avait jamais admis mais tout le monde le savait maintenant qu'ils étaient tous deux adultes, elle en avait beaucoup appris de lui. Elle n'a jamais appris la douceur et la zen attitude. Mais elle a appris à admettre ces gens-là, si autres. Elle l'aime de tout son cœur son Jojo. Elle l'appelle toujours comme ça. Absolument toujours. Il n'a jamais renâclé. On ne rejette pas la seule marque d'affection d'une femme comme Jane. Sans doute que la rivalité s'est fait sentir à certains moments. Le père s'est alors manifesté. Jane a ouvert grand les yeux. Une des rares occasions où elle s'est laisse prendre de vitesse.
Mais attention ! soyons clair ! Jane est, en situation d'une fantastique tendresse. Tendresse et douceur n'ont, à son sens, rien en commun. Et ce n'est pas parce qu'elle saute en deltaplane de la Tour Eiffel de nuit qu'elle ne se sent pas à l'aise sous sa couette dans le creux d'un homme bien plus fort qu'elle. Elle a sur ce point-là une exigence extrême. Elle doit se sentir petite et même minuscule au creux d'un homme qu'elle choisit ou qui la choisit. Ces choses-là varient. Cela ne veut pas dire qu'il lui faut un rugbyman de 2m de haut et de 140kg. Cela veut dire qu'il faut un homme plus grand qu'elle et qui se fasse sentir plus grand. Ce à quoi les simplistes concluront : elle aime les machos sans cervelle. Idiotie phénoménale des théories de l'amour. ce que les gens les plus subtils peuvent alors se montrer bêtes ! Prenons un exemple : un homme de carrure normale, normale comme les autres de son âge, dans la moyenne (Jane ne sait jamais comment faire avec "normal", c'est une drôle de notion qu'elle comprend, elle n'est pas malade, qu'elle ne comprend pas, elle aime toutes les nuances de tout), donc d'1m75 et qui lui plaît plus que tous les gros bras de la salle. Pourquoi ? Parce qu'il sait pas prendre une meuf. La fourrer. Il sait prendre dans ses bras. Il sait enrouler. Il sait être le grand ours qui a rétracter ses griffes et qui même en fait des coussinets. Elle aime les ours à pattes milka. Elle ne les garde jamais longtemps. Ils ne se gardent jamais longtemps, devraient-elle dire. Le lien se détend toujours, sans heurts. Et personne ne souffre. Personne n'en a l'air du moins. Elle aime le corps à corps. C'est cela qu'elle aime le plus. Sentir la chaleur animale d'un être vivant. La chaleur et la peau. La peau, l'organe le plus grand du corps. L'organe le plus vivant de l'humain. Et il ne faut pas être un idiot pour savoir faire cela. Il faut être un finaud.
Jane sait qu'elle mourra sans doute brutalement. C'est mieux. Cela lui correspond. Elle ne sera affiliée à aucune maladie, comme à rien d'autre. Oui à la famille et à ceux qu'elle aime. Elle accepte cette affiliation-là. Aucune autre. Tous les autres groupes sont honnis. Elle est contre les fraternités ou sororités, encore pire. Elle n'a pas de sœur d'ailleurs. Elle ne sait pas en quoi cela consiste. Cela ne l'intéresse pas. Elle ne s'affilie pas parce qu'elle serait prisonnière. Elle ne sera pas prisonnière. S'il arrivait qu'elle s'y sente, elle sautera du haut du sommet du monde. Elle n'hésitera pas. Ce ne sera pas vraiment un suicide. Jane est vivante. Elle le prend comme ça. Si elle ne peut plus faire avec, elle mourra. S'il lui manquait ses deux jambes, suite à un terrible accident et tout le tralala, si elle était enfermée sur les bancs de l'école militaire, elle mourrait oui. Sans liberté, elle n'est rien. Ce n'est pas un slogan de vieux soixante-huitard. C'est une intime sensation de dévivance sans liberté. Jojo qui n'a rien à voir avec ça, et encore, sous sa carapace de skatter, la laisse faire et même la respecte profondément. Elle aime ce respect qu'il lui voue. Un beau respect, sans soumission, sans peur. un respect fraternel. Ils sont vraiment frère et sœur tous les deux. Elle se demande parfois s'il lui en a voulu de tout réussir, d'être parfaite. A vrai dire, elle n'a jamais pu savoir e quoi il en retournait. Il est devenu pénible entre la 5ème et la 3ème et puis le lycée l'a calmé, comme tout le monde à peu près. Rien de plus normal. Rien de parfait non plus. Mais y a-t-il aspiré un jour ? Elle aime à imaginer que non et qu'ils se complètent, qu'ils s'emboîtent. Encore peut-être une perfection de trop.
Cette perfection c'est une perfection d'aujourd'hui et elle, Jane, n'a jamais pensé une seconde à être parfaite. C'est le miroir déformant qu'on lui renvoie. Il y a quelques siècles, elle aurait été traitée en sorcière. Elle ne l'oublie jamais. La relativité de tout ce qu'elle entreprend qui laisse les autres baba. mais qui pourrait en blesser plus d'un parmi les croyants. L'Hérétique...
De plus, elle n'aura pas d'enfants.
Jane a basé son existence sur sa peur, sur ses antiques et énormes craintes. Elle les a fait tourbillonnées pour se faire une championne. Le monde la reconnaît en tant que telle. Elle en tire les bénéfices mais elle se satisfait davantage de l'idée de vaincre ses peurs et d'être chaque jour plus en terre sur cette planète. Elle fait peur sans plaisir ? pas sûr... Elle se fait peur avec plaisir ? bien sûr. Les choses sont si complexes. Elle ne les démêlent pas plus que cela. même si cela lui prend parfois surtout dans les grandes solitudes.
Elle se trouvait un jour au haut d'un de ces sommets que l'on a vus à la télé et qui font rire tant ils paraissent faux. Elle avait demandé à être seule un instant, sans ses précieux acolytes. Elle avait observé intensément la neige, la pure, la blanche, la princesse. Jane est une femme de neige. Elle l'a caressée, à mains nues, doucement cette fois, oui. Doucement. Seulement avec la neige. Elle a dit à voix haute que Jojo avait bien raison dans un sens. Elle a fermé les yeux. Jamais elle ne ferme les yeux bleus perçants qui attrape l'univers. Sauf pour les besoins du corps, h par nuit. Rationalité obligatoire. Elle a continué de caresser la neige. Sans froid. Il y en avait à perte de vue, en vallons, en formes de femme. Là, elle a pensé qu'elle aimerait faire l'amour à cette femme-là. Elle a eu la présence d'esprit de se remplir jusqu'à la fin de ses jours, calcul animal là encore, de cette neige. Elle a senti son cœur gonfler, mais de beauté cette fois et son ventre s'ouvrir. Ce ventre aux abdominaux de chocolat. Son ventre a desserré ses mâchoires et elle a laissé entrer la neige. Jusqu'à l'utérus et la moelle. Elle n'est pas redescendue tout à fait la même.
En bas, deux semaines plus tard, Jojo l'a observée. Il a souri et il a dit "Ma sœur en neige." Il l'a prise dans ses bras pour la première fois. Il a fait l'ours aux pattes milka. En moonboots. En pleine rue. Pas dans un lit.
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