dimanche 29 janvier 2017

Piment et Patate

Mais pour l'instant, elle se réveille, Piment, tous les matins, sans états d'âme, sans rien sentir en fait, sans être vraiment quelqu'un. Elle fait les choses parce qu'elle le veut bien. Elle se sent sûrement parfaitement libre mais elle sait combien elle est prisonnière. Elle refuse d'être comme Patate, elle la méprise tant qu'elle ne la voit pas. Patate n'existe pas. Ou alors bonne à cogner et là, Purée à s'étouffer de rire. Elle ne rira à gorge déployée qu'alors. Pas avant et pas pour d'autres raisons. Elle se délivrera là d'un poids et elle rira tant que même son clan s'étonnera.
Piment oui se réveille sans états d'âme, tous les matins. Elle se fait belle. Elle doit être comme toujours la meilleure. Elle y parvient. Elle en est convaincue, apparemment et les autres la suivent. Ils bavent devant elle. Pas trop près tout de même parce qu'ils pourraient se prendre une patate. Bien plus solide et douloureuse celle-là.
Patate, elle, se lève tous les matins le ventre noué. Elle bondit du lit. Elle n'a jamais de mal à se lever. Elle n'est jamais mécontente de se réveiller mais elle a toujours peur. Il n'y a rien à faire là-dessus. Chaque jour, elle a peur. C'est d'ailleurs extrêmement bizarre que d'avoir envie, de ne pas tout faire pour se rendormir comme certains, elle en connaît, Carotte la première et tous les Poireau, et autres lascars. Elle va devoir dire et faire ce qu'il faut. Se taire ou ne pas et elle ne sait pas faire. Elle ne comprend pas comment. Elle essaye parce qu'elle a envie de parvenir à ce qu'on attend d'elle. La liberté, on l'oublie vite. N'y pensez même pas. Elle-même n'y pense pas. Elle voudrait seulement arrêter d'avoir peur. On se dit que c'est bien flou d'avoir peur de dire et faire pas comme il faut. Mais c'est pourtant très clair. Elle est toujours à côté de la plaque. Elle n'est pas comme on aime. Elle est un peu pourrie alors qu'elle n'est qu'en germe. Comme un germe pourri dans l'oeuf. C'est un sacré ou plutôt satané statut que celui-là. Elle en chie. Personne à la maison ne voit cette pourriture. Ils ne voient que le germe, le bourgeon, la fermeté de Patate qui grandit. Mais on se trompe et elle se tait. Le matin, devant ses dessins animés d'un autre temps, elle a peur et elle a raison. Aujourd'hui, je le dis encore. Elle a raison d'avoir peur, elle a raison de craindre ses proches. Ou ils ne la connaissent pas ou ils la méprisent, même hors Piment. Carotte la première bien évidemment mais ce n'est même plus le sujet. Elle est seule et elle ne comprend pas. Elle a envie comme peu sans doute d'entre eux tous. Mais elle échoue souvent. Elle se prend les pieds dans le tapis. elle croit échouer, elle se sent affalée par terre tête la première comme une imbécile. Elle ne s'accorde pas d'autre crédit. Parfois, elle reste là quelques secondes, pas davantage car elle ne sait plus comment se battre et juste comment marcher sans se casser la gueule comme une déficiente, chaque jour recommence comme si elle n'avait rien compris. Alors oui, les résultats scolaires elle maintient que cela ne veut rien dire car elle est pétrie d'incompétences. elle ne reste pas ainsi davantage, elle sait qu'elle est bite vite écrabouillée. Ce qui se passe en général reste dans le rire, pas nécessairement méchant d'ailleurs de ses proches du moment. Mais eux ne savent pas qu'elle est humiliée comme une patate prête à être mixer, prête à être purée. Ils ne savent rien. Vous me direz que Patate, elle ne risque pas d'être bien adroite. Et je vous répondrais que précisément c'est cela, tout à fait cela. Et du matin au soir. Alors, les yeux s'ouvrent et elle sait que toute la journée, elle va lutter pour comprendre comment être au mieux. Qu'elle s'endormira le soir difficilement en se refaisant le film de toutes ses erreurs qu'elle évitera de compter comme une obsessionnelle compulsive qu'elle pourrait être pourtant. Elle évitera par instinct de survie. Il ne faut pas qu'elle tombe là-dedans, il ne faut pas devenir comme d'autres qu'elle voit se perdre dans des comptages vains des faux pas et qui deviennent fous s'ils ne le sont pas déjà. Elle essaye, tant bien que mal, de ne pas être folle. Elle essaye de se fondre, pas de fondre ! attention ! et c'est tout un art qu'on soupçonne peu que de se fondre sans fondre. Elle, Patate, ne connaît que son expérience propre mais elle affirme combien c'est compliqué. Elle n'en parle pas. On ne parle pas de ça. Elle s'y refuse. On la croirait peut-être sans fierté comme ça mais non non non ! elle se bat pour. Elle se bat un peu sur tous les fronts. Un peu ou beaucoup. Elle n'a pas le choix.
Piment ne sourit pas. L'ai-je déjà dit ? Oui, me semble-t-il. Mais c'est un fait qui harcèle encore aujourd'hui ma conscience. Ne pas sourire et regarder droit dans les yeux. Elle n'y pense sans doute même pas. Sourire pourquoi ? Sourire se mérite. Sourire est un acte, un vrai. Sourire est un danger. Elle le sait. Elle reste dans le cercle des bouches closes et immobiles.
Quand on est en germe, qui plus est quand on est Patate, on ne s'approche pas, comme je l'ai déjà dit. On reste sur ses gardes. On augmente très sérieusement la distance de sécurité. Et de toute faon, Piment n'est pas intéressée. Piment attaque pour des choses qui en valent la peine, du moins non sans raison. On en revient là à notre Carotte. Ne confondons surtout pas les deux légumescentes ! Les deux jouissent de leur pouvoir. C'est évident. Elles aiment savoir qu'elles pourront faire ce qu'elles veulent quand elles veulent et que ce qu'elles font d'ailleurs depuis toujours ou presque, comme leur cerveau malade le déforme à l'envi, elles décident qu'elles font ceci ou cela parce qu'elles en sont d'accord. Non parce qu'elles en ont le devoir ou pire, l'obligation. Mais l'une a besoin d'en avoir des preuves sans cesse et encore et encore. L'autre y croit, quoi que lui dise la réalité.
Carotte ne se méfiait pas de Piment. Elle pensait ne pouvoir avoir peur de personne. Elle n'avait concrètement peur de personne. Ne parlons même pas de Piment sur ce point qui, plutôt, cherchait vainement quelqu'un à sa hauteur. Elle testait tout ce qui lui passait sous le regard et qui lui semblait lui convenir. En vain, me semble-t-il. Elle avait tout de même sa cour de celles qui méprisaient un peu moins que les autres. Comme Patate ou même Carotte. Car Carotte, bête comme ses pieds et totalement aveuglée par son ego qui n'était pas celui d'une naine pour le coup, se croyait admirée, du moins respectée par Piment. Elle la saluait, c'était pour elle le signe. Elle n'imaginait de toute façon pas autre chose. Elle ne pouvait pas imaginer qu'on ne la respecte pas. Elle ne savait pas penser qu'on la détestait ou qu'on la méprisait. Patate, jeune et verte, restait ébahie d'admiration devant cette force de caractère, cette capacité à ne pas bouger d'un iota quelles que soient les écueils qui se présentaient. Elle était comme un roc indécrottable. Et Patate précisément se sentait  la grosse merde qui se doit de demeurer à côté de cette Carotte pour que tout le monde voit combien l'autre est invincible.
Jusqu'à ce que Patate comprenne plus tard ce qu'il en était réellement. Du coté de la force et de la faiblesse. De leur inanité d'ailleurs. De leur nullité.
Aujourd'hui toujours, il y a ceux qui parlent de force et de faiblesse. Ils n'ont même pas l'intelligence ou l'honnêteté plutôt, car c'est bien de cela qu'il s'agit, d'honnêteté affective, de parler de fragilité et non de faiblesse. C'est tellement facile la faiblesse. Machin et truc sont faibles car ils n'arrêtent pas de fumer ou de boire. Machine et Bidule sont faibles car ils ne se font pas respecter par leurs enfants ou qu'ils ne trouvent pas de travail. Je serais pour une éradication totale et absolue de ces idées aussi connes que cruelles qui courent aussi vite et loin que les hommes sur toute la terre.
Un jour, Patate comprit en partie qu'il n'en était pas aussi simplement que des fors et des faibles et que Carotte qu'elle ne pouvait remettre en question, n'était pas une lumière en termes de nuances humaines. Vous me direz que ce n'est pas le la particularité de la légumescence que d'être nuancé. A juste titre. L'on peut trouver des individus en germe tout de même moins idiots que cela. Que Carotte.
Un jour donc, Patate revenait des toilettes où personne n'allait jamais car il y faisait très froid et qu'ils puaient la solitude. Elle y trouvait un repos de quelques minutes. Elle y allait seule et elle se détendait avant de repartir au combat. Revenant donc de son havre, elle longeait le mur pour ne pas se faire voir de Piment et son clan puisque ces toilettes se trouvaient à toute proximité du QG de Piment. Et c'est alors qu'elle surprit une conversation ou plutôt un monologue de Piment au sujet de Carotte. Pourquoi et comment elles en étaient arrivées là ? Elle n'en sait rien. Toujours est-il qu'elle entendit ceci :
"Carotte la crotte oui ! Et pour pas dire grosse merde ! petite conne à deux balles, gosse de riche qui se croit tout permis. Je la déglinguerais bien devant tout le monde si je le pouvais. Elle mérite des coups pour comprendre ce que c'est. Petite pute qui se fait tringler à tous les coins de rue et qui se croit belle du haut de ses 96 cm ! Mériterait tout ce qu'y a dans mes poings."
Les autres écoutaient et sourirent. Elles savaient que cela avait valeur de suggestion, au cas où l'occasion se présenterait. Aucune d'elles n'hésiterait.
Patate s'était arrêtée. Elle souriait elle aussi. Elle ne pouvait se retenir. Une onde de joie l'envahissait. Elle ne bougeait pas. Piment l'aperçut. Elle la regarda droit dans les yeux, de son regard noir. Et lui sourit à son tour. Elle était bien plus intelligente que beaucoup d'entre les gens de son âge et savait pertinemment ce qui se passait. Elle ne faisait pas de Patate une fille de son clan ni une amie. En avait-elle d'ailleurs ? Mais cela  ralluma un espoir de vengeance. De ne pas être si folle que cela. Ni si merdique.
Piment et Patate aux antipodes de l'univers n'étaient pas si lointaines. Par la suite, Elles se souriaient discrètement en passant.
La vie est une affaire d'alliances et souvent d'ennemis communs.




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