samedi 6 octobre 2018

Mick Kitson, Manuel de survie à l'usage des jeunes filles – Editions Métailié

Quand survivre en milieu hostile est une renaissance

Mick Kitson écrit droit dans les yeux. La misère, la violence, l'extrême de l'enfance au bord du gouffre. Et, pas de pleurs dans les chaumières. La survie de l'intérieur où les larmes n'ont plus cours depuis longtemps.

         Tout l'enjeu est de survivre. Non survivre à une épreuve que l'on dit nomme aisément. Il s'agit là pour Sal et Peppa, respectivement dix et treize ans de survivre au sens strict. Elles doivent couper du bois, correctement, faire du feu, sans fumée, se cacher, toujours. Un récit pragmatique sur les préoccupations du survivant en pleine nature écossaise, au début de l'hiver lance donc ce Manuel de survie à l'usage des jeunes filles. On se dit que le titre ne nous a pas menti et qu'en effet, l'on se trouve bien au cœur d'un manuel, avec des règles à suivre et une rationalité à ne pas perdre malgré les épreuves :« Survivre se résume en grande partie à prévoir, prendre le temps de réfléchir, prévoir [...] » (p.101). Une aventure qui ne prend jamais l'aspect d'une expédition émerveillée malgré la bonne humeur de Peppa. Il s'agit de survie, ne l'oublions pas. Mais voilà tout de même, un peu indécemment, pour le lecteur l'occasion de découvrir la nature écossaise dans sa rudesse parfois magique et un monde de sensations s'ouvrent à qui le veut bien.
        Peu à peu quelques éléments de la vie d'avant, avec m'man et Robert nous parviennent. Puis de plus en plus. Mais Sal est pudique et est une guerrière. Elle pense à la survie. Quand sa tête désobéissante, pas toujours aussi rationnelle que prévu, ne l'oblige pas à s'inquiéter pour m'man. Mais les souvenirs reviennent tenaces. Ceux de cette vie répugnante de solitude et de misère. Une m'man qui... mais lisez-le donc et vous saurez de quoi il en retourne. Votre cœur lui en sera retourné. Sans aucun doute. Heureusement, elles sont là toutes les deux, Sal et Peppa et se tiennent vives mutuellement. Une magnifique relation sororale se joue ici. Aussi bien dans les souvenirs que dans la survie en pleine forêt, Sal et Peppa s'aiment sans limite et sans jamais se le dire ni ne l'exprimer autrement que par les actes. D'une pudeur poignante, dans cet environnement où l'émotion a peu de place, la grande sœur est un roc qui protège sa cadette contre tout, absolument tout et Peppa croit et dit que Sal sait tout. Elle a dix ans, elle n'a plus l'âge d'y croire. Mais le besoin vital oui. Et elle sait que Sal répondra présente. Elle peut encore rêver à ça. Alors quand elle ne sait pas, Sal ment, pour que Peppa ne cesse de rêver. Et elle porte le monde, en enfant ravagée « immobile comme une pierre », comme elle le dit souvent des autres.
        Il y a toute cette misère mais nous ne sommes pas dans un roman de Dickens. Les belles personnes ne peuvent pas non plus être évitées : Ingrid, ancien médecin, aux allures de sorcière tapie dans les bois, vient construire à ces enfants perdues le cocon, bref mais salvateur, qui leur a manqué. Et adulte et enfants reprennent leur juste place. Une petite parenthèse de paradis ?

       Le récit a le ton de l'enfance, une désinvolture un peu bravache, ponctuée d'angoisses bien sûr, mais aussi le ton de l'habitude de la violence. Après le rire spontané dû à l'effet de décalage, quelque chose d'effrayant surgit. Cette froideur enfantine glace le sang. Et pourtant elle est la clef de la survie.
Les vies s'entremêlent dans le récit. Les récits, du passé, ceux du présent, les vies des unes et des autres, l'Histoire aussi. D'une survie démunie, une richesse se fait jour.


Mick Kitson, Manuel de survie à l'usage des jeunes filles – Editions Métailié – 9791022608008 - 18



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