lundi 27 avril 2015

Je suis leur fléau

Chère Jacquie,

Toujours toi et toi seule pour parler. Cela fait des mois, des années que je ne me suis pas épanchée, que je n’ai absolument rien laissé sortir de moi. Si ce n’est pas à toi que je me confie, ce n’est à aucun autre. Je ne sais faire avec personne.
J’ai bien vu que ces dernières années étaient pénibles pour toi. Toujours plus douloureuses les unes après les autres. A te regarder, je revivais ma propre descente. Tu as tenu plus longtemps que moi. Tu as cédé quand même. Tu partais de moins haut. Tu n’as jamais été princesse. Tu as plutôt dû te battre pour avoir une place égale, moins indigne, raisonnable. Tout cela à cause de ton gros nez et de ton fichu caractère, tes colères et tes roulés boulés et poings. Maman ne t’a pas aimée comme moi. Elle a choisi celles qu’elle préfèrerait. Haut et fort. Je n’y ai pas pris garde jusqu’au moment où je t’ai vue toi aussi te flétrir, faner et rétrécir. J’ai pensé que c’était sans doute la faute de la vie parisienne. Mais vite, je t’ai vue attraper les mêmes maux que moi. Cette descente, la première, que je n’avais vue qua dans les yeux de John, écœuré, je l’ai aperçue dans ta chute. Je l’avoue, je t’ai laissé choir, je n’ai pas levé le petit doigt. J’ai été lâche peut-être. C’était au-delà de mes forces. Je me suis fissurée à te voir ainsi. Pour ne pas m’écrouler définitivement, je me suis tenue à distance.

Mais la deuxième descente arrive aujourd’hui.

J’ai cru jusqu’à ce matin précisément que je n’aurais plus à vivre ou voir ces choses répugnantes. La vie est une putain qui recommence indéfiniment ses saloperies. Elle attend que j’aie regardé en face mes aventures et les tiennes pour me laisser tranquille. Pour enfin arrêter de m’éprouver. Elle s’entête et je pourrais mourir qu’elle ne cèderait pas. J’ai essayé toutes les diversions possibles. J’ai tout essayé. Pour me protéger, pour protéger les enfants. Pour ne pas m’écraser et cramer comme une crevarde, embringuant des innocentes là-dedans.

Bébé vient de fermer la porte derrière elle et ne reviendra pas. Elle ne l’a pas prononcé de ses lèvres. Ses yeux l’ont dit sans elle. Ses yeux ont crié qu’elle aimerait mieux se pendre que de nous retrouver. Tout sauf nous, même le confort. Elle habiterait dans une poubelle si cela pouvait l’éloigner plus sûrement de nous. Et sans aucune colère, sans jamais dire non. Ni à cela ni à rien. Ni presque à personne. Je l’an aurais claquée. Elle se perdra. Comme moi. Elle finira au p’tit r’montant. Elle a eu sa dose de torgnolles et coups variés. Elle ne se défendra jamais davantage. Elle ne dit jamais non. Elle dit oui très fort et tout le monde le prend pour un non. C’est un oui haut et fort, rien de plus. Même un tout petit non l’écorcherait vive.
Quand j’ai fini par percevoir ce silence, j’ai su ce qu’il en serait d’elle : Bébé tombera de trous en trous, elle finira ma chute.
Elle est mon immonde prolongement.
Je l’ai maudite en l’aimant tant.
Mon amour est un fléau.
Je suis ridicule mais je ne peux pas dire les choses autrement. Je crève tous les poumons et tous les cœurs. je suis une plaie contagieuse. Je saigne dans tous les coins et salit tout mon monde.
Toujours dans une robe de princesse.
Personne n’y croit. Il faut le vivre pour savoir ce que je suis derrière. Tous ont fini par prendre leurs jambes à leur cou. Bébé pas plus tard que ce matin. John est toujours là mais il pourrait ne pas l’être. Il n’est pas avec moi. Il est dans son monde. Il en change la serrure chaque jour pour être sûr qu’aucun intrus ne s’invite dans l’intime. Je suis un intrus au même titre que n’importe qui d’autre. Je n’ai rien à dire de plus. Je suis peut-être même en bas de l’échelle puisque je suis une imbécile. Une belle, une splendide imbécile. Il le dit, sans hausser le ton, c’est pire. Pas pour être méchant. Parce qu’il le pense profondément. C’est sa pure vérité. je suis moi aussi son fléau, son fléau de bêtise.

Ce soir, ce sera le premier soir en tête à tête définitif. Jusqu'à la mort. La dernière fois, et comme les,précédentes, nous avons mangé en silence. Il, ailleurs. Moi, bien là. De plus en plus enragée de son indifférence. Je ne tiens jamais le coup au-delà du fromage. Disons-le, et tu sais bien ce que c'est, une fois que j'ai bien plus bu que mangé. Plus avancent les pats, plus il m'exaspère, plus je me sens seule, lus je le déteste. Ca finit toujours mal. Tous les soirs du reste de notre vie. Pute de vie, encore et encore.

Monsieur pense ?
Sans un regard. Je souris dans mon verre. Il lève un sourcil. Continue ce qu'il fait.
Monsieur pense...
Le s siffle, j'y insiste comme une vipère. Je suis son fléau.
Arrête Anna avant que cela ne dégénère.
Arrêter quoi ? La conversation commence à peine Johnny John.
Ttttttuttttt ! Ne m'appelle pas comme ça !
Je ne peux donc rien dire ?!
Ne fais pas l'innocente !
C'est pour te garder dans la course que je t'appelle ainsi. Tu n'es qu'un fuyard. Au premier chemin de traverse, tu t'échappes.
Tu es folle.
Folle non. Pas ça.
Tu es une imbécile.
Ca oui, sans doute. Mais comparés à ton génie, nous sommes tous des imbéciles. Tu seras le seul à en réchapper. Pauvre de toi. Toujours entre les mailles du filet, pour fuir ou briller. Un rat unique en son genre. Un rat de haut rang.
Tu vas trop loin Anna. Tu vas beaucoup trop loin. Je te supporte toi et ta bêtise. Heureusement que tu es agréable à regarder. J'espère que c'est un sourd que je deviendrai. Et je pourrai me rincer l'œil sans le son.
Espèce de salaud ! Tu ne sais que te vanter et me traiter comme une pute.
Tu traines dans tous les bras qui s'ouvrent.
Tu me dégoutes (mielleuse) Johnny John. J'aurais été meilleure que toi si j'avais eu moi aussi la chance d'avoir un beau bazar entre les jambes, des putains de couilles et une grosse bite ! Je suis née châtrée et je dois fermer ma gueule et me pavaner pour le bon plaisir de Môsieur. Toutes ces années, je les ai perdues à te faire honneur, puis à boire pour oublier que j'étais perdue. Sale mec ! Salaud de bonhomme insouciant ! Rien ne t'intéresse que toi-même et ta gloire. Ton génie de pacotille. Un vrai génie, c'est un artiste. Pauvre gars !
Tu cherches les coups, petite conne. Eh bien ! Tu ne les auras pas. Tu ne pourras jamais pleurer sur tes bleus. Je ne peux pus te toucher. Tu leur appartiens, à toute cette foule de bites que tu as tenues dans tes mains et je ne sais où. Je n'ai pas besoin de ça. Je me suffis à moi-même. Tu n'es qu'un accessoire.
Je suis bouche bée, le jour où il me dit cela. Parce que là, ma Jacquie, c'est un condensé de toutes les fois. Toutes les vacheries les unes à la suite des autres. Nous n'avons pas vraiment dit tout ça d'un coup. Peut-être en étanche que nous l'avons toujours pensé. Tout à la fois, ça nous brûlerait la bouche. Nous baverions. Nous serions complètement perdus. Nous nous changerions en véritables monstres. Je me sens un monstre face à lui et face à elles. Je suis une méduse qui se cache, qui s'arrête et qui brille. Personne ne perçoit les serpents qui s'agitent sur ma tête. Ils se rendent invisibles. Mais un jour ou l'autre, mon interlocuteur se rend compte qu'ils l'habitent et qu'ils le pétrifient. J'essaye autant que possible de ne fixer personne. Je ne regarde rien. Je regarde mes yeux. Pour ne pas empirer encore le carnage.

Comment Jacquie ai-je pu devenir ce monstre ? J'étais la princesse que tout le monde enviait. Je sais combien Nelly a ragé de n'être qu'elle et ne pas être moi. Pourtant, aujourd'hui, elle est plus respectable que moi.

Je pends comme une ordure dont on ne peut pas se défaire, au côté de chaque personne de mon entourage. Ils ont beau tirer dessus, frotter, brûler, abraser. Je pendouillerai toujours à leur côté comme un boulet qui s'acharne.
Parfois, j'attaque de travers, comme ceci.
Parfois, je suis le fléau et n'écrase d'en haut.
Quelle que soit la manière, je déchire les êtres.
Danny, qui te ressemble tant, ne dit rien. Elle me regarde et elle attend. Elle sourit mais elle n'en pense pas moins. Elle a toujours été sage, calme, drôle.mais elle est loin d'être idiote. Cela fait des lustres qu'elle a tout compris. Que mon petit manège n'a plus de secrets pour elle. Danny est ma conscience tenue debout face à moi, tous les jours pendant vingt-trois ans. Enfin, elle est partie. Elle s'est mariée. J'ai cru que je pourrais être libre. Mais non, elle revient dans les rêves, dans toutes mes histoires. Elle se faufile entre mes mots. Elle est lus forte qu'une simple présence. Cela me dérange.
Ta bienveillance m'exaspère.
Ta gentillesse est imbuvable.
Ta clarté m'assombrit.
Et pourtant, en colère je dis cela, et pourtant, tu es bien mon enfant. Tu es sortie de mes entrailles. Tu es mon enfant chérie.
Tu me rappelles Jacquie, la tendre colérique.
Tu me rappelles que je suis peut-être plus qu'une vieille alcoolique.
Vertigineuse.
En débandade finale.

A bientôt Jacquie, ma douce.

A.

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