lundi 29 octobre 2018

Antoine Wauters, Pense aux pierres sous tes pas – Editions Verdier

Pas à pas, pierre à pierre, survis et peut-être un jour...


Pense aux pierres sous tes pas : une dystopie tranchante où l'enfance se permet la folie, la seule qui sauve. Nos normes, nos règles volent en éclat et Léo et Marcio, les jumeaux, nous tiennent fort la main pour nous conduire dans ces méandres de malheurs ineffables, émerveillements, renouveau. Ne pensons nous aussi qu'aux pages sous nos yeux, petit à petit.

         Pense aux pierres sous tes pas, une pierre après l'autre, un pas après l'autre. Ne regarde pas plus loin ni plus haut. Ne regarde pas l'horizon. Il a disparu. Ou n'a peut-être jamais été.
C'est suivant ces préceptes que Marcio et Léo vivent dans la ferme misérable de leurs parents. Ils travaillent tous les quatre du matin au soir, sans récompense, sans plaisir et surtout sans amour. Madame regrette sa maternité chaque jour davantage et Monsieur hurle et frappe. Madame ne s'en prive pas du reste. Les jumeaux, à défaut d'être aimés des adultes, s'aiment de toutes leurs forces d'enfant. Ils s'aiment plus que de raison. Mais où est passée la raison ? Ils n'ont qu'eux à aimer et se serrent le plus fort possible pour encore avoir envie de vivre. La misère, la pauvreté, l'épuisement, la dictature, le désespoir partout sauf si l'on regarde juste les pierres sous ses pas et que l'on aime son frère ou sa sœur d'amour fou.
        L'on peut se dire que mettre en scène deux enfants, gémellité à l'appui, toujours un peu fascinante, maltraitance (terme tout à fait inadéquat dans cet univers mais c'est celui qui nous aide nous lecteurs d'ici maintenant à entendre la blessure) des enfants, des adultes, vie sans issue, et l'amour que quelques personnages portent et qui traverse le désespoir , l'on peut dire que tout cela annonce un roman bien pathétique voire peace and love mélodramatique. Bref, un roman baveux de bons sentiments à grands renforts de douleurs. Et pourtant, malgré ce risque que prend Antoine Wauters, risque certain, Pense aux pierres sous tes pas ne tombe jamais dans cet écueil. Jamais. L'écriture est sans blablas, sombre, violente, de cette banale violence qui laisse coi. Le thème est potentiellement doucereux. Le façonnage en est proprement rugueux.
Et à chacun, s'il est honnête, d'y reconnaître la violence, le mal banal de l'existence.

       Dans cet univers dystopique d'abord puis en métamorphose par la suite, de nombreuses problématiques sont abordées. On les entend d'emblée. Elles ne sont pas cachées. L'auteur ne perd pas son énergie à masquer ses intentions. Il est transparent. Et cela n'empêche pas le roman de véritablement en être un, qui nous entraîne avec des personnages qui tournent la tête parfois.
La misère qui engendre la misère, l'anormal-normal catégorie fictives et nécessaires à nos têtes pensantes, l'instinct de survie que nous éprouvons souvent peu de nos jours mais qui se terre là, le monde à l'envers qui pourraient nous pendre au nez. Antoine Wauters nous claque son univers et le fait survivre puis muer devant nos yeux incrédules.

         Un accent sur l'écriture de l'enfance mal-aimée. Pas de bêtises revendicatrices. Mais deux enfants qui rivalisent avec Rémi sans famille et Oliver Twist et pourtant ne nous font jamais pleurer. Leurs tours de passe-passe pour sauver des miettes de plaisir et de joie. L'auteur écrit l’ambiguïté folle des relations et du rapport au monde quand « en tant qu'enfant, vous ne mesurez jamais à quel point votre vie est sinistre. » (p.69) Les yeux sur les pierres et le nez dans le guidon. Un mélange de malheur indéniable et de bonheur véritable se construit au fil des pages sans qu'on puisse en démêler l'écheveau. Mais il n'y a rien à démêler. Cette justesse de l'équivoque. Le flou absolu qui ne se défloute pas mais s'observe et se partage.

         Dans cet indéchiffrable, le narrateur surgit de temps à autre, avec les notes de bas de page pour prédilection, et dénorme aussi notre lecture.
Ce roman effondre notre monde.


Antoine Wauters, Pense aux pierres sous tes pas – Editions Verdier – 9782864329879 - 15

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