mardi 10 mai 2016

La petite grosse

Je tombe.
Relève-toi !
Je casse.
Répare vite !
Je me trompe.
Recommence !
Je brise.
Réessaye !
Je m'exécute.
La vie reprend son cours.

Je tombe et me relève
et pourtant,
une partie de moi
reste à
terre.
Mon fantôme se relève
ou se morfond,
je ne sais pas
lequel
du fantôme
ou
du vivant
se trouve
où.
Je me sépare.
Je tombe et je casse.
Je me trompe et je me brise.
Je me regarde.
Je m'observe,
debout,
au sol.
Je dis
« Pardon pardon
Désolée désolée
Oh la conne
Oh la merde
Oh non
Mais si
Excuse-moi
J'y arrive pas mais
Je vais
Attendez-moiiiiii ! »

Je tombe et me relève,
comme toujours,
en automate.
L'éducation.
La fierté.
La rage.
Toute la rage de toute la vie.
J'aime retrouver le contact du sol
sous mes pieds
et non sous la tête.
J'enfonce le sol.
Pas de cadeau.
Tu vas rester là où tu es.
Je déteste celle qui chiale
à mes pieds.
Je ne voudrais que l'autre.

Je tombe et me relève.
Je ne rougis plus.
Je n'ai plus l'âge.
Ou presque.
J'ai honte
à
crever.
Je suis la grosse
petite fille,
l'obèse gamine
baveuse
et bête
sale et
débraillée,
rieuse
et moquée,
obscène
que ma cervelle
a construite de toutes pièces
depuis le tout début
et qui survit
à tous les tsunamis
de l'existence.
Je suis à nouveau
elle,
ridicule en puissance,
inaimable,
qui peut juste espérer
l'humanité
au plus bas de l'échelle.
Je suis cette idiote
aux bras lourds
ballants comme un gros singe,
aux jambes inamovibles
grasses
et désobéissantes.
Je suis cette poupée soufflée,
laide
et illégitime.
Je voudrais disparaître.
Comme autrefois,
je compte les minutes,
les secondes
jusqu'à la solitude
libératrice.

Puis c'est fini.
Je regrandis.
Je gère la vie
avec mes armes rôdées d'adulte.
Je n'oublie pas
la petite grosse imbécile
qui végète
entre estomac et utérus.




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