Elle la voit là dans son lit, pas vraiment inerte et vraiment vulnérable. Elle regarde ce corps qui a été si fier. Il n'est là plus le meilleur. Il n'est mieux que personne. Elle voit avec jouissance le mythe s'effondrer et elle s'avance vers le lit, sourire aux lèvres.
La mère sourit en retour. Avenante. Avenante…
Elle a poussé tiré loin d'elle contre elle ses enfants comme elle l'entendait. A son bon vouloir. Juste le sien, grand, son immense et sacro-saint bon vouloir. Egoïste, suprême, cheffe incontournable de.., elle a pris, elle a jeté les yeux comme des… , non comme ses objets périssables, remplaçables.
Aujourd'hui, elle n'est plus en mesure de, elle doit sourire à ses visiteurs.
Elle sa fille n'est pas venue pour bavarder ni pour doucement bercer la mourante. Elle est venue pur admirer. Le spectacle inédit de sa mère déconfite. Elle s'amarre au pied du lit d'hôpital. Ne s'approche pas, surtout, d'une quelconque tête. Elle a les deux mains bien accrochées. Bien mises. Bien sages. Menteuses. Et elle sourit d'aise. L'autre s'y méprend encore. En fait, la fille se fiche de ce qui lui revient du miroir qu'on lui tend. Elle n'est plus qu'elle.
Pour la première incroyable fois, elle n'est que ce qui grouille en elle. Elle comprend sans doute mieux que jamais ce tas d'os informe. Ici. Là. Elle est parfaitement immobile. Parfaite. Elève modèle jusqu'au bout. Tout dépend du bout. Elle ne fait rien de mieux que cela. L'élève modèle se forge son déguisement, sans le savoir et malgré lui. Pourtant c'est sans doute ce déguisement-là qui la servira le mieux. Derrière son apparence d'inoffensive crétinerie, elle rit de plaisir face à cette maîtresse cannibale. L'autre n'y voit que du feu : elle ne s'est jamais cachée de rien. Fière, fière et fière. Dame de fer en putréfaction, Mon Dieu, quelle déchéance !
La fille sourit car bientôt, elle n'aura plus de mère. Ce qui se dit tel. Qui est écrit. Officiel. Elle sera libre. Encore plus libre. La grande folle de sa vie aura cessé de respirer.
Elle restera imperturbable. De marbre. Souvent, elle n'est qu'un automate et cela la surprend. Alors, elle se laisse animer quelques minutes parce qu'au fond tout ça ne lui est pas égal. Rien ne lui est égal, à la sage et impassible petite écolière crétine.
Là réside tout le problème. Et mieux vaut le marbre que le feu.
Mais aujourd'hui, pourquoi continuer d'avancer masquée ? La folle moribonde n'en pipera mot. La force de l'habitude. Sans aucun doute. Mais elle, tout de même, elle cherche quand même quelques mots qui suffiront à tout briser : la grâce, le calme, la folie. Elle ne s'en cache pas et ne s'en est vraiment cacher : elle la brisera. Elle attendait son heure. La voilà qui gongue.
Son sourire s'épanouit sur son doux visage et apparaissent ces canines vampiriques insensées que personne n'a jamais réussi à intégrer au tableau. Aujourd'hui, elles luisent de mille feux.
Bien sûr, elles sont toujours là.
Bien sûr, pas davantage aujourd'hui qu'hier. Sauf que les voilà qui ne s'invisibilisent plus.
Les chiens ne font pas des chats.
Elles jouent les stars. Le podium s'offre à elles, les laissées-pour-compte. Voilà qu'elles peuvent s'exhiber, pointer et menacer comme elles en ont toujours rêvé.
Elle sourit de toutes ses dents et la mère se sidère comme une proie qui enfin saisit. Son visage sans failles se fige. La petite fille sage sera la dernière.
Les mains toujours rigoureuses sur la barre du lit, elle sourit. Et plus elle fend sa face de sa joie inédite, plus l'autre s'étrécit. Pour n'être plus qu'une fente. Stupide. Inutile. Toute sa vie, elle a attendu cette chute cette aspiration, de l'intérieur.
Peu à peu, la vieille se ride encore davantage. Ses joues se creusent jusqu'à l'os. Ses yeux s'enfoncent dans les orbites squelettiques. Elle doit faire vite avant que le cœur ne s'enroule en hérisson, truffe au fond des abymes. Irrespirante.
"Crève que je vive, Folcoche."
Les yeux toujours plus profonds ont un dernier sursaut, un sursaut bouffon qui voudrait répliquer. Mais le cœur-hérisson est en marche. La peau colle au corps qui n'en est plus un. La carcasse surgit de toutes parts.
Elle ne bouge pas d'un pauvre pouce. Elle la voit mourir enfin.
Tout mouvement cesse. Elle détache ses mains et range ses belles dents sanguinaires. Elle sort de la chambre. Elle croise une infirmière : "un décès chambre 666."Et sans s'arrêter repart plus sereine que jamais.
Dans la rue, elle sourit aux larmes, pleine de deux flamboyantes canines.
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