mardi 18 février 2014

Gymnastique nuitamment (42)

On croirait qu’ensuite les dilemmes et combat s’évanouissent. Que nenni mes bonnes gens ! La nuit du 28 est une nuit d’agité. Elle n’est pas encore laissée tranquille par les affreux du jour. Ils mettent le masque du dodo et youp la boum c’est reparti pour la nouba. C’est plus fou et c’est  moins précis mais ça la réveille exactement toutes les 28 minutes. Elle n’en revient pas elle-même de cette régularité. Et encore, elle s’en étonne oui mais ça lui ressemble bien cette exactitude arithmétique. Parfois, elle sent son corps qui s’habitue à ce rythme nocturne. C’est mieux que pas de rythme du tout. Finalement, avec leurs airs de bouffon aviné, les rois de la nuit sont mieux organisés que prévu. C’est les mois d’été qui passent mieux que les autres. Son corps se montre toujours plus docile. Il prend rapidement le pli (au bout de 2h environ) des traites de 28 minutes. L’hiver, ce n’est pas la même chanson. Le corps râle et vieillit à vue d’œil, se renfrogne et résiste. Il faudrait qu’elle aille vivre où il n’y a pas d’hiver. Parce que, mine de rien, cela lui brise une bonne semaine. Plus jeune, elle pouvait danser toute la nuit (elle l’a souvent fait au lycée) sans en subir les conséquences qui assagissent. Mais aujourd’hui, elle a pris un coup de canne à vieillard. Et puis, il ne faut pas oublier les pilules et gouttes. Elles font la paire toutes les deux. Elle pourrait en faire un vrai plat, juste avec elles. On écrase les comprimés, on ouvre les gélules (elle oublie toujours de mentionner les gélules, elle les trouve obscènes à vrai dire, d’autant plus quand elles coulent leur poudre) et on saupoudre de gouttelettes à la pipette. La couleur n’est pas fameuse mais c’est le cocktail du siècle. Elle aime à s’amuser à s’imaginer raconter cela. Elle a bien essayé un jour mais il aurait fallu avouer l’énormité de son pilulier. Et ce n’était pas autre chose que très intime. Cela ne sortait ni ne sortirait de l’étriquée salle de bain du studio parisien. Bon, bien sûr, si elle déménageait, elle transfèrerait le mystère d’une salle de bain à l’autre. Pas davantage. Pourtant son idée de bolée aux psychotropes la fait hurler de rire. La mère, elle sait donc elle aurait pu lui raconter depuis longtemps mais elles n’’ont jamais eu le même humour. Si tant est que la mère en ait eu un jour. Ce qu’elle est triste cette génitrice tout de même ! Ca donne pas la joie de vivre un enterrement pareil tous les jours que Dieu fait. C’est bien ce qu’elle se disait adolescente. Elle la laissait dans son coin, après avoir tenté toute son enfance de la ranimer. Elle n’est pas folle la mère. Pas elle. Mais franchement, à se demander si c’est mieux. Tout est une question de point de vue. Elle, Anna, elle sait parfaitement qu’elle est déglinguée. Ce n’est pas toujours facile, elle ne doit pas être malhonnête mais ce n’est pas si terrible. Oui la psychiatrie, Mon Dieu ma pauvre chérie. Pas tant que ça ! Sale odeur d’hôpital et beaucoup de chamailleries mais dans un tel microcosme, c’est obligatoire. Les premiers jours abyssaux. Aussi, beaucoup de gens qui ne se formalisent pas de choses extravagantes. On prend un peu pour un débile, parce que, allez savoir pourquoi, fou et débile c’est assez proche voire identique pour la plupart des gens. Bref, ça lui a permis de me reposer. Elle a un peu abusé, elle a profité. Toujours tirer profit de sa position dans la vie. Quelque chose d’immuable dans sa personnalité, sauf toutes les fois où elle a craché sur ses pères. Elle, on la dorlotait, elle a fait la neuneu. Pas non plus trop longtemps, ils ne ses ont pas fait avoir jusqu’au bout. Pas tous du moins.
Cette nuit-là, elle repense à tout ce qui s’est passé, toujours un peu les mêmes histoires, auxquelles elle ne pense jamais autrement. C’est automatique. Comme s’il y avait une case qui ne s’ouvre qu’avec le mot de passe « 28judas ». Compris n’’est-ce-pas ? Elle cligne pas de l’œil parce qu’elle ne sait pas faire et que de toute façon elle ne s’adonne pas à ce genre de grimaceries. Mais c’est tout comme.

Au beau milieu de sa chevauchée nocturne, la princesse rousse fait une pause, aux alentours des opaques trois heures. Elle est belle et solitaire, hirondelle et cavalière (puisqu’elle est en chevauchée bien entendu). Ce moment d’intimité avec la Lune est une douceur dans cette vie de rudesse, parmi les hommes et leurs violences. Elle penche tendrement la tête sur son épaule, se recueille, elle prie son Seigneur jésus mort en croix. Elle se défait de son épée malfaisante et redevient la vierge immaculée de l’enfance. Elle retrouve dans ce voyage céleste ses parents morts, qu’elle a tant aimés sans les avoir jamais connus, orpheline humiliée. C’est leur amour qui l’a sauvée et elle s’y replonge une fois par mois en ces 28 bénis.

Ca aurait pu mais non.

Anna ne s’attendrit pas, généralement. Elle savait faire avant. Ca se passe comme suit :
-          réveil à 3h de ce putain de matin
-          fourmis dans les jambes
-          footing obligatoire aux quatre coins de l’appartement
-          étirements (pour ses 29lendemains difficiles)
-          la tête en bas longues minutes
-          ne pas trop respirer
-          pas de mouvement de tête sur les côtés, surtout aucun car reprend le tic tac fou du cou
-          durée : 48 minutes 29 secondes
-          le sommeil de retour, un brutal celui-là
-          et saut agile au lit dans les 10 secondes, sinon le marchand passe

Tout un programme. Mais oui ! pour Anna, tout est un programme.
Même la folie lui était programmée.

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