samedi 27 octobre 2018

Alexis Brocas, Un dieu dans la machine – Editions Phébus

Un dieu dans la machine : l'épidémie de l'esprit

Il revient avec panache dans une société qui l'avait mis de côté. Il travaille dans une entreprise dont il doit tout taire. Il aime sa fille à en risquer sa vie encore et encore. Pourquoi ? Pour qui ? Un roman de science-fiction, un roman d'aventure, un roman contemporain. Peut-être ou pas. Alexis Brocas construit un univers où tout se questionne, d'aujourd'hui jusqu'à l'infiniment grand.

      Avec « Un dieu dans la machine », l'on peut s'imaginer tant de choses. Et l'on aura raison d'imaginer ce roman prendre tant de chemins divers. Quel dieu ? Pour qui, où, quand ? Quelle machine ? Que de mots qui résonnent avec ce titre. Et aussi riche que peut être notre élucubration, l'est la narration d'Alexis Brocas.
Pour être tout de même un peu plus précis, voilà un roman proprement d'actualité.
Il s'agit de la machine, la chose qui fonctionne dans sons sens premier et qui se manipule, puis ses pouvoirs qui questionnent la main qui joue, à qui elle appartient. L'homme face à cette machine : face à elle ? avec elle ? contre elle ? L'aimer, la craindre, l'adopter, la défier, autant de questions qu'on ne peut manquer de se poser.
Il s'agit également du rapport que nous entretenons avec le réel. Le nous de tout âge, avec la particularité de l'adolescence qui mêle étroitement réel et fiction ainsi que technologie. Rien de virulent ni de véritablement dénonciateur. Interrogeant avec originalité.
      Il s'agit enfin de la relation d'un père et sa fille Emma, des mouvements de la vie qui les éloignent et les rapprochent successivement. D'un père plutôt absent puis salvateur. D'un homme blasé ou prêt à tout. Des imprévus et des schémas classiques au contraire. D'une vie qui ne se commande pas. Et par là même, de l'inquiétude tenaillante d'un parent pour son enfant. Un peu insensée. Et tout à fait inévitable, aussi rationnel que l'on tente d'être.

       Notre société est moquée. Le jeu de la mort, le spectacle et le secret en permanente concomitance, le spectacle de l'ultime combat, traversent le roman. La gladiature, finalement nommée, est ce qui définit l'ici maintenant. Alors sommes-nous bien toujours ces Romains qui attendent le verdict de leur empereur en nous délectant du spectacle des Jeux ? La réponse est peu équivoque. Le tout n'est pas de juger quiconque, ce que nous sommes, ce qu'ils furent, même si la révolte du narrateur surgit parfois, mais de ne pas non plus préjuger de notre grandeur.
     La folie des grandeurs qui nous poursuit, que nous poursuivons et qui est bel et bien la plus grande des folies. Thème on ne peut plus classique. Évidemment. De fait, toujours aussi actuelle.

     Il semble important d'évoquer plus spécifiquement la forme de ce roman. L'auteur prend le temps d'établir son univers. Un monde dont les limites avec le nôtre, soi-disant réel sont floues. Il s'efforce tout en douceur de bâtir ce monde qui prend temps et espace, s'étale et finit par nous devenir familier. Même si le héros, sa fille, son ex-femme qui nous parlent demeurent étrangement lointains. Le mystère est distillée tout en finesse. Pas de livre à suspens. On ne sursaute pas. On ne s'impatiente pas. On ne veut pas absolument savoir la suite. Mais un plomb saute dans notre tête de lecteur et une béance se rouvre. Et après ? Pourquoi donc ? C'est dans une compréhension lente, a contrario de la vitesse grand V de notre quotidien, et profonde que nous plonge Un dieu dans la machine.
     Quand l'action s'accélère, le temps et l'espace nous échappe d'autant plus. A nous lecteurs d'accepter de voir les choses nous échapper explicitement. Cachet de La Poste à l'appui.
      Alexis Brocas est hors du commun, au sens premier du terme. La narration est plus forte que les personnages. Le style est plus vivant qu'Emma et ses parents. Non qu'ils ne soient bien campés et attachants. Non, ça n'est pas cela. C'est que les vrais personnages ne sont peut-être pas ceux qu'on croit. Les humains qui peuplent son roman sont des outils de sa machine à lui. En est-il le dieu ? Pas davantage que le lecteur puisque sans lecture ici maintenant, ce roman n'existe pas dans toutes ses dimensions.
Et surtout, attardez-vous sur le style de l'écriture. Corrosif. Comique. Pudique. Tout le monde se cache et tout le monde est clair pourtant. Le style très personnel de l'auteur se jongle derrière ses mots pimentés et saugrenus. Faussement masqué et d'autant plus séduisant.
I      Il est ardu de mettre en mots une subtilité sans en faire une lourdeur. Je cesserai donc là. Lisez et vous entendrez ; l'entrechoc des images, les mots qui s'accrochent à la plus précise des prises du mur qui se dresse et les équilibres adroits qui penchent et dépenchent.


Alexis Brocas, Un dieu dans la machine – Editions Phébus – 9782752911698 - 17



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