samedi 3 novembre 2018

Olivier Liron, Einstein, le sexe et moi - Alma Editeur

Un Question Pour Un Champion sautillant, comique, déluré même. L'arbre qui cache la forêt du passé. Olivier Liron dans son roman Einstein, le sexe et moi nous entraîne dans un cerveau et tout un être pas comme les autres. Voyage au coeur d'un intrépide "anormal".
 
        Olivier est un concurrent dangereux pour ses adversaires dans ce fameux Question Pour Un Champion qu'il dispute ce dimanche après déjà plusieurs victoires. Le jour J, l'attente, les diverses prises, les différentes épreuves se succèdent. Et Olivier nous les décrit par le menu. Toujours optant pour un second degré comique, il met en scène véritablement le jeu qui se déroule, les larmes de l'une, les encouragements de l'autre à son égard, la frustration changée en sadisme du perdant qui opère sa remontada. Nous sommes immergés dans ce microcosme qui peu à peu nous semble moins comique et plutôt très humain. Grand classique des mouvements du groupe humain. Une danse, des clans, des oui et des non, un leader extatique ou tranchant. Le personnage de Julien Lepers est particulièrement affiné et ne peut nous laisser de marbre.
La malveillance n'est pas de mise ici. Il s'agit de dévoiler le comique de tout un chacun et c'est un succès. Cela donnerait envie de participerait à un QPUC une fois dans sa vie. Oups pardon ! il faut tout de même être une encyclopédie ambulante. L'incongruité des questions et de leurs réponses, auxquelles rarement nous pouvons répondre ajoute encore à l'humour qui traverse ce roman.
     Nous avons donc là un axe de récit du genre bouffon, dans tous les sens du terme. Et cela n'est pas sans nous rappeler (cela n'est peut-être qu'une subjectivité isolée qui entrevoit ce parallèle, cela n'empêche en rien d'avoir envie de la partager n'est-ce pas ?), le dernier roman de Jérôme Ferrari, A son image ( Editions Actes Sud). Vous me direz que Mais précisément cela semble être tout le contraire ! Quel rapprochement peut bien valor d'etre écrit ici ? Eh bien, c'est cette trame narrative qui sous-tend en permanence le récit,  laquelle on revient quand il le faut, dont on s'éloigne quand on le peut. Mais en effet, il y a d'un côté la trame d'un requiem, de l'autre celle d'un jeu télévisé. Les trésors d'incongruité de l'esprit n'ont pas de limite. Toujours est-il que l'on peut voir dans ce roman un cousin comique et farfelu à celui de Jérôme Ferrari. Espérant ne choquer personne car bien au contraire, il semble important de pouvoir faire se cogner ceux qui se distinguent tant. Une petite iu une grande magie en ressort souvent.

       Au cours du récit, on ne peut nier que l'exagération comique est à tous les rendez-vous. Certes mais au bout d'une centaine de pages, ne se demande-t-on pas s'il est véritablement question d'exagération ?  Derrière cette dernière, nous revenons au bouffon cité ci-dessus, une réalité émotionnelle se dessine. Sinon, l'on ne rirait pas. Une espèce de tragi-comique digne d'une pièce de théâtre voilà ! Nous sommes par moments tout simplement au théâtre. Ave toutes ses ficelles et ses finesses.
       Cependant, il y a les apartés. Il y a ces arrêts sur image. Le temps s'étire alors et le jeu est sur pause. Il y a donc des allers-retours, des changements de rythme sans pitié pour le lecteur qui doit redémarrer en trombe quand le jeu recommence et ne pas contineur de courir quand le souvenir s'invite. En effet, Olivier nous raconte ses souvenirs de famille, d'école etc., dans l'ensemble exactement non-comiques. De fait, ils tranchent dans le vif et le lecteur ouvert et confiant assiste à de vieilles douleurs surgissant comme des sorcières de leur placard. Et nul besoin pour le narrateur de le préciser pour savoir que l'empreinte est indélébile. Ces incartades dramatiques sont racontées en faits. Elles ne sont pas l'occasion d'écrire une émotion réelle. Mais bien davantage celle d'en ressentir une. Olivier Liron parvient à susciter une émotion qu'il ne dit pas. Sans doute parce que tout cela est brûlant d'authenticité.
       Le narrateur qui mène cette danse hachée Parle de la norme, du diktat maltraitant de la norme, du "pouvoir hideux et haineux de la norme"(p. 63). La norme de laquelle il ne fait partie en rien. La norme qui lui vaut violences et négligences. La colère se change en rage de vaincre le fameux Super Champion de QPUC. Elle est bien là, tapie et le doigt sur la bouche pour ne pas être reconnue. Mais dans le souvenir, elle voudrait déchiqueter, mordre, briser jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Il y a l'adolescence, l'apprivoisement de soi-même, la légitimité à être. Cette justesse terrifiante avec laquelle il l'écrit : "Je couchais toutes les nuits avec la tristesse d'exister.
Je n'avais pas le droit d'exister."(p.168)
Et la poésie qui sauve. Classique ? Oui. Non moins émouvante dans ce récit tout sauf mélodramatique rose layette à pompons. Et l'écriture dont on entend peu de choses mais quelques phrases qui se glissent loin en soi  "le déclenchement de l'écriture est lié à la sensation intime de l'horreur." (p.59)

         Olivier nous fait entrer dans le fonctionement de sa machine à penser, dans ses secrets, ses rythmes, se savoirs, ses ignorances, ses doutes sans aucune limite, ses questions, ses douleurs, et sa rage de mordre (au sens propre) celui qui blesse. Ce regard d'adulte encore meurtri qui ose l'assumer, les blessures d'enfant jamais guéries. C'est du passé ? Très peu pour lui. Et pourtant, le roman est drôle, rafraîchissant et le héros tout sauf aigri. Il cherche sa revanche là où il peut la trouver. 
Nous sommes sur le fil entre réel et irréel. Mais au final l'on n'a pas, je crois, réellement envie de savoir ce qu'il en est. Ce roman nous parle de nos rouages, de nos secrets et de notre rage à vivre malgré tout, en commençant par rire sans cruauté des autres et de nous-mêmes. Rire, penser, et y gagner.


Olivier Liron, Einstein, le sexe et moi - Alma Editeur - 9782362792878 - 18 Euros

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