Quand
survivre en milieu hostile est une renaissance
Mick
Kitson écrit droit dans les yeux. La misère, la violence, l'extrême
de l'enfance au bord du gouffre. Et, pas de pleurs dans les
chaumières. La survie de l'intérieur où les larmes n'ont plus
cours depuis longtemps.
Tout
l'enjeu est de survivre. Non survivre à une épreuve que l'on dit
nomme aisément. Il s'agit là pour Sal et Peppa, respectivement dix
et treize ans de survivre au sens strict. Elles doivent couper du
bois, correctement, faire du feu, sans fumée, se cacher, toujours.
Un récit pragmatique sur les préoccupations du survivant en pleine
nature écossaise, au début de l'hiver lance donc ce Manuel de
survie à l'usage des jeunes filles. On se dit que le titre ne
nous a pas menti et qu'en effet, l'on se trouve bien au cœur d'un
manuel, avec des règles à suivre et une rationalité à ne pas
perdre malgré les épreuves :« Survivre se résume en
grande partie à prévoir, prendre le temps de réfléchir, prévoir
[...] » (p.101). Une aventure qui ne prend jamais l'aspect
d'une expédition émerveillée malgré la bonne humeur de Peppa. Il
s'agit de survie, ne l'oublions pas. Mais voilà tout de même, un
peu indécemment, pour le lecteur l'occasion de découvrir la nature
écossaise dans sa rudesse parfois magique et un monde de sensations
s'ouvrent à qui le veut bien.
Peu
à peu quelques éléments de la vie d'avant, avec m'man et Robert
nous parviennent. Puis de plus en plus. Mais Sal est pudique et est
une guerrière. Elle pense à la survie. Quand sa tête
désobéissante, pas toujours aussi rationnelle que prévu, ne
l'oblige pas à s'inquiéter pour m'man. Mais les souvenirs
reviennent tenaces. Ceux de cette vie répugnante de solitude et de
misère. Une m'man qui... mais lisez-le donc et vous saurez de quoi
il en retourne. Votre cœur lui en sera retourné. Sans aucun doute.
Heureusement, elles sont là toutes les deux, Sal et Peppa et se
tiennent vives mutuellement. Une magnifique relation sororale se joue
ici. Aussi bien dans les souvenirs que dans la survie en pleine
forêt, Sal et Peppa s'aiment sans limite et sans jamais se le dire
ni ne l'exprimer autrement que par les actes. D'une pudeur poignante,
dans cet environnement où l'émotion a peu de place, la grande sœur
est un roc qui protège sa cadette contre tout, absolument tout et
Peppa croit et dit que Sal sait tout. Elle a dix ans, elle n'a plus
l'âge d'y croire. Mais le besoin vital oui. Et elle sait que Sal
répondra présente. Elle peut encore rêver à ça. Alors quand elle
ne sait pas, Sal ment, pour que Peppa ne cesse de rêver. Et elle
porte le monde, en enfant ravagée « immobile comme une
pierre », comme elle le dit souvent des autres.
Il
y a toute cette misère mais nous ne sommes pas dans un roman de
Dickens. Les belles personnes ne peuvent pas non plus être évitées :
Ingrid, ancien médecin, aux allures de sorcière tapie dans les
bois, vient construire à ces enfants perdues le cocon, bref mais
salvateur, qui leur a manqué. Et adulte et enfants reprennent leur
juste place. Une petite parenthèse de paradis ?
Le
récit a le ton de l'enfance, une désinvolture un peu bravache,
ponctuée d'angoisses bien sûr, mais aussi le ton de l'habitude de
la violence. Après le rire spontané dû à l'effet de décalage,
quelque chose d'effrayant surgit. Cette froideur enfantine glace le
sang. Et pourtant elle est la clef de la survie.
Les
vies s'entremêlent dans le récit. Les récits, du passé, ceux du
présent, les vies des unes et des autres, l'Histoire aussi. D'une
survie démunie, une richesse se fait jour.
Mick
Kitson, Manuel de survie à l'usage des jeunes filles –
Editions Métailié – 9791022608008 - 18€
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