dimanche 8 janvier 2017

Patate à l'ouest

Carotte n’avait ni queue ni tête. Elle était laide de l’intérieur. Laide comme un pou, comme une vieille dégueulasse. Mais le principal était qu’elle s’auto-proclamât et, chose propre à la légumescence, tout le monde l’acclamait. Tout le monde se rassurait devant son assurance. Elle ne doutait de rien. De rien. Elle avait tous les pouvoirs. Elle n’en voyait elle-même aucune limite et ne comptait pas y toucher d’ailleurs. Je crois qu’elle ne se les représentait pas. C’est peut être en cela que les Mûrs pouvaient y voir une stupide gamine difforme. D’ailleurs, plusieurs fois, moi Patate non moins difforme, j’entendais ces discours si antipodiques des nôtres, bouquets de verdures foldingues. Et le monde s’apaisait un moment. Mais je me disais qu’ils n’avaient pas toutes les données, pas tout vu ni tout compris. Qu’elle se cachait à merveille et qu’ils n’y verrait jamais la tyrannique impératrice illégitime. Ils pouvaient se moquer d’elle. Je les enviais. J’en étais absolument incapable. J’étais prise dans le tourbillon de son pouvoir. Certains, surtout les expérimentés, plus âgés, disaient d’elle qu’elle était bête, complètement idiote, au cerveau aussi petit que ses yeux de cochons. Je tentais de m’en rappeler une fois en face d’elle mais cela tombait toujours à l’eau. Je me sentais lâche et désarmée. Pourtant j’avais les outils en tête. Mais ils s’envolaient vers d’autres cieux dès qu’elle s’approchait de moi ou que moi, happée, je m’en approchais aussi. J’y retournais sans cesse, chaque jour, pour obtenir les faveurs de la reine. Je continuais le combat. Je croyais pouvoir peut-être gagner quelque chose, une miette de reconnaissance. Je ne voyais pas tout cela comme une miette. Je voyais cela comme un trésor. Et Radis Rose et Noir pouffaient sans méchanceté mais un peu désespérées de me voir courir après cela. Elles me le dirent plus d’une fois :
« Patatine, arrête ça, ça ne sert à rien. Elle n’en vaut pas la peine et tu te fais du mal pour rien. Regarde  quel état tu te mets pour ça. Viens avec nous plutôt et laisser-les se chamailler pour des conneries de gamines. Tu vaux mieux que ça. » mais mieux que quoi Mesdames Radis ? Je ne vaux rien. Elle sait tout. Elle a le pouvoir sur moi. Elle et les autres font ce qu’elles veulent de moi. Je ne suis qu’une poupée. Tu me cuisines à n’importe quelle sauce et je me laisse découper dans tous les sens. Sans un cri, sans une plainte. Parce que c’est normal. Je ne réclame pas de droit. Je n’en ai pas.
Mélodramatique et geignard à lire ? Oui. Moi aussi je le trouve.  Véridique pourtant et je ne vous conseille pas d’être une jour Patate. Vous mettrez tant d’années à vous en remettre que vous en chialerez votre mère, même morte.
Oui mais, je me sentais bien bête alors et humiliée je dois dire. Pourtant, ce n’était pas la dignité de patate qui m’étouffait. Et si, bien plus que je ne le pensais. Bref, un imbroglio de contradictions qui me tournaient la tête. J’étais prise au piège. J’étais stupide.je détestais mon cerveau, mes neurones . J’étais une imbécile. Une grosse patate qui ne pige rien à rien et qui ferait mieux de faire une croix tout de suite sur ses espoirs de reconnaissance.
Arrêter de courir après quoi que ce soit. Il n’en était pas question. Le jour où je le dis, j’y étais prête. Ce fut une libération. Ce fut aussi un cataclysme dans ma vie de Patate et de tous ceux qui m’entouraient. Donc course, cette conquête, Je ne pouvais pas m’en défaire ou j’étais définitivement perdue dans le désespoir. Mais cela, je ne le savais pas, jeune Patate crédule. Je ne savais ce qui se passait et je me taisais. Pendant ce temps-là, Sa Majesté Carotte se pavanait.
Elle avait un jeu, peut être son favori avec moi et Asperge. Les deux faiblardes. Les deux débiles du bouquet. Il y en a partout où l’on passe. Partout, ils se font déglinguer. La nature humaine, et pas seulement les frères et sœurs de Carotte, est en général prête à s’attaquer aux plus fragiles, aux plus laids, aux plus lents. Carotte en avait fait sans doute son arme de survie à elle. Je me refuse à croire qu’elle ne le faisait que pour le laisse, même si très clairement elle y prenait un grand plaisir. Le sourire immense qu’elle affichait quand elle se sentait omnipotente face à nous. Elle aurait pu qu’elle aurait joui à 66 reprises cette diablesse.

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