dimanche 18 octobre 2015

Metamorphoses

Elle est une toute petite, bâtarde hybride parmi les grands. Une ridicule souris parmi les rats. Elle tremble de trouille comme un chihuahua tout le jour. Aussi loin qu'elle se souvienne. Sa mère et ses amis l'encouragent : "T'es une super souris ! File ! Trouve ton troutunnel bordel !" Elle sourit à dents pointues et rougit. Ils n'ont pas compris.
Elle survit quelques années mais il lui faut trouver une arme ou elle crèvera. Macha et Sara mordent sans remords. Petites salopes ! Pour la vie. Elle, elle aime lire et puis ?
Elle finit par succomber, se recroqueviller sous l'angoisse. Elle sourit grâce aux amies, Viga, Dora, Isa qui sont belles et vivantes. Elle brûle et sa vie de minable gerboise entortillée sur ses douleurs de boyaux doit cesser. Quel qu'en soit le prix.
Elle ne sera plus jamais la plus tordue, la plus petite, la plus insignifiante. Elle fonce les pupilles, jusqu'au grand noir. S'amorce le nouveau régime : elle dévore les livres. Elle s'en nourrit. Enfin son arme est entre ses mains. Et elle sait que personne ne pourra jamais l'en défaire. Elle tuera s'il le faut.
Écraser ses pairs à coups de livres, massues masquées.
Anéantir leur présence même. Métro, trottoir en lisant.
Éventrer le monde cruel, à coups de culture et d'histoires.
Gagner une place en brandissant les livres qui font vivre les hommes ingrats.
Gras d'ignorance.
Grisés de vin.
Gris, inertes.
Elle se grise de lettres, pages, volumes dans chaque sac, dans chaque main.
Le livre devient une drogue, un bouclier, anesthésiant toutes les douleurs. Le livre sauve et enfonce loin des autres. Mais les autres ne peuvent plus rien pour elle. Il y a Baba et Aba qui tiennent le coup et la raccrochent à coups d'humour et de tendresse lointaine. Nécessairement lointaine. Difficile d'attraper la minus gerboise. Et, de toute façon, tout vaut moins que les mots. Même eux. Le monde est devenu une dictature. On arrache les cœurs à la naissance.

Pas de coup d'Etat.
Mais quelque chose devra reprendre, sous peine de mort, et les livres aussi fort que le corps assureront la ligne de vie. Ils feront céder la folie. Et Je.

À moi de les écrire, en hommage, pour survivre, pour toutes leurs couleurs, aujourd'hui.
Baba et Aba auront un jour juste leur livre et je les nommerai, les canoniserai. Sans Bible.
Pourtant, sans bibles, je ne serai rien.

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