lundi 30 janvier 2017

Volée

La solitude était moins immense. Patate pouvait rentrer chez elle en sachant qu'elle n'était pas si folle, pas si faible, pas si bête. Mais il y avait des petites bêtes en elle qui s'étaient fait la place belle et qui la poursuivaient. C'est idiot de dire cela. Bien sûr qu'elle était poursuivie puisqu'elles étaient en elle. Mais là encore, ces petites bêtes qui vous rongent et grignotent votre âme ne se voient pas. Personne ne peux les voir. Personne ne les devine. Et surtout personne n'en a envie. Peut-être, drôlement, que Piment n'avait pas peur de les voir et qu'elle en avait d'autres même qui sait ? Patate était plutôt emplie de fourmis et on aurait parlé de scorpions pour Piment. Pas la même... Mais ça on ne le sait toujours pas aujourd'hui. Quoi qu'il en soit, les petites bêtes à l'intérieur n'aident pas à se sentir sain d'esprit. Et il fallait lutter fort, ne pas se regarder dans le miroir et tout oublier en rentrant chez soi pour ne pas être prise à leur piège. Patate n'avait d'autre solution que d'omettre ce qu'elle avait été du matin jusqu'à la sortie du collège. Omettre pour que la vie ne soit pas uniquement cela. Elle n'en disait rien parce qu'une fois rentrée, elle pouvait être quelqu'un d'autre, quelqu'un de presque bien. Mais une fois rentrée ou sous les yeux d'autres personnes qui ne la connaissaient pas comme ça. Qui voyaient quelqu'un d'autre. Parfois, dans certains moments, elle avait l'impression d'être une jeune fille qui réussirait.

Il y avait quand même un vrai problème, une vraie barrière dont elle crut longtemps qu'elle ne se déferait pas. Carotte s'était insinuée en elle. Il y avait les petites bêtes, mais on ne peut accuser Carotte de tout, ce serait si ce n'est injuste, du moins illogique. Les petites bêtes ne l'avaient pas attendue. En revanche, Carotte était en elle et quand le soir elle fermait les yeux pour s'endormir, elle avait peur. Pas la peur que tout le monde ressent et qu'on peut dire, qu'on peut annuler, qu'on peut raisonner et qu'on peut même finalement rire après coup. La peur de se faire voler à soi-même, la peur d'être folle, la peur de ne plus savoir qui et quoi, la peur de ne plus distinguer, de confondre la mer et le ciel, le rouge et le vert sans avoir jamais été daltonien, de s'enfoncer dans le sable pourtant pas mouvant, de voir ses jambes disparaître purement et simplement, de perdre tous les nords qu'on a pu trouver depuis la naissance, de finir par prier en hurlant dans sa poitrine à Dieu qu'il faut absolument nous sauver parce qu'il en va de la vie. Etre le jouet, être la poupée et sourire en lèvres de plastique, sans plus bouger apparemment et sans avertir. Etre le jouet qui hurle en silence, tout au creux du ventre, bien trop loin dans les entrailles du monde pour qu'on ne l'entende et sans doute, cruellement, que cela est fait exprès. Dans une prison de chair que Patate voudrait dépecer, arracher, quitte à saigner, brûler de haut en bas, pour refaire peau neuve et faire cramer au soleil la Carotte qui s'est insinuée comme une folie dans son cœur, ses poumons, ses tripes, ses organes les plus précieux.

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