Le temps qui bat chaque minute lentement désespérément. Je regarde et sens chaque longue minute se finir.
Et la suivante commencer.
Et s’enrouler sans fin comme un énorme papier toilette. Ceci dit, combien on aimerait que le papier toilette n’en finisse jamais. Ne s’épuise jamais. Et qu’en revanche, les minutes et secondes courent ou traînent comme on veut. J’éprouve le temps, j’ai toujours éprouvé le temps, comme infiniment identique. D’aucuns le voient filer, d’autres le trouvent long. Il se faufile dans les failles d’une vie.
J’ai toujours blâmé le temps comme une divinité puissante et asservissante. De manière quelque peu excessive et consciente de l’être. Je me sentais bien un peu païenne et antique dans ce fantasme récurrent. Mais cela me correspondait trop pour que je l’évince.
Je me suis toujours sentie persécutée par le temps.
Cela m’a toujours permis de ne surtout pas me confronter plus d’une milliseconde au gouffre de l’éternité.
Cela m’a permis de me croire lente à vivre et mourir.
Le cours de philosophie consacré au temps a été le plus détestable. J’ai presque tout aimé de cet enseignement. Sauf le Temps. Et la Liberté. Allez comprendre !
Ou pas, puisque c’est évident.
J’ai découvert hier la clef de quelque chose. Je ne m’y attendais pas donc je ne sais pas ce qu’elle ouvre véritablement.
Sinon qu’elle desserre l’étau du temps.
Des limites, une heure et puis une autre et à l’intérieur tu le laisses faire, tu ne le retiens pas ni le jettes nulle part. Ta fourchette et tes deux extrêmes et entre les deux, advienne que pourra et voudra.
C’est-à-dire, soyons clair :
Non à toutes les limites que je ne comprends pas intensément. (Et moi non plus je ne sais pas précisément ce que signifie dans ma bouche « comprendre intensément ». Mais il y a une pointe d’exhaustivité là-dedans, c’est sûr.)
Non à toute contrainte qui m’empêche de penser. (Même si elle pourrait éviter de m’angoisser, disent certains. Ce qui revient à une absurdité puisque ce n’est pas que je pense en vue de m’angoisser. Idée très répandue, n’est-ce pas ? Je pense pour apaiser l’angoisse. L’angoisse était là bien avant. Alors laissez-moi donc penser pour être au calme. Bref.)
Non à toutes ces règles sociales, de soi-disant respect qui sont de purs principes, de purs arbitraires. (C’est vrai, je l’avoue, j’en ai pris un sacré coup et j’ai été grandement soulagée, aussi, lorsque j’ai appris que l’on parlait de l’arbitraire du signe langagier. Je ne saisis qu’aujourd’hui, quinze années plus tard pourquoi. Aujourd’hui, j’en accepte certaines parce que mon autre me le demande, parce que son amour en dépend. (J’ai d’ailleurs aussi toujours affirmé que je ne changerai rien à ma pensée, mes valeurs et tout le tralala par amour ; oui à l’issue d’un raisonnement, sûrement pas par amour. Là encore, je reviens sur ce fait.) )
Voilà comment j’ai attrapé le réel jusqu’à présent, sans jamais être une révoltée. C’étaient des tas de Non dans ma tête et mes actes, sans m’en rendre compte. Je n’ai remué aucune merde vraiment sciemment. Je n’ai soulevé au-dessus des têtes et menacer qu’à la force de ma colère, vite retombée.
Et me voilà donc, j’en arrive à ce fameux sujet de la fourchette et de ses dents. La dissection, la séparation (et sans aucun doute la mort dans ma tête, raccourci bien simpliste ; je m’en veux), la délimitation. Et absolument tout ce qui en découle : l’organisation, la rectitude, la ponctualité, la fidélité, l’honnêteté, la confiance… L’ordre d’une vie tient dans une fourchette.
Je me suis toujours rapprochée prudemment des cuillères, beaucoup plus accueillantes.
Bien moins matures.
Mais j’ai compensé ardemment, à coups de mots et écritures.
Depuis hier, me voici planant vers la fourchette et son intransigeance. (Là encore, soyons précis : l’intransigeance des limites et de la fourchette sont absolument visibles ; la cuillère et ses rondeurs plus suaves, non moins intransigeantes.)
Parce que, pourquoi ? parce que depuis hier, j’ai trouvé une clef : j’ai lâché la laisse du toutou indomptable. Et il ne s’est pas échappé ni ne m’a assommé de ses lourdes secondes. Pas que j’en avais peur, pas du moins consciemment. (Mais cela devait bien quelque part au lointain me terrifier subtilement.) Mais je n’avais jamais pensé à le laisser en liberté. (Ca sert à quoi donc de penser tout le temps si c’est pour omettre l’obvie !) (On en revient au point de départ des cours de philosophie.)
Il s’est ébroué et déjà mes nerfs ont dansé la java. Le thorax s’est ouvert, comme la Mer Rouge , aussi miraculeux. oui oui Messieurs Dames, pas moins que ça !
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