Pas
à pas, pierre à pierre, survis et peut-être un jour...
Pense
aux pierres sous tes pas : une dystopie tranchante où l'enfance
se permet la folie, la seule qui sauve. Nos normes, nos règles
volent en éclat et Léo et Marcio, les jumeaux, nous tiennent fort
la main pour nous conduire dans ces méandres de malheurs ineffables,
émerveillements, renouveau. Ne pensons nous aussi qu'aux pages sous
nos yeux, petit à petit.
Pense
aux pierres sous tes pas, une pierre après l'autre, un pas après
l'autre. Ne regarde pas plus loin ni plus haut. Ne regarde pas
l'horizon. Il a disparu. Ou n'a peut-être jamais été.
C'est
suivant ces préceptes que Marcio et Léo vivent dans la ferme
misérable de leurs parents. Ils travaillent tous les quatre du matin
au soir, sans récompense, sans plaisir et surtout sans amour. Madame
regrette sa maternité chaque jour davantage et Monsieur hurle et
frappe. Madame ne s'en prive pas du reste. Les jumeaux, à défaut
d'être aimés des adultes, s'aiment de toutes leurs forces d'enfant.
Ils s'aiment plus que de raison. Mais où est passée la raison ?
Ils n'ont qu'eux à aimer et se serrent le plus fort possible pour
encore avoir envie de vivre. La misère, la pauvreté, l'épuisement,
la dictature, le désespoir partout sauf si l'on regarde juste les
pierres sous ses pas et que l'on aime son frère ou sa sœur d'amour
fou.
L'on
peut se dire que mettre en scène deux enfants, gémellité à
l'appui, toujours un peu fascinante, maltraitance (terme tout à fait
inadéquat dans cet univers mais c'est celui qui nous aide nous
lecteurs d'ici maintenant à entendre la blessure) des enfants, des
adultes, vie sans issue, et l'amour que quelques personnages portent
et qui traverse le désespoir , l'on peut dire que tout cela annonce
un roman bien pathétique voire peace and love mélodramatique. Bref,
un roman baveux de bons sentiments à grands renforts de douleurs. Et
pourtant, malgré ce risque que prend Antoine Wauters, risque
certain, Pense aux pierres sous tes pas ne tombe jamais dans
cet écueil. Jamais. L'écriture est sans blablas, sombre, violente,
de cette banale violence qui laisse coi. Le thème est
potentiellement doucereux. Le façonnage en est proprement rugueux.
Et
à chacun, s'il est honnête, d'y reconnaître la violence, le mal
banal de l'existence.
Dans
cet univers dystopique d'abord puis en métamorphose par la suite, de
nombreuses problématiques sont abordées. On les entend d'emblée.
Elles ne sont pas cachées. L'auteur ne perd pas son énergie à
masquer ses intentions. Il est transparent. Et cela n'empêche pas le
roman de véritablement en être un, qui nous entraîne avec des
personnages qui tournent la tête parfois.
La
misère qui engendre la misère, l'anormal-normal catégorie fictives
et nécessaires à nos têtes pensantes, l'instinct de survie que
nous éprouvons souvent peu de nos jours mais qui se terre là, le
monde à l'envers qui pourraient nous pendre au nez. Antoine Wauters
nous claque son univers et le fait survivre puis muer devant nos yeux
incrédules.
Un
accent sur l'écriture de l'enfance mal-aimée. Pas de bêtises
revendicatrices. Mais deux enfants qui rivalisent avec Rémi sans
famille et Oliver Twist et pourtant ne nous font jamais pleurer.
Leurs tours de passe-passe pour sauver des miettes de plaisir et de
joie. L'auteur écrit l’ambiguïté folle des relations et du
rapport au monde quand « en tant qu'enfant, vous ne
mesurez jamais à quel point votre vie est sinistre. » (p.69)
Les yeux sur les pierres et le nez dans le guidon. Un mélange de
malheur indéniable et de bonheur véritable se construit au fil des
pages sans qu'on puisse en démêler l'écheveau. Mais il n'y a rien
à démêler. Cette justesse de l'équivoque. Le flou absolu qui ne
se défloute pas mais s'observe et se partage.
Dans
cet indéchiffrable, le narrateur surgit de temps à autre, avec les
notes de bas de page pour prédilection, et dénorme aussi notre
lecture.
Ce
roman effondre notre monde.
Antoine
Wauters, Pense aux pierres sous tes pas – Editions Verdier –
9782864329879 - 15€
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