Vous êtes dans le bus. Vous ne prenez pas le bus, qu'à cela ne tienne, vous marchez dans la rue. Vous marchez bien dans la rue quand même ? Bon, de toute façon, dans n'importe quel lieu public, vous avez vécu cette situation. J'avoue, je la trouve davantage choquante dans un bus, dans le métro. Dans un transport en commun où précisément tout le monde ou presque, à Paris notamment, se mélange. C'est une utopie ! me tancerez-vous, la mixité sociale n'existe pas. Je ne peux pas honnêtement affirmer le contraire mais il me semble que le bus et le métro sont parmi les plus gros terrains de mixité.
Mixité sociale ? Pas vraiment. Je parle plutôt de mixité psychique. C'est une invention absurde et blablabla puisque nous sommes tous différents et que la mixité est nécessairement de mise. Oui merci bien. Mais sans mettre des gens dans des cases, restent des différences plus ou moins importantes et parfois le pas est grand. J'en viens au fait : la mixité psychique, c'est celle qui n'existe pas, absolument pas dans ce pays, je n'ai pas peur de dire non non et non à la française. Il me semble que la cause en vaut la peine.
Qui n'a pas vu la foule s'écarter au passage d'une femme ou d'un homme parlant tout seul ? Personne. Tout le monde a assisté à ce spectacle de l'intolérance humaine où un pair, inoffensif, calme, sans aucun signe d'agressivité, parle à son monde, le sien propre impartageable, et se voit entouré d'une immense cercle de vide et de silence. Les regards deviennent méfiants, hautains souvent. Pas seulement incompréhensifs, ce qui s'entend tout à fait. Voilà quelque chose que pour la plupart d'entre nous, nous ne connaissons pas. Ne pas connaître ne voulant bien entendu pas dire ne pas comprendre n'est-ce pas ? Encore faut-il en avoir envie. Cette femme, cet homme, est étrange, elle parle seule, il fait même des gestes, ils sont en grande conversation avec l'invisible. Parfois, leur colère ou leur émotion qui nous semblent solitaires mais qui ne l'est pas dans leur réalité, effraie. Mais au fond, je crois que ce n'est qu'un moyen d'éviter d'avouer le vrai problème. Ce n'est pas l'émotion ou l'agressivité qui fait peur. C'est ce qu'on nomme communément la folie.
Croyez-vous vraiment, en toute conscience, qu'elle ou il ne se rend pas compte de ce vide qui s'installe autour de lui, partout où il passe ? Croyez-vous vraiment qu'il soit si fou qu'il ne s'en rende pas compte ? Non, vous savez tout comme moi qu'elle et il le savent et le ressentent même encore plus fort que chacun d'entre nous, soi-disant normaux. Mais ils vivent avec ce putain de vide autour d'eux, cette solitude, cette exclusion psychique, n'ayons pas peur du mot ! Ils en ont l'habitude et peut-être qu'ils trouvent cela préférable à la violence qu'ils pourraient craindre à leur égard. Car la bienveillance, ils en ont fait leur deuil.
N'est-il pas révoltant de constater que certains d'entre nous, du fait de leur différence psychique, souffrante, terriblement douloureuse, se voient en outre mis au ban de la société ? N'est-il pas révoltant de voir que de nombreux individus de cette société qui parlent tant de protéger les vulnérables, dans une intention on ne peut plus louable, décuplent le calvaire des fous ?
Fous oui, j'ai bien dit fous. Car fou n'est pas une insulte. Fou est hors norme. Fou ouvre tous les horizons interdits. Fou est drôle. Fou est un implacable miroir. Fou casse les codes. Fou invente et crée. Et qui peut assurer qu'il n'est en rien fou ? Qui ? Qui osera cela ? Les plus malhonnêtes sans aucun doute.
Et donc, nous voilà à torturer les malades ? N'est-ce pas immoral ? Nous si prudes, si incapables d'avouer les choses comme elles le sont : le gros est gros, le fou est fou. Et après Mesdames Messieurs ? Et après ? Ce ne sont que des faits. Le jugement est dans notre tête. Pas dans les mots. N'accusons pas les mots à tort. Ils ne sont que des outils de l'esprit dont chacun fait son miel. Nous sommes responsables de nos mots. Eux ne sont responsables de rien. Nous les colorons de ce que nous voulons. c'est humain. Mais n'allons pas les accuser de décrire ce qui est. Je disais donc, le fou est fou. Bien. Il a droit à tout notre respect. Tout autant que n'importe qui. Une banalité ? Une énorme évidence ? J'enfonce des portes ouvertes ? Non je ne crois pas. Souvenez-vous maintenant de ces moments où le vide s'est fait autour de cette femme ou cet homme qui parle tout seul. Et vous revoyez l'image, vous fermez les yeux. Et vous vous apercevez avec horreur que c'est elle, c'est lui qui sont rongés d'angoisse. Bien plus que vous. Ce n'est pas notre peur. C'est la sienne. Alors ne la condamnons pas alors qu'elle le harcèle comme jamais nous ne pourrons l'imaginer.
Je parle ici plus précisément des femmes et hommes dits psychotiques. Ceux qui doivent vivre avec un univers parallèle en eux. Pas ceux qui se nourrissent de la douleur de l'autre. Voilà un autre problème que nous aborderons plus tard. Il s'agit là des Envahis. Vous me direz que chacun peut être un Envahi. Et je vous répondrai que tout à fait ! Chacun peut être un Envahi. Chacun est un fou en puissance. Un fou qui s'ignore. Et tant mieux. Cependant, nous avons la chance folle que nous ne goûtons pas assez de ne pas être des Grands Envahis. Nous sommes des Moyens ou Petits voire Minus Envahis. Nous devrions remercier nos dieux, la vie, le sort, la nature, qui nous voulons, ce qui nous plaît de n'être pas des Grands. Au lieu de cela, souvent l'on entend dire "les schizophrènes sont dangereux". Ce sont eux qui payent le plus cher le tribut du fou. Seraient-ils coupables de schizophrénie ? A en croire certaines paroles, peut-être... Que l'on cesse enfin d'affirmer cette énormité. Ou que l'on finisse la phrase : les schizophrènes sont très dangereux en effet, mais pour eux-mêmes bien plus que pour n'importe qui d'autre. Bien sûr, ceux qu'on case ainsi dans le clan des fous dangereux, au même titre que les psychopathes, peuvent agir avec violence. C'est indéniable. Et nous donc ? Impossible ? Nous sommes des agneaux de douceur ? La logique n'est pas la même. Mais la violence n'est-elle pas comparable ? Pas toujours, il est vrai. Mais parfois tout à fait. C'est surtout que nous ne cherchons pas à la comprendre et qu'en cela, elle nous fait peur. Alors mieux vaut exclure qu'admettre que l'on a peur parce que l'on ne comprend pas. Un nombre considérable de femmes et d'hommes au diagnostic de schizophrénie se suicident. Voilà la réalité de cette violence. Voilà la plus grande dangerosité qu'il encourt.
Une question se pose : cette exclusion psychique qui anime notre corps social ne concourt-elle pas à augmenter le taux de suicide ? N'avons-nous pas notre responsabilité dans le passage à l'acte ? Peut-être, peut-être pas. Mais il est certain qu'il vaudrait la peine d'essayer d'accueillir ces pairs et d'en prendre soin pour tenter d'apaiser leur douleur. Et non de les en accuser, implicitement. Qui sait si cela n'aurait pas un effet bénéfique pour chacun d'entre nous. Tous autant que nous sommes et pas de Eux et Nous. Pas de mur d'enceinte, de cercle de vide et de solitude pour quiconque.
Combien plus riches et plus sereins serions-nous de cette tolérance !
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