la nature qui ne l'entend pas et se fait courtiser par de vieux paysans libidineux, assoiffés qui se
raidissent rien qu'à sa vue. Ils sont tous répugnants. Je les insulte eux aussi mais cela recommence toujours, c'est plus fort qu'eux. Je rêve de leur couper la queue et de faire cuire leurs boules et de les leur faire manger. Ils en seraient capables ces lourdauds, ces animaux, devrais-je dire. Papa et Maman ne m'ont pas préparée à cela. C'est peut-être pour cette raison qu'ils ont toujours été réticents à ce que je m'éloigne de la maison. Le vrai problème était peut être celui-là et non de fréquenter des gens d'une autre classe. Mais ils auraient pu s'expliquer au lieu de maintenir un mystère absurde. Nous devons nous échiner à deviner le pourquoi et le comment de ce qu'on nous inculque. C'est fatigant. Cette hypocrisie me pourtant, comment Maman, si énervée, aurait-elle pu m'expliquer ces saletés ? Quant à Papa, ce ne sont pas ses affaires, il est un homme. J'ai compris cela maintenant, il y a quelques années. Il s'est éloigné de moi, subrepticement, sans me donner de raison et tout le monde a jugé cela parfait. J'avais l'impression d'être la seule à ne rien comprendre. Je ne voulais pas me soumettre comme un gentil chineur fait ce que Maman lui dit. C'est apparemment ce qu'on attendait de moi. On me laisse grandir comme une princesse dans la nature, je me sens comme une sorte de déesse Diane réincarnée et on me demande d'admettre de me taire (mes interventions ne font plus rire personne avec leur franc-parler, ce sont les petites qui y ont droit, plus moi.), de voir Papa que j'aimais plus même que Maman s'éloigner doucement vers les sœurs inoffensives, d'être regardée comme une fille de mauvaise vie par les hommes alentour car je ne baisse pas les yeux quand on me fixe ? Cela n'est pas possible, pas humain. Et surtout, qu'ont-ils tous fait de Yann ? Ils le laissent croupir sous terre sans même honorer sa mémoire une fois par semaine ! Je m'y rends seule puisque personne ne veut s'y rendre, que tout le monde est si lâché. Là encore, plutôt là d'abord, rien n'a été expliqué. Rien. Rien. Rien. On cache la mort, oui je comprends. Et peut-on expliquer le minimum à sa meilleure amie ? Son âme sœur ? Sa compagne de tous les jours pendant onze années ? Même pas, parce qu'elle aussi est encore une enfant. Alors on se tait. Tous comme des tombes. J'ai l'habitude, c'est le monde qui est comme cela. Mais là, je ne saisis pas. Ne pas dire ce qui est laid, je souscris. Le masquer. Mais laisser la mort avoir le dernier mot, quelle couardise !
Vous êtes tous des imbéciles.
Cruels !
Je vous ai demandé, harcelés, suppliés. Maman, tu m'as fait rougir en te détournant de moi mis en me
tendant un miroir pour me montrer ma face rougeaude et mon profil échevelé. Tu m'as dit que je n'avais pas de dignité. Et toi, tous ces soirs où tu l'aurais comme un nourrisson dans ton lit, probablement en train de téter un bout de serviette à l'odeur de Yann ? Qui manque de dignité ? La mère incapable de consoler sa fille ou la fille implorant de comprendre le drame de sa vie ? Qui est donc avilie ? Certainement pas moi.
Maman, tu m'as abandonnée, tu n'es un digne d'être ma mère. Tu n'es plus la mère d'un enfant mort que tu n'honore sur même pas correctement. Papa, toi, je ne te connais plus puisqu'il ne faut plus que l'on rie ensemble, que l'on soit complices. À toi aussi, j'ai demandé, toi aussi tu as tristement échoué. Je ne suis pas tombée des nues. Tu m'avais déjà laissée tomber. J'étais préparée à ta réponse vague et ton regard fuyant. Je n'ai malheureusement pas été étonnée. Fidèle à ce que tu es devenu ! Toi, tu n'as pas pleuré. Tu ne pleures toujours pas. Tu es un homme, je comprends ça. Mais je me demande où tu as posé ta peine. Je n'en ai pas vu une trace. Tu es resté exactement le même. C'est triste, plus triste encore que la mort de Yann.
Alors, j'ai dû m'arranger seule pour essayer de saisir et qui se passait. J'ai surtout observé. Je sais que Yann avait une maladie très grave. La première fois que je m'en suis aperçue, c'est un jour où Yann n'a pas pu se lever le matin. Il était lève-tôt, comme moi. Et ce jour-là, je suis venue le réveiller comme d'habitude dans sa chambre et il a à peine pu ouvrir les yeux. Il a essayé de s'asseoir sur son lit mais il s'est écroulé. Il m'a rassurée en me disant que c'était juste une grosse fièvre, il le sentait bien. Je l'ai cru,on ne s'était jamais raconté d'histoires tous les deux, on avait toujours été francs l'un envers l'autre. Ca faisait partie du code. Nous l'avions toujours respecté. Meme pour les choses les plus dures à dire, même quand nous avions honte, meme pour avouer que nous avions eu peur, même quand nôus craignions de nôus fâcher pour la vie. Alors, j'avais totalement confiance. Et je l'ai laissé se reposer en l'embrassant sur le front, comme nous faisions lorsque nous étions malades. Il m'a souri et il s'est aussitôt rendormi dans un frisson. Je suis sortie me promener et j'ai oublié. J'ai pensé à tout enregistrer pour pouvoir le raconter à Yann en revenant, comme n'importe quel jour. Je n'ai pas pu. Interdiction de rentrer dans sa chambre. Le lendemain, Yann allait déjà mieux même s'il n'était pas encore capable de sortir, il pouvait à nouveau s'asseoir sur le bord de son lit et j'en profitai pour lu expliquer ce que j'avais découvert la veille. Je restai plus longtemps à l'intérieur ce jour-là, pour être avec Yann. J'avais besoin de sa présence. Il m'avait manqué, même un seul jour.
Puis les semaines passèrent. Yann et Papa et Maman allèrent chez le médecin parce qu'après cette fièvre, Yann avait mis du temps à se remettre. Il était fatigué, dormait trop (alors qu'il avait toujours dormi peu, même enfant), ne sortait plus ou peu. Je trouvais cela bizarre mais je n'y prêtais pas grande attention. Je comprenais qu'on pouvait être malade et que cela dure un bon moment. J'avais déjà vu cela. Et puis, Papa s'est inquiété. Il en a parlé à un ami en ville qui lui a conseillé un autre ami médecin. Il pas sont partis trois jours plus tard. Maman ne voulait pas y aller mais une nuit, Yann a vomi, vomi, vomi, sans arrêt pendant des heures. Elle s'est alarmée et à acceptée d'aller consulter. La journée est passée normalement ou presque. J'étais soucieuse sans m'en rendre vraiment compte. C'est après-coup que j'ai compris que j'avais compris. Je me promenais, je m'étais sauvée après la classe, comme d'habitude. Mais j'ai eu des flashs, des images qui se mettaient devant mes yeux, malgré moi, des images sinistres de Yann. Je les chassais tout de suite de ma vie. Mais elles sont revenues toute la journée. Le son du hoquet de Yann pris par les vomissements me hantait. J'avais eu beau plaquer mes mains aussi fort que possible sur mes oreilles, j'entends parfaitement ses râles. En plus, il avait l'air de s'étouffer. Jackie ne s'était pas réveillée. Elle avait pleuré le lendemain matin de ne pas avoir entendu et d'avoir continué de dormir. Elle est toujours très sensible comme cela Jackie. Nelly elle était la première debout. Elle avait le sommeil léger, toujours que le qui-vive. Je n'en avais pas conscience mais elle prenait soin de nous, en tant qu' aînée. Ce rôle était déjà important pour elle. Le soir, nous avons dîné sans eux. Ils avaient fait prévenir que peut être, ils devraient s'absenter plusieurs jours. Jackie s'est encore mise à pleurer en voyant qu'ils n'arrivaient pas. Nelly l'a bercée et je l'ai fait rire. La bonne, Marie, s'est occupée de nous, comme tous les jours. Et puis, Grand-Mère n'était pas loin, les voisins connus et bienveillants. Nous n'étions pas perdues. Je n'avais pas peur mais une fois dans mon lit, je m'interrogeais sur la situation. Je me demandai si ce retard était mauvais signe ou s'il était inutile de s'inquiéter. Je ne pouvais pas m'empêcher de m'imaginer des choses et d'avoir peur, malgré tout. Mais heureusement à l'époque, j'avais autorité sur mes craintes. Je pouvais par magie les rendre ridiculement petites et insignifiantes. Jusqu'à ce que ce que... Je vais trop vite. Je m'endormais donc tranquillement. Le lendemain matin fut fête pour nous puisque nous pouvions ne pas obéir au strict ordre maternel du matin. Maman était toujours très soucieuse de notre préparation. Elle prenait cela très à coeur. Cela a changé par la suite et nous l'avons regrette, contrairement à tout ce que nous avions pu imaginer jusqu'alors. Ce jour-là, nous avons pris un malin plaisir à être aussi lentes que des tortues séniles, aussi éparpillées que des bébés singes en liberté. Marie nous a regardées avec amusement, elle savait que nous finirions par nous y mettre et par être prêtes. Surtout les autres. Me concernant, elle paraissait moins sûre et à juste titre. Elle me savait têtue et désordonnée, sciemment, volontairement. Elle se montra tres fine puisqu'elle ne m'obligea pas et je fais ce qu'il fallait faire.
La journée se passa dans le bruit et les rires. Les cris des petites. Nous nous sentions complètement libérées. Mais pas complètement à l'aise. Nous répétions finalement l'organisation habituelle, à peu de choses près. Même moi. Je ne sais toujours pas pourquoi. Peut-être un pressentiment, l'intuition d'une menace. Je ne sais vraiment pas.
Ils sont rentrés pendant le dîner. Nôus n'avons pas vu Maman. Elle n'est pas passée par la salle à manger, elle a tout de suite pris l'escalier pour monter dans sa chambre. Papa et Yann sont venus nous rejoindre. papa, égal à lui-même, et Yann comme un peu étonné mais souriant et malicieux. Ils nous ont rassurées par leur calme.
Des jours ont passé, la vie a repris son cours, tout à fait normal. Quelque chose d'imperceptible sur le moment avait tout de même modifié l'alchimie générale qui n'était plus la même. Mais j'étais aveugle. Je ne voulais rien savoir. J'ai seulement remarqué au fil des jours que le regard de Yann avait pris une autre teinte, plus foncée, plus profonde, comme les nouveau-nés, avant d'avoir leur couleur d'yeux définitive. Je me disais que c'était l'âge qui voulait cela, moi je voyais ma poitrine se former et s'alourdir. Yann, en tant que garçon, etait sans doute soumis à la même fatalité et cela attaquait ses yeux et non son torse. J'avoue qu'une ou deux fois, j'ai bien eu un flash en m'endormant : l'image de deux Yann côte à côte, celui d'un an auparavant et le présent d'alors. La première fois, j'en avais été bouleversée et alors que j'étais au bord du sommeil, je m'étais rassise dans mon lit, dans le noir, respirant bruyamment et tout à fait éveillée d'un coup. C'était le début d'un reve et c'est ce que je me répétais pour me calmer. Cette image, c'était celle de la décadence, de la chute définitive. (Une plante pourrie à sa place m'aurait fait le même effet.) J'en avais conclu dans mon for intérieur et gardé bien secret, que j'avais peur. Non que j'avais compris.
Mais ce jour-là, je vis en face ce qui nous attendait pour les deux mois à venir. Yann ne s'était pas levé et nous l'attendions dans la salle à manger pour commencer le petit déjeuner. Maman l'avait appelé. Papa avait frappé à sa porte et jeté un coup d'œil. Il n'était apparemment plus dans son lit. En réalité, il s'était trompé. Yann était bien dans son lit mais caché sous les draps, il grelottait. A force de voir tout le monde reculer devant le problème, je le prenais à bras le corps. Je montai les marchés quatre à quatre. J'entrai en trombe dans la chambre tout en parlant très fort : "Eh bien alors ! Que fais-tu ? Que se passe-t-il ? " Au premier regard, je ne vis rien n'ai personne, moi non plus. J'attendis et Yann se hissa hors des draps. Il était livide, aussi blanc que tout le tissu qui l'entourait. Il avait les yeux agrandis et cernés par la fièvre. Ils brillaient comme s'il pleurait. Il savait combien il était mal en point et son regard se posa sur moi, navré de m'imposer ce spectacle. J'étais pétrifiée, je reconnaissais mal les traits de mon frère adoré, il était véritablement transformé. Il referma les yeux. Je repris mes esprits. Je viens m'agenouiller près de sa tete. J'étais désespérée. Mais surtout, à le régler, j'en éprouvais une réelle douleur physique. Je me sentis faible et fébrile d'un coup. Sans avoir la force de rouvrir les yeux, Yann me tendit la main maladroitement et je la serrai très fort dans mes mains à moi. Que faire ? que dire ? Je me contentai de retenir mes larmes et d'attendre qu'Yann n'ait plus besoin de moi. "Tu enteras là jusqu'à la fin, n'est-ce pas ?" L'horreur eut se lire sur mon visage. Quelle fin ? C'était donc la mort qui etait en cours dans ma maison. Yann etait tout simplement en train de mourir. Doucement mais sûrement. Il répéta sa question devant mon silence hébété : "tu seras là jusqu'à la fin, n'est-ce pas ?"
"Oui, Yann, je serai avec toi."
Heureusement, je ne savais pas à quoi je m'engageais. Si j'avais su, jamais je ne lui aurais fait ce serment. Mais nous étions deux enfants et aucun de nous n'avait encore vu la mort de près.
J'ai tenu ma promesse. À quel prix...
Je ne recommencerai pas. Je n'aurai peut-être pas dû.
À partir de ce jour, l'état de Yann se détériora. Il y avait de meilleurs jours et puis le lendemain, c'était pire. À chaque fois, j'espérais qu'il revivais et je déchantais ensuite. Ces vagues sur lesquelles je chavirais tous les trois jours me donnaient des nausées. J'en étais moi-même malade. Pendant ce temps, Maman se morfondait, abattue, si facilement vaincue... Papa demeurait souriant et guilleret, comme si rien n'était en train d'atrocement arriver. Les petites trouvaient refuge auprès de lui, à défaut de pouvoir compter sur leur mère, si tonitruante jusqu'à présent. Jackie etait prise de crises de larmes, inopinées, sans qu'aucun de nous n'ait pu détecter et signes avant-coureurs. Olivia se pelotonnait dans les bras de Papale soir avant le souper des grands. Elle n'avait jamais été une enfant tres caline mais l'était devenue du jour au lendemain. Elles tait maintenant dans les pattes des adultes, elle qui avait une tenace tendance à s'enfuir, aussi loin que moi. Nelly etait impassible, plus froide et sûre que jamais. Raisonneuse et droite. Elle s'était muée en une espèce de robot insipide insupportable qui me faisait regretter la haine d'avant. Je priais pour qu'elle redevienne ce qu'elle était.
Tous les jours, je me levais aux aurores. Non seulement, j'étais incapable de me rendormir après mon réveil de cinq heures. Qui plus est, je savais que ces heures du petit matin étaient les pires pour Yann. C'était là qu'il souffrait le plus. Il m'avait expliqué qu'il avait mal dans tout le corps comme si son squelette était en feu et que le sang qui y circulait attisait les flammes. Le Coeur n'était alors plus qu'un tambour métallique qui cognait comme un sourd. La tete, une pompe qui se remplissait à la limite de l'éclatement et se vidait jusqu'à la mort toutes les trente secondes. Cette description m'avait proprement effrayée et je n'avais pas pu m'en cacher. Yann m'avait dit qu'il regrettait de m'avoir expliqué tout cela mais qu'il ne pouvait s'en confier qu'à moi. Pour la confiance qu'il me faisait et la peine qu'il ne voulait pas causer à nos parents. J'en tirais toute la fierté et l'honneur de celui qui donne le meilleur de lui-même. Ce que je faisais etait bien et je savais pourquoi je le faisais.
Je ne me leurrais pas. La mort approchait à grands pas et il était temps de faire preuve de courage. Tout le monde n'en était visiblement pas pourvu...
Après les heures matinales où la respiration se faisait lourde, haletante pendant de longues minutes et où le corps était secoué en tout sens par la folie de la maladie, venaient les plus doux moments du jour. Yann était calme. Il souriait parfois, essayait toujours en tout cas. Pour moi. Pour me remercier. Je le dans ses yeux. Les jours où il avait trop souffert entre cinq et huit heures, il me regardait sans plus et je comprenais combien il m'aimait. J'en rageais, tout bas, cette impudeur qui me frappait de plein fouet pour m'annoncer la mort.
Le déjeuner était parfois calme et fortifiant. Parfois terriblement long et fastidieux. Minuscules bouchées qui s'achevaient inévitablement par un gros vomissement. Tout ce rail pour rien. C'était après le déjeuner que je prenais une pause pour aller courir à l'air libre et fers, seule et tranquille. On ne me posait plus de questions, on me laissait faire. Maman avait bien essayé un jour de me retenir en me sommant maladroitement de profiter de ce temps pour travailler. Je l'avais regardée dans le fond des yeux incrédule. Elle avait tourné les talons et avait abandonné cette bataille perdue d'avance. Je sortais et me dirigeais tous les jours vers la forêt où je pouvais me perdre tout en ne ''égarant jamais. J'avais besoin de cet endroit et de son immuabilité, de son immensité aussi et de ses dimensions à la mesure de ma douleur. Quelquefois, je hurlais et j'en revenais exténuée. Au bout de deux ou trois heures, je rentrais à la maison et retournais directement dans la chambre de mon frère. Il était plus pâle, plus maigre, à chaque fois que je ne m'y attendais pas. Je lui racontais ma promenade. Je l'enjolivais le plus souvent. Il le savait, ses yeux devenaient rieurs et il se délectait de mes affabulations. Il s'endormait finalement et je prenais un livre, bien malgré moi, pour pouvoir rester à ses côtés. Yann possédait une vieille édition des Fables de La Fontaine. Il adorait ces poèmes. Je n'ai jamais compris pourquoi. Mais en les piochant dans la bibliothèque et en les transformant en véritables rituels, elles m'étaient devenues chères.
Puis, Yann se réveillait à nouveau pour une heure pendant laquelle il fallait encore essayer de le nourrir. Je cédais ma place en général. Et je revenais pour une dernière parole avant la nuit tourmentée qui l'attendait.
Le dernier soir, Yann n'était pas si souffrant et amorphe que d'autres fois. Bien au contraire. Il avait les yeux d'avant, leur même couleur était revenue. Je me réjouis. Quelques instants seulement car il s'exprima comme seul un mourant le fait : "Anna, merci pour tout. Tu es la plus chouette sœur du monde. Ne l'oublie jamais. Et ne le dis pas aux autres surtout !" Je baissais les yeux et rougit sans répondre à cette déclaration d'amour, la première de ma vie. Yann était lui, tout à fait à l'aise. Il me sourit un peu narquois.
Ce soir-là, je reviens l'embrasser avant d'aller moi-même me coucher. Ses traits étaient crispés, il était translucide, verdâtre par endroits, comme pourri, les veines saillantes, gonflées comme si elles étaient en crue, les seules à pavaner dans cette mort imminente.
Je fuis ce spectacle et me glissai dans mon lit. Le lendemain, il ne serait plus là, nous n'aurions plus de frère. Nous ne serions plus que des filles. Au grand désespoir de tous.
L'aube me réveilla et je me dirigeais lentement, à reculons disons-le, vers la chambre de Yann. L'odeur envahit mes narines. Avant même tout le reste, je sus. J'aurais voulus tuer mes sens. J'ouvrais la porte. Il était là, immobile et mort. Je m'allongeai doucement à côté de lui, contre le mur. Avant que la maison ne le tue definitivement. Il était encore tiède. Mais il était devenu une chose. A ce moment précis, je compris pourquoi il fallait croire en Dieu. Il me fut d'un extrême secours. Yann avait dû s'eteindre peu de temps auparavant. Je savais cela grâce à Papa et à la chasse. Il m'avait expliqué comment les bêtes mouraient. Je sentais combien la situation y ressemblait.
Et puis, tout s'enchaîna.
Et plus grand-chose à raconter.
La vie reprit son cours et chacun reprit son rôle, sans Yann, croyant que c'était possible.
Je pris la place du garçon perdu.
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