dimanche 1 septembre 2013

Avec le coeur

Tous les deux, tous les quatre, tous les six, des dizaines en grappes.
Ils tournoient en auréole autour de son esprit affolé.
Elle essaye depuis des mois d'en faire ses alliés, de les apprivoiser, de les croire gardiens de son avenir.
Elle essaye de tout son coeur de ne pas les haïr de ne pas les honnir agonir et cracher. Elle veut réussir à se laisser enrôler dans la sève familiale. Elle veut faire partie. Elle a ravalé son aigreur, ses douleurs, ses immenses colères, son coeur décousu recousu maintes et maintes fois. Elle lui a ordonné de rester tranquille, de ne plus faire régner sa terreur, d'obéir à la loi universelle ; pour une fois. Il s'est offusqué, il a retroussé les lèvres de mépris, il a prévu la chute et la déception, puis il s'est barricadé implacable mais calme. Elle en a été satisfaite. Elle avait les mains libres.
Elle a respiré, profondément comme on lui a appris et dit que c'était ce qu'il fallait faire. Elle a suivi les conseils, elle a écouté ce qu'elle avait toujours récusé jeté au trou. Ca a fonctionné, elle s'est félicité, elle allait peut-être enfin y parvenir.
Et puis, elle a baissé la garde pour se laisser prendre et caresser par les les longues tentacules de la plante originaire. Les feuilles et lianes se sont glissées tout autour de son corps et même à l'intérieur. Elle s'est laissée faire, elle y a trouvé un certain plaisir, elle s'est trouvée remplie enfin.
Elle avait toujours été lourde de fautes et péchés sans cesse rejoués, indigne de ce qu'on lui avait offert. Elle était des leurs désormais.
Mais le coeur n'y était pas. Il n'a pas cédé. Pas une seule seconde il n'a autorisé son territoire aux nouveaux venus. Elle est passé outre. Elle a essayé de l'amadouer, de le dérider, de négocier. Il est resté buté. Elle n'en a pas non plus démordu.
Jusqu'au jour où elle est retombée dans le canyon de l'angoisse qui délie, poliment, en réalité brise en mille morceaux sans pitié, écrase consciencieusement, détruit à bout de souffle comme une chienne-boa.
Toute la nature a brûlé en un instant, l'armure ferrailleuse de retour. Seule, lourde, difforme de culpabilité et d'indignité.
L'enfant que personne ne voudrait avoir jamais eu, l'horrible preuve vivante de la tare héréditaire. On essaye de la perfectionner, de la soustraire à son destin de témoin de la lignée.
Mais, on le sait tous : il faut bien en sacrifier. On n'aime pas voir ce qu'elle dit, ce qu'elle fait, ce qu'elle reflète. On en a honte, on a honte pour elle et pour soi, on est désespéré de cette fatalité qu'on a combattu avec tant de volonté et de hargne et qu'elle expose avec tant d'impudeur.
Elle sait tout ça, elle sait qu'elle fait mal, qu'elle fait pleurer, qu'elle crève le coeur et les yeux. Elle imagine tous les jours les morts se réunir sur son cas et établir une nouvelle stratégie. Elle imagine les vivants inquiets soucieux, sourcils froncés, démunis et meurtris pour et par elle. Elle fait semblant d'être fière et d'aimer ce qu'elle est devenue.
Parce que personne ne peut faire autrement s'il veut continuer à vivre.
On y croit et on se dit que Mon Dieu, elle pourrait au moins faire semblant, comme on la fait avant elle. Mais elle est insouciante et elle se croit capable. On la prévient, on l'avertit une main paternaliste sur l'épaule, on lui dit de ne pas oublier qu'elle est bien fragile face au monde, peut-être pour dire qu'elle n'y a pas gagné sa place et que tous les jours que Dieu fait, il lui faudra prouver au moindre passant qu'elle a le droit d'être là.
La sève n'est plus que la sienne solitaire et sans fonds. Ils sont redevenus ennemis, juges, balayeurs de sa vie.
Le coeur sort de son boudin et il l'enlace. Il n'est pas fier d'avoir eu raison. Secrètement, il aurait voulu se tromper et pouvoir exploser de colère et de soulagement. Il la berce doucement jusqu'à ce que les sanglots s'apaisent et qu'elle tombe dans son éternel sommeil spastique.
Elle réessaiera. Il voudrait lui aussi être à ses côtés la prochaine fois et se montrer.
Mais lui aussi il a encore trop honte.

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