J'avais gardé Partages pour la fin. Je pressentais quelque chose peut être avec ce titre et cette image de couverture. Bien sur, un peu circonspecte aussi, avec un thème aussi sensible que celui-ci. Beaucoup de précautions et d'attente qui auraient pu nuire à cette lecture.
Et pourtant, rien de tout cela n'a réussi à gâcher ma lecture, de loin la plus puissante entre ces trois premiers ouvrages de la sélection. Le fond comme la forme m'ont convaincue. Non que j'aie été transportée. Et tant mieux. Puisque ces livres qui transportent, souvent il ne m'en reste rien au bout d'un mois. Grenadille Aubry attaque bien plus profondément que cela. Les questions qu'elle pose sous couvert d'histoires et d'Histoire sont laissées en suspens et laisse le lecteur à sa perplexité. N'est-ce pas l'un des objectifs de la lecture que de 's'interroger sur l'humain à travers
Des personnages et leurs tribulations ? Pour moi, c'est certainement le principal objectif et j'ai été comblée avec Partages. Ces questions implicites sur la subjectivité de chaque place et rôle, et sur l'impossibilité parfois de penser clairement les situations les plus complexes et les plus violentes... J'en ressors avec davantage et recul, davantage de richesse et un horizon de voyages et de réflexion qui s'est ouvert.
Les portraits de familles, par touches, au long du récit, m'ont semblé subtils et intrigants, et j'avoue tellement justes. Ce poids des générations, ce sens des prénoms, les morts qui nous suivent partout, même si l'on n'est pas une adolescente dans la bande de Gaza. C'en est d'autant plus touchant que le contexte donne aux morts une place presque monstrueuse. On sent vivement la démesure de ces morts géants qui écrasent les vivants.
J'ai beaucoup apprécié tous les passages mettant en scène le corps et ses expressions. Les maladies et les douleurs qui suintent dans le corps souffrant. Ces symboles si véridiques de la vie intérieure de chacun et de toute son histoire, peut-être même dépositaire de celle des ancêtres.
Dans la même idée, les moments de flou dans la narration où en tant que lectrice, j'ai perdu mes repères, j'ai dû revenir quelques paragraphes en arrière pour être sûre que ce n'était pas ma distraction qui m'avait joué un tour. Mais non, le flou est bien parfois celui qui convient quand les sens prennent les rênes et que la tête se perd. Ce n'est que la confusion des sens qui, somme toute, nous est bien familière. Pas tant que ça dans une narration assez classique où l'on trouve rapidement ses marques. Cela rythme le récit comme l'est le quotidien par ces pics d'adrénaline et autres substances naturelles qui nous transforment.
La sobriété et en même temps la délicatesse de la langue de Partages m'ont plu. J'ai, je l'avoue, trouvé le style un peu trop classique au début mais je n'avais pas encore perçu les multiples couches qui construisent ce roman. Je me suis d'abord dit que c'était trop simple. Et puis, les images, les symboles, les flash de sensations sont apparues. Je retiens aujourd'hui l'intensité du contenu grâce aux mots mais sans les mots. J'en ai oublié pour ainsi dire la matérialité des phrases pour me rappeler un monde. J'ai été particulièrement sensible au jeu de ponctuation habilement mené.
Les miroirs dans toutes leurs formes animent Partages. Je ne les ai pas tous trouvés. Le miroir des deux jeunes filles, en face l'une de l'autre, tout près, puis carrément confondues, m'a troublée. Gwenaelle Aubry orchestre parfaitement ce parallèle, puis superposition, qui sombre finalement en confusion. J'en suis arrivée à me demander si depuis le départ, je ne me faisais pas emmener par le narrateur sur le chemin d'une seule personne qu'il avait dédoublée. Passionnante mise en perspective. La structure narrative et même concrétisée dans la mise en page à la fin sourient ces miroirs en réflexions décuplées. Une émotion esthétique pour moi à ce moment-là.
D'une manière générale, la construction narrative est vraiment intéressante.
La fin reste sur l'ineffable et tout ce que chacun de nous en fait comme miel, chacun à sa manière.
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