vendredi 24 avril 2015

Bébé jeté

Elle a les yeux vides, comme parfois. Il s’imagine la mort dans ses os.

Elle s’approche de l’enfant.
Elle garde les mains derrière le dos.
Elle les entrelace, les noue au plus étroit.
Elle cherche les menottes.
Elle aspire à sa camisole de forcenée.
Sa belle blanche.
Sa tourbillante en escargot.
Elle doit se tenir seule.
Elle se penche en mauvaise fée.
Heureusement qu’elle n’est marraine.
Au mieux, elle muera en courgette.
Elle ne crée pas de princesse.
Elle déficelle.
Elle détricote les jolis textes.
Et l’insensé reprend ses droits.

Elle cesse de respirer.
Pour ne pas criminer.
Pour éviter le drame.
Elle tente
quand même
de se pencher
au-dessus du berceau.
Là encore, l’affaire n’est pas mince.
Puisque les mains tirent en
arrière.
Elles ou elle.
On ne sait plus qui.
En tout cas, elle se penche et recule.
Elle ne voit presque rien.
Elle voit un tout petit visage,
des yeux de taupe,
un nez de souris,
des lèvres violettes,
des joues de pomme.
Elle ne sait pas par où regarder
bien.
Elle préfère vite se retirer en
s’exclamant comme on l’attend :
« Qu’il est beau ce bébé ! »

Avant d’arriver au couffin,
après la penchée périlleuse,
elle essaye de ne pas fermer
les yeux.
Pour ne pas voir ce qui
lui vient toujours
et qui lui fait tordre
les mains.

Le bébé qui étouffe,
le bébé qu’elle tient dans ses mains,
pas les bras,
dans ses mains
qui s’enroulent en serpents.
Le bébé qu’elle étouffe.

Le bébé qu’elle tend au-dessus du vide,
le carrelage,
l’immense tentation de le laisser
s’écraser.
C’est son monstre
qui lui dit ça.
C’est sa furie
qui lui parle.
Elle gigote pour s’en défaire.
Elle se débat.
Mais l’envie presse.
L’envie fait trépigner.
Elle lâcherait peut-être le bébé
d’impatience,
avant de le jeter.
Elle rouvre les yeux
avant que
trop de sanguinolent
s’étale.

Le bébé qu’elle serre tellement
fort
d’amour,
la pulsion
de haine et d’espoir,
le pic de fusion
assassine.

Le bébé qui fixe
sans bouger un trait du visage
puis quelques torsions
bizarres
de la bouche,
un bâillement
et personne n’est reconnu,
et on lui en veut.
Elle n’aime pas
l’indifférence
des bébés.

Même les siens.

Alors elle ne les regarde pas
trop.

Elle les plaque contre
soi.

Elle vérifie le cœur
sur le dos.

Elle avance avec ses yeux sans se
retourner.

Elle les empêche de la
voir.

Sauf quand elle n’a plus la
force.

C’est elle qui ne voit plus.

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