vendredi 21 novembre 2014

Temps (2)

            Limites de l’existence à deux. Limites de l’autre qui m’arrêtent dans mon questionnement effréné des conventions sociales. Je hais ces règles qu’on dit sociales, que je trouve tout aussi religieuses que les sacrées. C’est une foi immense et faussement rationnelle qu’on voue à la fidélité dans le couple, à l’éternel engagement, et j’en passe. Bien entendu qu’elle a été jusqu’à très récemment chrétienne. Je crois qu’elle l’est toujours. Et qu’on a beau se dire athée et loin du monde de Dieu, on a foi en la fidélité quand on se marie pour la vie à une unique personne. Une foi qui n’est pas nécessaire.
Elle n’est en rien nécessaire, si l’on prend le recul angoissant d’un relativisme même minime.
Il en allait ainsi pour moi jusqu’à récemment. Et puis, je me retrouve à admettre ces limites que j’ai tant décriées.
Que les limites protègent et endiguent les débordements internes désastreux pour tout le monde, je n’en doute plus depuis longtemps. Je m’en suis fixée moi-même, des absolument restrictives pour être sûre d’être bordée au plus près. Cela n’a pas été heureux, maladroit, immature et j’y ai eu exercé ma liberté. Ce n’est qu’avec quelques années de recul que j’ai compris combien ces limites avaient été salutaires. Elles ont fait tuteur alors que j’étais prête à exploser d’angoisse et de rage.
Donc, est acquis depuis belle lurette le pouvoir apaisant des limites, même ! et surtout, dirais-je presque, fixées par les autres. Non pas que je me sois muée en une sacrée masochiste. Mais quelle délivrance de ne pas avoir à me soumettre à ma propre volonté qui est la pire des sorcières que je connais quand on lui octroie un quelconque pouvoir. Une folle ! Celle des autres est souvent bien plus raisonnable et la mienne se calme au vu du troupeau très loin là-bas de ses exigences maladives à elle. Et elle sait, d’expérience, que si elle n’en fait vraiment qu’à sa tête, cela finira mal.
Mais, en cours d’acquisition (la vie et l’école, cela vaudrait la peine d’une immense réflexion, d’autant plus dans le pays de l’Education Nationale et ses décalages presque psychotiques) la valeur libératrice de ces limites. Je n’étais pas prête à être libérée et me trouvais mieux prisonnière jusqu’à présent, c’est tout à fait possible. Ou alors, je préférais ma propre tyrannie plutôt que les règles strictes mais saines venues des autres.
Ma tyrannie m’est connue, ma tyrannie m’appartient encore. Elle est davantage que moi que tout ce que l’autre m’imposera. Ce que l’autre m’impose m’est d’emblée tyrannie. Qui plus est quand il s’agit d’une règle. Tout est mieux venant de moi plutôt que venu de l’autre. Je n’attrape que du bout des doigts ce que les autres me font partager comme valeurs et règles de vie, je ne me fie à rien ni à personne.
Aucun de mes congénères n’est digne de confiance.
Sommeille en chacun d’eux un répugnant dictateur.
Je ne m’approche pas de la bête.
Je reste à la surface de ses valeurs et principes.
J’approfondis tout le reste si l’on veut.
Je disparais si l’on m’explique la vie et ses règles.
Je m’évanouis abracadabrante si on me suggère de belles lois
Jusqu’au jour où on s’aperçoit qu’on est tyran pour les autres, soi aussi.
On ne voulait pas le croire.
On se disait trop consciencieuse, comme toujours.
Trop coupable.
Trop exigeante une nouvelle fois.
Mais quelqu’un d’avisé me l’a dit.
Sans colère.
Désolée.
Et surtout déçue
Le coup de massue.
Les étoiles qui valdinguent tout.
On s’était juré de ne jamais être de ceux-là.
On avait juré sur sa propre vie de n’être jamais un autoritaire.
On avait cru que c’était possible.
On s’est monumentalement crouté.
Non pas que je préfère être victime que bourreau après avoir découvert ma répugnante hétéro-dictatrice. (Contre moi-même, je la pratique depuis trente et quelques années. Elle m’est familière.) Mais signe que je ne suis pas moins dangereuse que les autres. Par conséquent, ils ne sont pas si dangereux que j’ai continué de le dire depuis que je suis en colère. (Ca fait un bail…) Egalisation du terrain, nivellement de la dangerosité supposée des divers individus.
Alors, quand j’ai accepté (c’est tout frais) de me laisser manipuler par l’autre, j’ai cru m’enfoncer dans le même trou que l’enfant-poupée, l’enfant-objet que j’ai toujours eu le sentiment d’être. J’ai en réalité passé un tunnel inquiétant, rétrécissement de la route, un moment d’étroitesse et diminution momentanée d’oxygène. Mais non de l’horizon à la sortie du noir. Non plus du ciel. Oui sans doute rétrécissement de l’infinité, toujours à perte de vue à chaque pas. Mais à perte de vue à chaque pas, c’est le désert et l’égarement au final. Des portes et des murs qui structurent un espace et l’animent, même s’ils sont aussi des contraintes. La liberté sans obstacles est une monstrueuse contrainte : la dépression et l’estomac brûlant.

Se laisser manipuler au sens propre et à tous les sens figurés.
Se laisser tirer par les ficelles en essayant au maximum de relâcher ses muscles.
Se laisser manipuler, d’abord, par le kiné. Je le paye, je serais sans doute moins méfiante.
Se laisser manipuler par la personne qu’on aime.
Et tenter de faire vraiment confiance.
De poser les organes, tous et toutes, dans leur place attitrée, sans décalage crispé ou contrôleur.
Et là, lorsque tout le monde s’imbrique, tout est plus lourd et plus léger.
Le sentiment d’être et que le temps n’est qu’une idée.
Il n’est pas qu’une idée mais tellement être qu’il n’a plus d’importance.
Lui aussi, le temps, est aux plus lourd et léger.
Il s’assoit entre deux dents de fourchette et vogue plus souplement, sans cul serré puisqu’il sait qu’il sera bien arrêté quand il le faut.

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