Elle se réveille. Elle est à l'hôpital. Comme les jours précédents, un énorme manteau de coton l'enveloppe. Elle attend peu à peu qu'il se dissipe. Cela prendra sans doute quelque temps. Elle n'a pas d'autre choix que d'être patiente. Elle n'a non plus rien d'autre à faire. Et étrangement, elle ne s'ennuie jamais. Elle profite du rien qu'on lui impose.
Elle ne doit rien.
Il ne faut rien.
Elle peut se taire et vérifier ses affaires, pas trop devant tout le monde mais on ne l'a rabroué pas systématiquement. Il y a des regards noirs. Mais, ici, ça lui est égal. Ici, elle est une folle ou presque. On n'exige rien de normal de sa part. Elle ne doit pas être au maximum de ses compétences en permanence. Elle file doux. Et encore, elle a l'air bien plus nette que tous les autres !
Elle ne parle pas seule. Elle murmure seulement et c'est beaucoup mieux, elle sait.
Elle marche sur ses pieds et les deux. Elle fixe chaque pas mais ce n'est pas le principal. Ses pieds l'obnubilent. Ce sont de vrais bijoux.
Elle dort la nuit et mange le jour. Elle suit gentiment les tics tacs de l'horloge. Elle aimerait lui désobéir mais elle se met à lui parler si elle s'écarte du droit chemin. Elle n'aime pas ça.
Elle entend les paroles des docteurs et infirmières. Ces Messieurs Dames sont bien en anges parfois. Mais ils ne font pas de mal. C'est tout ce qu'elle souhaite. Et cette idée du blanc ? Pour tous.
Elle s'y est mise aussi une fois.
Tous ont sévèrement froncé les sourcils, jamais, ils n'avaient été aussi fermes. Elle n'a pas tout compris. Il ne faut sans doute pas leur ressembler.
Elle ne jette pas sa tête par-ci par-là partout. Elle la laisse où elle est. Le cou tient le coup. Elle n'est pas si fragile. Le corps est bon. Il ne marche pas si mal. Oui, il fait mal quand elle s'agite de top. Mais au fond, c'est la tête qui fait mal. Et c'est toujours le ventre qui trinque.
Elle ne crie jamais. Jamais ô grand jamais elle ne se permettrait cela. Elle est une murmureuse. Ne le dites pas trop fort !
Ne le dites à personne !
C'est une belle vie que celle-là.
Elle a parfois envie de voler. C'est un problème. C'est le problème. Elle trouve ça révoltant de ne pas respirer plus près de Dieu. Pourquoi oui pour certains et pas pour d'autres ? C'est une chose pour laquelle elle aurait pu crier si elle avait été une dérangeuse. Elle est une murmureuse, on vous l'a déjà dit. Vous ne sauriez peut-être pas ce que c'est ? Pourtant le mot le dit. Y en a qui ne sont pas bien fins quand même hein ! Mais, elle ne s'en fait pas trop. Elle sourit quand les autres ne comprennent pas. Ils croient ce qu'ils veulent. Elle s'en tamponne. Elle sait que tous ne saisissent pas tout. Le monde n'est pas le même pour tous. Enfin, elle a un sens plus aiguisé tout de même. Elle l'admet en elle-même. Elle ne le dit pas haut. Les docteurs n'aiment pas ça. On leur volela vedette. On doit la leur laisser. Sinon, ils tapent du poing. Et sérieusement hein ! Ils ne plaisantent pas, ooooooooooh ! Madame, vous êtes sûre et certaine de ce sens aiguisé ? Et les questions fusent à c e moment-là. Elle les connaît par cœur :
- Pensez-vous être plus douée que vos pairs ?
- Pensez-vous être un individu spécial ?
- Vous sentez-vous spéciale ?
- Êtes-vous investie d'une mission ?
(Ils insistent, ils essayent différentes méthodes parce que prudemment, elle se rétracte. Elle ne dit rien. Elle sourit timidement. Mais voyons ! Bien sûr qu'elle est un être spécial puisqu'elle est ici avec toutes les blouses blanches et les fous. Spécial comment, elle n'en dit rien. Spécial quand même. Parfois, elle se dit davantage qu'elle est maudite. D'autres fois, elle a un don. Très rarement. Déjà arrivé ? ... Comme chacun et tout le monde.)
- Décrivez-moi ce qui est spécial ?
- Que veut dire spécial ?
Elle en passe...
Des questions pour être sûr qu'elle ne se prend pas pourla Vierge Marie ou même Athéna Renée. Ou au pire Dieu lui-même. Pour qui la prennent-ils ? Elle déjoue leurs stratagèmes. Elle sait qui elle est. Même si ce n'est pas toujours joli. Et pis cette histoire de Vierge Marie (elle ne dirait pas non d'ailleurs pour être la Vierge Marie mais c'est un autre écueil.), c'est absurde. Elle s'est accouplée avant même d'en avoir compris le truc, en famille, avec son Germain. Il voulait peut être un enfant d'elle. Peut être désirait-il un enfant qui restât absolument en famille ? Un enfant absolument entier. Un enfant sans nuances, sans mélange. Pas un hybride comme tous les autres, comme le monde les aime. Germain est un absolutiste. Il ne mesure, n'a jamais mesuré, rien. Il prend ou jette. Il aurait pris l'enfant sans relativité. Plus que n'importe quel autre. Il est encore un homme de cette trempe. Il n'est jamais vraiment là d'ailleurs. Il est parti de par le monde toute l'armée ou presque. Elle ne le connaît plus. Il ne veut plus la voir. Elle n'est pas parvenue à lui offrir l'enfant qu'il attendait sans doute. Elle aurait bien envie d'expliquer que c'était un peu tôt, qu'il aurait dû essayer plus tard pour cela. Heureusement qu'il n'est pas là, elle ne pourrait pas s'empêcher de le dire. Et elle sentirait l'immense nausée qui la prend quand elle pense comme cela. Elle efface. Elle va se frotter les mains sous l'eau et au savon. On lui a confisqué la brosse. Pourtant bien efficace. Un peu trop à leur goût, les blancs. Ils ne comprennent pas tout tous. Elle s'y est faite. Ils croient qu'elle souffre. Ils sont sûrs et certains. Bien sûr qu'elle souffre mais pas des mains. C'est quand elle a envie de voler et qu'il faut accepter que eh bien non tu ne voleras point ! Qu'elle souffre vraiment. C'est quand elle pense à ses petits laissés à la maison. C'est quand elle n'est plus seule a murmurer. Qu'on lui murmure sans cesse aux oreilles. Elle en a mal aux tympans. Elle sait ce que c'est que de souffrir des tympans. On ne doit pas en parler non plus de cela. Il parait qu'on n'a pas mal aux tympans. Elle se plie à ce qu'On dit. Elle ne gagnera jamais contre lui. Elle ne s'y frotte pas bien longtemps. Énergie perdue inutilement. On est le maître du monde. Bien davantage que Dieu. Pourquoi personne ne parle d'On ? Est-ce que tout le monde sent qu'il existe ? Quelle forme peut-il bien avoir ? Elle l'imagine parfois sous les traits de Paul qui s'y soumet plus que n'importe qui dans son entourage. Paul lui a dit On par-ci par-là partout pour la remettre sur les rails sans doute. Mais On ne l'apaise pas. On n'aide à rien. Sa pression, son poids de vieil obèse sûr de lui se rajoute aux murmures et douleurs tympaniques. Elle rit quand Paul est pris de On. Elle sait que ce sont ses "lubies" comme il dit qui attisent le On par-ci par-là partout. Pendant plusieurs jours, Paul ne peut plus jeter. Il onte. Il devient encore bien plus gris qu'à l'habitude. Elle sait alors, qu'elle se retrouvera bientôt dans cet hôpital. C'est lui qui lui indique la suite des événements. Sur le moment, elle est en général très en colère. Parfois, elle s'est même débattue. "Enfermez-le lui ! Il est fou !" Et personne ne tient compte de cela. En fait... Ne dites cela à personne, n'est-ce pas ?! En fait, elle sait que Paul est un peu dérangé. Elle prend l'air à l'asile. Parce qu'il la contagionne. C'est vraiment qu'elle est au bout du rouleau. Elle s'en veut de laisser les enfants dans cette ambiance tragique mais que faire ? Elle les prépare à son absence. Elle les prend un par un quand Paul est au travail, quand elle sent que son voyage approche. Elle leur susurre à l'oreille, pour ne pas heurter les tympans. Bien sûr qu'elle est attentive à cela ! Elle sait ce que c'est que cette souffrance ! Ne l'indignez pas !
Elle commence au bébé qui ne répond rien bien entendu : "Ma toute petite, ma toute blonde, n'écoute pas ton papa, danse dans ta tête avec les éléphants et les jonquilles. Chante toute seule cette berceuse pour t'endormir. Et pense à moi." La petite le regard toujours d'un air grave, presque désolée. Navrée de rester avec le père. Et puis, elle détourne le regard et sourit aux murs. Elle ne sait pas pourquoi.
Elle continue avec le grand, son grand garçon de guerre, son soldat, qui lui ressemble tant, qui lui fait les yeux doux. Son grand garçon tout en silence. Elle commence toujours par les extrêmes. Elle s'attaquera au cœur de la fratrie ensuite.
"Tu sais ce qui va arriver mon tout beau ? Tu sais que je pars en voyage, comme les autres fois. (Un petit clin d'œil complice pour le faire rire. Mais Franck ne rit jamais ou presque. Il est comme sa maman d’amour. Il ne rit que lorsqu’il est triste. Il faut 1, 2, 3, 4 clins d’œil et il se met à rire. Il ne peut plus cesser. Ses yeux assassinent le monde pourtant.) Tu seras responsable des autres. Et prends bien garde à ton père. Tu sais ce qu’il en est. Veille à préserver mon esprit en cette demeure. (clin d’œil. les lèvres de Franck commencent à trembler. Il va rire. Ses yeux noircissent et s’humidifient. Puis il se mord la bouche pour ne pas s’esclaffer. Elle lui sourit. Ils se comprennent au-delà des mots. Il pleure de rire, de ne pas rire plutôt. Il la serre dans ses bras. Elle l’étreint aussi fort. Il s’en va sans se retourner et en disant : « repose-toi bien Maman. »
Elle ne doit rien.
Il ne faut rien.
Elle peut se taire et vérifier ses affaires, pas trop devant tout le monde mais on ne l'a rabroué pas systématiquement. Il y a des regards noirs. Mais, ici, ça lui est égal. Ici, elle est une folle ou presque. On n'exige rien de normal de sa part. Elle ne doit pas être au maximum de ses compétences en permanence. Elle file doux. Et encore, elle a l'air bien plus nette que tous les autres !
Elle ne parle pas seule. Elle murmure seulement et c'est beaucoup mieux, elle sait.
Elle marche sur ses pieds et les deux. Elle fixe chaque pas mais ce n'est pas le principal. Ses pieds l'obnubilent. Ce sont de vrais bijoux.
Elle dort la nuit et mange le jour. Elle suit gentiment les tics tacs de l'horloge. Elle aimerait lui désobéir mais elle se met à lui parler si elle s'écarte du droit chemin. Elle n'aime pas ça.
Elle entend les paroles des docteurs et infirmières. Ces Messieurs Dames sont bien en anges parfois. Mais ils ne font pas de mal. C'est tout ce qu'elle souhaite. Et cette idée du blanc ? Pour tous.
Elle s'y est mise aussi une fois.
Tous ont sévèrement froncé les sourcils, jamais, ils n'avaient été aussi fermes. Elle n'a pas tout compris. Il ne faut sans doute pas leur ressembler.
Elle ne jette pas sa tête par-ci par-là partout. Elle la laisse où elle est. Le cou tient le coup. Elle n'est pas si fragile. Le corps est bon. Il ne marche pas si mal. Oui, il fait mal quand elle s'agite de top. Mais au fond, c'est la tête qui fait mal. Et c'est toujours le ventre qui trinque.
Elle ne crie jamais. Jamais ô grand jamais elle ne se permettrait cela. Elle est une murmureuse. Ne le dites pas trop fort !
Ne le dites à personne !
C'est une belle vie que celle-là.
Elle a parfois envie de voler. C'est un problème. C'est le problème. Elle trouve ça révoltant de ne pas respirer plus près de Dieu. Pourquoi oui pour certains et pas pour d'autres ? C'est une chose pour laquelle elle aurait pu crier si elle avait été une dérangeuse. Elle est une murmureuse, on vous l'a déjà dit. Vous ne sauriez peut-être pas ce que c'est ? Pourtant le mot le dit. Y en a qui ne sont pas bien fins quand même hein ! Mais, elle ne s'en fait pas trop. Elle sourit quand les autres ne comprennent pas. Ils croient ce qu'ils veulent. Elle s'en tamponne. Elle sait que tous ne saisissent pas tout. Le monde n'est pas le même pour tous. Enfin, elle a un sens plus aiguisé tout de même. Elle l'admet en elle-même. Elle ne le dit pas haut. Les docteurs n'aiment pas ça. On leur vole
- Pensez-vous être plus douée que vos pairs ?
- Pensez-vous être un individu spécial ?
- Vous sentez-vous spéciale ?
- Êtes-vous investie d'une mission ?
(Ils insistent, ils essayent différentes méthodes parce que prudemment, elle se rétracte. Elle ne dit rien. Elle sourit timidement. Mais voyons ! Bien sûr qu'elle est un être spécial puisqu'elle est ici avec toutes les blouses blanches et les fous. Spécial comment, elle n'en dit rien. Spécial quand même. Parfois, elle se dit davantage qu'elle est maudite. D'autres fois, elle a un don. Très rarement. Déjà arrivé ? ... Comme chacun et tout le monde.)
- Décrivez-moi ce qui est spécial ?
- Que veut dire spécial ?
Elle en passe...
Des questions pour être sûr qu'elle ne se prend pas pour
Elle commence au bébé qui ne répond rien bien entendu : "Ma toute petite, ma toute blonde, n'écoute pas ton papa, danse dans ta tête avec les éléphants et les jonquilles. Chante toute seule cette berceuse pour t'endormir. Et pense à moi." La petite le regard toujours d'un air grave, presque désolée. Navrée de rester avec le père. Et puis, elle détourne le regard et sourit aux murs. Elle ne sait pas pourquoi.
Elle continue avec le grand, son grand garçon de guerre, son soldat, qui lui ressemble tant, qui lui fait les yeux doux. Son grand garçon tout en silence. Elle commence toujours par les extrêmes. Elle s'attaquera au cœur de la fratrie ensuite.
"Tu sais ce qui va arriver mon tout beau ? Tu sais que je pars en voyage, comme les autres fois. (Un petit clin d'œil complice pour le faire rire. Mais Franck ne rit jamais ou presque. Il est comme sa maman d’amour. Il ne rit que lorsqu’il est triste. Il faut 1, 2, 3, 4 clins d’œil et il se met à rire. Il ne peut plus cesser. Ses yeux assassinent le monde pourtant.) Tu seras responsable des autres. Et prends bien garde à ton père. Tu sais ce qu’il en est. Veille à préserver mon esprit en cette demeure. (clin d’œil. les lèvres de Franck commencent à trembler. Il va rire. Ses yeux noircissent et s’humidifient. Puis il se mord la bouche pour ne pas s’esclaffer. Elle lui sourit. Ils se comprennent au-delà des mots. Il pleure de rire, de ne pas rire plutôt. Il la serre dans ses bras. Elle l’étreint aussi fort. Il s’en va sans se retourner et en disant : « repose-toi bien Maman. »
Demain, elle passera aux deux du milieu. Ils sont plus durs. Ils sont moins elle.
« Mon fils, je pars quelque temps. Travaille et dors mon enfant. » Elle ne sait pas quoi lui dire à celui-là. Il lui pirouette dans les mains. Il bouge. Il gigote et il tape dans le ballon. Il lui fait plein de bisous aux mains et il repart en sautillant sans attendre de suite. Elle garde avec ce gosse un sentiment d’inachèvement. Il n’est pas bien malin. Elle est sa mère. Elle a de l’intuition.
Et quelques heures plus tard, avec le crépuscule vient la deuxième. Toujours avec le crépuscule. Elle est une sombre. Ne serait-elle pas un peu sorcière ? Non non idée d’idiote ! Elle peut compter sur elle : « Ma Christ, sois la fée du logis, en mon absence. Ne t’endors pas avant que toute la maison brille.
- Mais Maman voyons, la maison ne brille jamais ! (Christ a toujours à répondre)
- Christ, n’exagère pas. Pourquoi es-tu si en colère ? N’en veux pas trop à ton père. Il fait ce qu’il peut.
- Mais je me fous de mon père, Maman ! J…
- Ne dis pas ça Christ ! Il pourrait t’entendre. Allez, commence dès ce soir. Je serai partie à l’aube. (Pour la poésie du crépuscule et de l’aube.)
Elle entend Christ marmonner : « maison de tarés. » Elle ne lui en tient pas rigueur. Ils sont invivables tous.
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